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Trajet de réintégration : respect de la procédure de concertation

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 7 octobre 2022, R.G. 21/320/A

Mis en ligne le vendredi 28 avril 2023


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 7 octobre 2022, R.G. 21/320/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 7 octobre 202, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) conclut à l’irrégularité du constat de rupture pour force majeure médicale lorsque le trajet de réintégration n’a pas été mené jusqu’à son terme, vu l’absence de concertation.

Les faits

Un cuisinier d’une M.R.S. prestant dans un régime de travail variable à temps partiel (vingt-huit heures et demie) depuis 2007 s’est retrouvé en incapacité temporaire à la suite d’un accident du travail survenu le 16 août 2017. Par la suite, l’assureur-loi transmit en avril 2019 un projet d’accord-indemnité sur la base de 12% d’I.P.P. à partir du 1er septembre 2018, et ce vu la persistance d’une lésion au ménisque interne du genou gauche ainsi que de tassements dorsaux.

Le médecin de recours de l’intéressé contesta le taux d’I.P.P., qu’il estimait devoir être de l’ordre de 18%. Dans le même temps, soit en août 2019, un formulaire de réintégration fut complété à la demande de l’employeur. Le médecin du travail conclut qu’il n’était pas opportun d’entamer un trajet de réintégration pour raisons médicales, une réévaluation devant intervenir en octobre. La même conclusion fut dégagée par le même médecin quatre mois plus tard, la réévaluation étant alors prévue pour avril 2020. En juillet 2020, le médecin-conseil de la mutuelle considéra que l’intéressé n’était plus incapable de travailler au sens de l’article 100 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, estimant la situation médicale consolidée et compatible avec un poste allégé. Cette décision a été acceptée par l’intéressé, qui introduisit alors lui-même une demande de trajet de réintégration.

Sur le plan médical, un mi-temps fut conseillé, vu l’état de la colonne vertébrale. L’employeur répondit par courrier qu’il ne disposait pas d’un poste adapté au mi-temps médical demandé, de sorte que le contrat restait totalement suspendu jusqu’à ce que l’intéressé retrouve une capacité de travail complète. Le conseiller en prévention-médecin du travail conclut pour sa part en août 2020 à l’inaptitude définitive pour le travail convenu mais à la capacité pour l’intéressé d’effectuer un travail adapté ou un autre travail auprès de l’employeur (le cas échéant avec une adaptation du poste de travail). Les recommandations étaient un temps partiel de quatre heures par jour en horaire de jour.

La communication fut faite à l’employeur. Celui-ci compléta alors le plan de réintégration individuel, refusant de l’établir au motif qu’il s’agissait d’un travail de cuisinier de collectivité qui nécessitait une position debout permanente et qu’aucun aménagement en vue d’éviter la position debout n’était possible, s’agissant, vu les recommandations médicales, d’alléger le poste en termes d’épargne rachidienne. En outre, l’employeur précisait que la position à genoux ou accroupie ne pouvait être évitée, vu l’exigence du nettoyage de la cuisine à la fin des prestations. Il faisait également valoir que la réduction de la durée journalière des prestations n’était pas envisageable pour ce poste, qui, en sus, requérait le port de charges (lourdes casseroles), et, enfin, que l’horaire de jour n’était pas envisageable. Il était encore précisé qu’aucune autre fonction que celle de cuisinier n’était disponible.

L’employeur mit alors fin au contrat de travail pour force majeure médicale.

Un recours fut introduit devant le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Après le rappel des articles 32 et 34 de la loi du 3 juillet 1978, le tribunal reprend les hypothèses dans lesquelles le trajet de réintégration peut se terminer. Outre celle où le travailleur n’est pas d’accord avec le plan de réintégration de l’employeur tel que remis au médecin du travail, figurent l’hypothèse (D) où l’employeur a reçu le formulaire d’évaluation de réintégration et que le médecin du travail a considéré qu’il n’y avait pas de travail adapté ou d’autre travail possible et celle (C) où le médecin du travail a jugé que le travailleur pouvait, dans l’entreprise, exercer un travail adapté ou un autre travail, l’employeur ayant considéré qu’il ne peut établir de plan de réintégration, ceci étant techniquement ou objectivement impossible ou ne pouvant être envisagé pour des motifs dûment justifiés. Dans cette seconde hypothèse, le trajet de réintégration ne peut être considéré comme terminé que si l’employeur a effectivement envisagé toutes les possibilités de réintégration.

Le tribunal reprend en conséquence la preuve à apporter par l’employeur dans les deux hypothèses (C et D), étant que (i) il y a eu concertation entre le travailleur et le médecin du travail et que celui-ci a fait un rapport de ses constatations, (ii) la décision du conseiller en prévention-médecin du travail a été transcrite dans le formulaire d’évaluation de réintégration et (iii) la déclaration d’inaptitude a été motivée par écrit auprès du médecin-traitant désigné par le travailleur. Dans la seule hypothèse C, l’employeur doit prouver qu’il a organisé la concertation et qu’il ne peut reclasser le travailleur dans un travail adapté ou dans un autre travail (ou que le travailleur refuse le plan).

Le tribunal constate ensuite, à partir de la position du demandeur, qui conteste l’application de l’article I.4-72 du Code du bien-être au travail et considère que l’employeur était tenu de mettre le plan en œuvre jusqu’à son terme et qu’il ne pouvait invoquer la rupture pour raisons médicales qu’à ce moment, que l’article 34 L.C.T. vise l’incapacité de travail résultant d’une maladie ou d’un accident, sans autre précision. Celui-ci n’était pas en incapacité temporaire partielle du travail consécutive à un accident ni a fortiori dans un programme de remise au travail au sens de l’article 23 de la loi du 10 avril 1971 (seules hypothèses exclues par l’article I.4-72 C.B.E.).

Il développe la question de l’application du trajet de réintégration à l’hypothèse de l’accident du travail, relevant les critiques en doctrine quant à l’exclusion du trajet de réintégration dans l’hypothèse d’une remise au travail en cas d’accident du travail ou d’une maladie professionnelle (renvoyant notamment à A. MORTIER, « Vers une (ré)activation des personnes en incapacité de travail ? », in Actualités et innovations en droit social, dir. J. CLESSE et H. MORMONT, C.U.P., Liège, Anthémis, 2018, p. 167, notamment). Il constate, à partir des explications données par le ministre de l’emploi, que la disposition n’a pas pour objectif d’exclure de manière générale les travailleurs qui ont été victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, le but du texte étant de faire la distinction entre les deux procédures (trajet de réintégration d’une part et remise au travail conformément aux articles 23 de la loi du 10 avril 1971 et 34 de celle du 3 juillet 1970 d’autre part).

Il conclut que le trajet de réintégration n’est exclu que lorsqu’une procédure de remise au travail est possible, soit uniquement en cas d’incapacité de travail temporaire. L’intéressé n’était plus en incapacité temporaire au moment où le plan a été entamé (et le tribunal rappelle que les parties avaient d’ailleurs accepté de suivre ce trajet de réintégration, l’employeur ayant pris une première initiative en 2019 et le travailleur ayant réactivé la procédure en 2020).

L’inaptitude au travail convenu ayant été dûment constatée, ainsi que celle d’effectuer un autre travail moyennant adaptation du poste de travail (temps de travail et horaire), il y a lieu, pour le tribunal, de vérifier si la concertation préalable a eu lieu et si l’employeur établit qu’il était techniquement et objectivement impossible de donner suite aux recommandations. Il s’agit, ce faisant, de vérifier le respect de l’article I.4-74, § 1er, C.B.E., qui impose à l’employeur d’établir un plan de réintégration en concertation avec le travailleur, le médecin du travail et, le cas échéant, d’autres personnes qui peuvent contribuer à la réussite de la réintégration. Il s’agit d’une étape obligatoire, d’autant que l’employeur ne dispose alors que des données figurant sur le formulaire d’évaluation de la réintégration.

La formalité de la concertation conditionne la validité de la procédure et le jugement souligne qu’il faut que celle-ci soit effective, c’est-à-dire qu’est supposée une collaboration de l’employeur et du travailleur afin d’en promouvoir les possibilités de réussite. L’employeur ne pourra se prévaloir de la fin du trajet s’il ne s’est pas montré coopérant dans la recherche d’une solution, et ce notamment lors de cette étape.

Cette démarche ne peut se limiter à recueillir les avis des intervenants, l’employeur devant réaliser les conditions nécessaires à favoriser une confrontation des points de vue afin d’arriver à une solution concertée. Ainsi, il doit organiser des réunions et démontrer les efforts consentis par les parties pour se rapprocher, et le tribunal d’insister avec la doctrine (M. DAVAGLE, Incapacité de travail et inaptitude au travail : droits et obligations de l’employeur et du travailleur, Kluwer, 2021, p. 443) sur l’importance des procès-verbaux des rencontres ainsi que sur le relevé des démarches exploratoires effectuées.

En l’espèce, le tribunal ne dispose que du formulaire d’évaluation de réintégration complété par le conseiller en prévention-médecin du travail, avec la conclusion d’inaptitude définitive au travail convenu et la possibilité d’un travail adapté (sans autre précision), ainsi que la mention de l’employeur selon laquelle il refuse d’établir ce plan.

Il déplore l’absence d’autres éléments avant que ne soit prise la décision d’inaptitude définitive. Ainsi, l’absence de participation du travailleur et la non-indication des motifs pour lesquels il ne peut prester plus que quatre heures par jour. Il eut fallu, dans le cadre de la concertation légale, une réelle discussion sur les possibilités d’adaptation des horaires et de l’aménagement des lieux, le tribunal soulignant que celle-ci aurait dû être menée « à tout le moins » avec le travailleur et le conseiller en prévention-médecin du travail et que ce n’est qu’après celle-ci que l’impossibilité technique ou objective aurait pu être démontrée.

En conséquence, le trajet n’a pas été mené à son terme et la rupture du contrat de travail pour force majeure a été constatée à tort. Le travailleur a dès lors droit à une indemnité de rupture.

Celui-ci sollicitant également une indemnité de protection au sens de la loi du 10 mai 2007 (sur la base du handicap), le tribunal retient que les éléments du dossier (I.P.P. de 12%) établissent à suffisance qu’il est porteur d’un handicap au sens de la loi. Vu les éléments développés par l’employeur en ce qui concerne les exigences professionnelles du métier de cuisinier (position debout et aucune possibilité d’aménagement en vue d’éviter celle-ci, exigence de port de charges, etc.), le tribunal rejette la demande. Il conclut à l’absence d’attitude discriminatoire dans le chef de l’entreprise.

Intérêt de la décision

L’importance de la concertation entre les parties dans le cadre du plan de réintégration est régulièrement soulignée en jurisprudence.

Ainsi, dans un jugement du 24 juin 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) (R.G. 20/103/A – précédemment commenté) avait pu constater l’absence de respect de la procédure de concertation exigé par le texte légal, l’employeur n’ayant par ailleurs pas établi avoir contacté l’employée entre la réception du formulaire d’évaluation de réintégration et la notification de la rupture du contrat de travail. Il avait par ailleurs rappelé que l’obligation d’établir le plan de réintégration repose sur l’employeur, qui doit procéder à la concertation requise. Le fait pour celui-ci de communiquer la liste des postes déclarés vacants ne suffit pas à établir qu’au cours de la période concernée, il a pris les mesures nécessaires avant de notifier la rupture du contrat et qu’il a tenté d’établir un plan de réintégration valable.

Relevons également un arrêt de la Cour du travail de Mons du 28 octobre 2020 (R.G. 2019/AM/311), qui a rappelé qu’il ne s’agit pas de vérifier si une justification peut être présentée ex post dans le cadre du débat judiciaire, mais si une recherche effective, substantielle et appropriée a bien été menée in tempore et qu’elle a abouti à un constat rationnel d’impossibilité. L’impossibilité alléguée doit donc être effectivement démontrée, être cohérente au regard de l’ensemble des éléments du dossier et du contexte et, enfin, ressortir d’une recherche (substantielle et sérieuse) menée effectivement au moment des faits.

Illustre également la procédure à respecter un jugement du Tribunal du travail de Gand (division Gand) du 26 mars 2020 (R.G. 19/358/A), qui a jugé qu’il appartient à l’employeur d’établir que cette concertation a eu lieu. La force majeure médicale ne peut être invoquée que lorsque la totalité du trajet de réintégration est terminée. Dans la mesure où aucun plan de réintégration n’a été établi alors qu’il aurait dû l’être et que les motifs invoqués par l’employeur pour ne pas établir celui-ci ne résistent pas à l’analyse, il peut être conclu que le trajet de réintégration ne s’est pas déroulé correctement et donc qu’il n’a pas pu y être mis fin.


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