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Allocations familiales : une procédure en recherche de filiation suspend le délai de prescription d’un recours devant le tribunal

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 20 décembre 2022, R.G. 22/1.014/A

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 20 décembre 2022, R.G. 22/1.014/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 20 décembre 2022, le tribunal du travail francophone de Bruxelles conclut à la non-prescription d’une action en octroi du supplément d’allocations familiales pour orphelin au motif de l’existence d’une procédure en recherche de filiation, dont l’issue déterminait l’octroi de ce droit.

Les faits

Une future mère introduit en octobre 2012 une demande de l’allocation de naissance, exposant que le père est décédé au mois de juin.

L’enfant naîtra en février 2013. A partir du 1er mars, la mère perçoit les prestations familiales garanties.

En avril 2018, elle bénéficie des allocations familiales dans le régime général (L.G.A.F. – application de l’article 56quinquies, par. 1er).

Une procédure en recherche de paternité avait été introduite par la mère en octobre 2013. La procédure dut être réintroduite vu la nullité de la première citation. Des mesures d’expertise furent ordonnées et par jugement du 29 décembre 2020, le père a été identifié légalement. Le jugement a été signifié et transcrit dans les registres de l’état civil.

Suite à cette procédure, la mère a demandé à FAMIRIS l’octroi du supplément pour enfant orphelin et ce ‘si possible’ depuis la naissance. Plusieurs décisions ont été prises par FAMIRIS, qui a reconnu le droit au supplément, mais à partir du 1er octobre 2015 et non pour la période antérieure (sur la base des articles 50bis et 56bis de la L.G.A.F. et de l’article 8 de l’ordonnance du 25 avril 2019 réglant l’octroi des prestations familiales garanties).

Le recours devant le tribunal du travail

Un recours a été introduit devant le tribunal du travail. L’objet de l’action est d’entendre reconnaître le droit depuis la date de naissance de l’enfant.
Pour la mère, il y a effet déclaratif du lien de filiation, de telle sorte que le droit à l’allocation majorée doit être reconnu avec effet rétroactif. Elle se fonde également sur les articles 2251 et 2257 de l’ancien Code civil. A titre subsidiaire, elle sollicite des dommages-intérêts correspondant à ce supplément en application de l’article 17, al. 2 de la Charte de l’assuré social.

Quant à la partie défenderesse (IRISCARE, venue aux droits de FAMIRIS), elle invoque un argument tiré de la prescription de l’action. Elle conteste par ailleurs avoir commis une erreur.

La décision du tribunal

Le tribunal statue essentiellement sur la prescription.

Renvoyant à la doctrine de A. VERMOTE (A. VERMOTE, La prescription en droit social, Kluwer, 2021, p. 135), il souligne que le contentieux de la prescription en droit de la sécurité sociale est régi par un ensemble hétérogène de lois particulières, celles-ci s’étant développées de façon indépendante les unes par rapport aux autres.

Pour ce qui est de la suspension de la prescription, il est renvoyé par la même doctrine à l‘article 2257 de l’ancien Code civil, disposition selon laquelle la prescription est suspendue lorsque la créance dépend d’un terme ou d’une condition et jusqu’à ce que ce terme ou cette condition advienne. La cause de la suspension doit être prévue par la loi. Celle-ci peut, dans certains secteurs, aménager l’application de l’article 2257 ou même exclure de telles causes (étant ici renvoyé à l’action en paiement de l’aide aux personnes âgées en Région flamande).

En matière d’allocations familiales, le délai de prescription est de 5 ans, celui-ci prenant cours le dernier jour du trimestre concerné. L’article 120 L.G.A.F. contient un mode spécifique d’interruption de la prescription, étant l’envoi d’une demande ou d’une réclamation par courrier postal (ou télécopie ou encore courrier électronique) à l’organisme d’allocations familiales compétent ou le dépôt d’une telle demande auprès de celui-ci. L’interruption débute à la date de l’envoi recommandé (le cachet de la poste faisant foi) ou à celle fixée à l’accusé de réception établi par l’organisme d’allocations familiales.

L’interruption vaut pour la même durée que la prescription et peut être renouvelée.

Le tribunal relève que la loi n’énonce aucune cause spécifique de suspension de la prescription et qu’elle n’exclut pas l’application des dispositions du Code civil. De même, l’ordonnance du 15 avril 2019 prévoit ‘outre les causes prévues au Code civil’ une cause spécifique d’interruption, identique à celles figurant dans la L.G.A.F. Ici non plus il n’y a de cause spécifique de suspension ni exclusion du Code civil.

Le tribunal rejoint dès lors la position de la partie demanderesse sur cette question, soulignant que la prescription ne court pas, en vertu de l’article 2257 de l’ancien Code civil à l’égard d’une créance qui dépend d’une condition jusqu’à ce que cette condition arrive. Or, pour bénéficier du supplément d’allocations pour orphelins encore faut-il que l’un des parents décède et, également, que la filiation avec l’enfant soit établie.

Il en découle que le supplément pour enfants orphelins dépend de la condition d’établissement de la filiation et que ceci constitue une cause de suspension du délai de prescription, en application de l’article 2257 de l’ancien Code civil. La demande ayant été introduite dans le délai, le tribunal y fait droit.

Intérêt de la décision

Dans ce bref jugement, le tribunal rappelle la distinction entre la suspension et l’interruption de la prescription. La suspension peut intervenir pour une durée indéterminée dès lors que les conditions du Code civil sont remplies (les causes de droit civil qui suspendent le cours de la prescription étant reprises aux articles 2251 à 2259 de l’ancien Code civil).

L’interruption, par contre, va courir pour la même durée que la prescription elle-même.
Les modes d’interruption sont les modes ordinaires, auxquels il faut ajouter les modes spécifiques dans le secteur, prévus aux articles 120 de la L.G.A.F. et 30, par. 1er de l’ordonnance du 25 avril 2019 de la Commission Communautaire Commune réglant l’octroi des prestations familiales en Région bruxelloise.

L’affaire est également l’occasion de souligner ainsi que l’a relevé A. VERMOTE dans son étude sur la prescription en droit social qu’à l‘heure actuelle il n’y a pas d’uniformité des règles de prescription, chaque secteur étant susceptible de contenir des dispositions spécifiques.

Quoique la question ne soit pas directement abordée dans le jugement commenté, il peut être renvoyé à un arrêt relativement récent de la Cour constitutionnelle sur les allocations familiales au taux majoré pour orphelins prévues dans la loi du 20 juillet 1971 relative aux prestations familiales garanties, étant son arrêt du 24 février 2022 (n° 30/2022). La Cour (saisie d’une question préjudicielle concernant les articles 51, § 3, 5°, et 56bis, § 1er, de la loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales et l’article 2 de la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties, posée par la Cour du travail de Gand, division de Gand), a dit pour droit que l’article 56bis, § 1er, de la loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la condition qu’il prévoit pour l’octroi des allocations familiales au taux majoré pour orphelins implique qu’un enfant qui avait droit à des prestations familiales garanties au taux majoré pour orphelins sur la base des dispositions de la loi du 20 juillet 1971 perd tout droit au taux majoré pour orphelin lorsqu’il relève du champ d’application de la loi générale relative aux allocations familiales à la suite de l’emploi occupé par son frère, son demi-frère, sa sœur ou sa demi-sœur ne faisant pas partie de son ménage.


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