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Non-respect de la loi du 19 mars 1991 : licenciement discriminatoire pour motif syndical

Commentaire de C. trav. Mons, 9 septembre 2022, R.G. 2020/AM/205

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Cour du travail de Mons, 9 septembre 2022, R.G. 2020/AM/205

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 septembre 2022, la Cour du travail de Mons conclut qu’un licenciement intervenu au mépris de la loi du 19 mars 1991 est à lui seul de nature à établir l’existence d’une présomption de discrimination, qu’il appartient à l’employeur de renverser.

Les faits

Une société a engagé un technicien en janvier 2008. Peu après cet engagement, une délégation syndicale a été installée en son sein. L’intéressé a été désigné par une des organisations présentant des délégués. Il est délégué effectif aux deux organes internes lors des élections sociales en 2012 et est réélu aux élections suivantes de 2016.

En décembre 2017, son employeur lui adresse un courrier recommandé, notifiant sa décision de licenciement sur le champ avec paiement d’une indemnité équivalente à deux ans de rémunération. L’intéressé et son organisation syndicale sollicitent sa réintégration, conformément à la loi du 19 mars 1991. Le syndicat saisit parallèlement le Bureau de conciliation de la commission paritaire. Celui-ci dressera un procès-verbal de carence.

La réintégration est refusée et la société indique en conséquence qu’elle paiera la partie variable de l’indemnité de protection. Divers courriers sont encore échangés entre la société et le syndicat.

L’intéressé saisit ultérieurement le tribunal du travail, qui le déboute de ses demandes, lesquelles tendent à obtenir un solde d’indemnité de protection (sur la base des articles 16 et 17 de la loi du 19 mars 1991) ainsi qu’une indemnité pour licenciement discriminatoire (article 17 de la loi du 10 mai 2007).

Pour le tribunal, aucun supplément n’est dû sur l’indemnité versée, rejetant ainsi la demande du travailleur d’y voir inclure un sursalaire pour heures supplémentaires, ainsi que la quote-part de chèques-repas sur la base de cinq jours par semaine multipliés par cinquante-deux, le tribunal contestant également le calcul de la rémunération annuelle, fixée par le travailleur à cinquante-deux fois la rémunération hebdomadaire sur la base du salaire horaire multiplié par trente-huit heures.

Pour ce qui est de l’indemnité pour discrimination syndicale, le tribunal retient l’existence d’avertissements, de participation à des activités syndicales sans l’autorisation de l’employeur, des arrivées tardives et/ou des départs anticipés, ainsi que des problèmes de comportement.

Appel est interjeté devant la Cour du travail de Mons, qui rend deux arrêts.

Les arrêts de la cour

L’arrêt du 17 décembre 2021

Cet arrêt ordonne la réouverture des débats en vue d’obtenir le règlement de travail de l’entreprise ainsi que certaines explications sur les pratiques dans l’entreprise des autres délégués quant aux conditions de dispense de service pour leurs activités syndicales.

L’arrêt du 9 septembre 2022

La cour examine dans cet arrêt uniquement la question de la discrimination syndicale, seul objet du litige en appel.

Elle reprend quelques principes de la législation en matière de discrimination, soulignant, pour ce qui est de la preuve, que l’article 28 de la loi organise un régime particulier, étant que, lorsque la personne qui s’estime victime d’une discrimination invoque des faits permettant de présumer l’existence de celle-ci, il incombe au défendeur de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination, ceci n’étant pas à comprendre comme un renversement de la charge de la preuve, dans la mesure où le demandeur doit en premier lieu prouver des faits tendant à présumer l’existence de la discrimination prohibée.

Renvoi est fait à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009), qui a précisé que les faits doivent être suffisamment graves et pertinents, étant que la personne ne peut se limiter à établir qu’elle a fait l’objet d’un traitement défavorable mais qu’elle doit prouver les faits qui semblent indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites.

En l’espèce, la cour rappelle que l’intéressé bénéficiait de la protection de la loi du 19 mars 1991, celle-ci étant d’ordre public et n’autorisant son licenciement que pour les motifs encadrés par celle-ci (motif grave préalablement admis par la juridiction du travail ou motif d’ordre économique ou technique préalablement reconnu par l’organe paritaire compétent).

Le licenciement tel qu’il a été décidé est irrégulier. Pour la cour, le fait que l’employeur ait le pouvoir de licencier un travailleur n’exclut pas que cette faculté soit exercée illégalement. Ceci constitue la présomption de discrimination exigée par la loi du 10 mai 2007.

En outre, la cour retient que, devant le Bureau de conciliation de la commission paritaire, la société a refusé d’expliquer ce licenciement et que, précédemment, un autre délégué du personnel avait également été licencié sans respect des procédures légales (licenciement « sec »). Ces éléments constituent également des indices graves et sérieux de discrimination.

La charge de la preuve de l’absence de discrimination revient à la société, qui doit établir celle-ci ou prouver que la distinction directe qui a été opérée est objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but étaient appropriés et nécessaires.

La société invoque, pour ce, une série de manquements justifiant le licenciement de l’intéressé.

La cour en écarte une série (des faits anciens, des avertissements pour des faits contestés, des reproches qui n’ont jamais été dénoncés à l’intéressé, des courriers ou courriels de travailleurs dont ceux-ci ne veulent pas qu’ils soient produits, ainsi enfin que des attestations non conformes à l’article 961/2 du Code judiciaire).

Elle retient comme griefs à examiner des modifications unilatérales de l’horaire de travail (congés, arrivées tardives ou départs anticipés) et des propos injurieux.

Ceci étant acté, elle fait trois constats :

  • Le premier est le non-respect volontaire et assumé de la loi du 19 mars 1991, qu’elle considère comme une grave atteinte aux droits des délégués du personnel et à l’équilibre social des entreprises (la loi permettant l’introduction d’une procédure en reconnaissance de motif grave en cas de manquement).
  • Le deuxième est que le climat social de l’entreprise à l’époque était mauvais, des tensions importantes existant. La cour relève à cet égard qu’un inspecteur des lois sociales avait dû être présent lors d’une réunion d’un conseil d’entreprise. Celui-ci ne permet par ailleurs pas de retenir des manquements et un comportement injurieux dans le chef de l’intéressé.
  • Enfin, la cour souligne que les prestations du travailleur n’ont pas fait l’objet de critiques.

En fin de compte, la question des départs anticipés ou des arrivées tardives est liée aux activités syndicales, la cour constatant « un sérieux problème » quant à l’exercice des missions syndicales du délégué.

Reprenant divers incidents qui se sont produits, elle conclut que la motivation du licenciement est à rechercher dans le climat délétère entre l’entreprise et l’organisation syndicale, ceci influant sur l’exercice du mandat syndical lui-même.

Elle constate en outre une absence de formalisation du fonctionnement de la délégation syndicale. Aussi, il existait un moyen approprié de clarification de ce fonctionnement. Au lieu d’y procéder, la société a préféré recourir au licenciement irrégulier.

La preuve de l’absence de lien avec l’activité syndicale n’étant pas rapportée, la discrimination est retenue et la cour fait droit à la demande d’indemnité.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle que, si aucune sanction n’est prévue dans la loi du 19 mars 1991 en cas de licenciement irrégulier d’un travailleur protégé, étant qu’aucune des deux procédures autorisées (demande d’autorisation préalable du juge en cas de motif grave ou demande de reconnaissance de motifs économiques et techniques devant la commission paritaire) n’est suivie, le non-respect volontaire et assumé de ce dispositif d’ordre public peut être retenu au titre de grave présomption de discrimination au sens de la loi du 10 mai 2007.

Intervient alors, en vertu du mécanisme légal, l’obligation pour l’employeur d’établir l’absence de discrimination ou le bien-fondé de la distinction directe qui a ainsi été opérée (étant que la décision prise l’a été pour un but légitime et que les moyens d’atteindre ce but étaient appropriés et nécessaires).

Cette position de la cour du travail est importante, faisant ainsi le lien nécessaire entre les deux textes légaux.

Un autre point d’intérêt est celui relatif au cumul d’indemnités, ce cumul étant ainsi admis.

Relevons à cet égard, à propos d’une demande d’indemnisation d’abus de droit de licenciement d’un travailleur membre d’un C.P.P.T., un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 20 janvier 2021, R.G. 2016/AB/778).

La question d’un autre cumul a été tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 février 2012 (Cass., 20 février 2012, n° S.10.0048.F – précédemment commenté), s’agissant du cumul avec une indemnité de sécurité d’emploi dans le secteur des assurances. La Cour y a considéré que le cumul est autorisé, les indemnités ne réparant pas le même dommage.


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