Terralaboris asbl

G.R.A.P.A. : séjour à l’étranger et force majeure

Commentaire de Cass., 24 octobre 2022, n° S.22.0007.F

Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023


Cour de cassation, 24 octobre 2022, n° S.22.0007.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 octobre 2022, la Cour de cassation confirme que la force majeure peut justifier que le séjour à l’étranger d’un bénéficiaire du revenu garanti aux personnes âgées dépasse la durée maximum prévue par la législation.

Les faits

Mme H.K. bénéficiait de la garantie de revenus aux personnes âgées lorsqu’elle a quitté le territoire belge le 1er août 2019 pour n’y revenir que le 4 septembre.

Or, l’article 42 de l’arrêté royal du 23 mai 2001 portant règlement général en matière de garantie de revenus aux personnes âgées leur impose d’avoir leur résidence principale en Belgique et d’y résider effectivement. Il assimile à la résidence permanente et effective en Belgique le séjour à l’étranger pendant un maximum de vingt-neuf jours calendrier ou trente jours en cas d’admission occasionnelle et temporaire dans un hôpital. En dehors de ces hypothèses, le paiement de la garantie de revenus est suspendu pour chaque mois civil au cours duquel le bénéficiaire ne séjourne pas de manière ininterrompue en Belgique, et ceci à partir du mois au cours duquel la période visée à l’alinéa 2, 1°, est dépassée.

L’absence de Mme H.K. ayant duré trente-cinq jours, le Service fédéral des Pensions a suspendu le paiement de la garantie de revenus à partir du 30 août et pour tout le mois de septembre. L’intéressée a été rétablie dans ses droits à partir du 1er octobre.

Elle a contesté cette décision de suspension se prévalant d’un cas de force majeure pour justifier la prolongation de son séjour au-delà des vingt-neuf jours autorisés : souffrant de diabète de type 1, elle a fait une hypoglycémie sévère justifiant de rester au repos du 25 août au 3 septembre 2019 et a déposé un certificat médical à l’appui de ses dires.

Le tribunal du travail, et ensuite l’arrêt attaqué rendu le 8 novembre 2021 par la Cour du travail de Liège (division Liège) (R.G. 2021/AL/84), lui ont donné raison. Cet arrêt est accessible sur le site : https://www.terralaboris.be.

L’arrêt attaqué

La cour du travail décide que, si l’hypothèse de la force majeure n’est pas prévue par la législation sur la garantie de revenus aux personnes âgées, ceci n’est pas nécessaire, puisqu’il s’agit d’une figure qui traverse l’ensemble des secteurs du droit.

Comme l’écrit à bon droit la doctrine, bien que présentée traditionnellement comme un événement imprévisible, irrésistible, voire insurmontable et inévitable, la force majeure s’appréhende désormais davantage sous l’angle de ses deux conditions d’application. D’une part, l’événement de force majeure empêche le débiteur d’exécuter ses obligations et aboutit à une impossibilité « absolue » d’exécution : le débiteur se retrouve face à un obstacle insurmontable. D’autre part, la force majeure exclut toute faute du débiteur. La cour du travail rappelle que la Cour de cassation s’est exprimée de façon plus lapidaire en matière sociale, estimant que la force majeure ne peut résulter que d’un événement indépendant de la volonté humaine que l’homme n’a pu prévoir ou prévenir.

Elle considère que l’intéressée peut se prévaloir d’un cas de force majeure pour justifier la prolongation de son séjour au-delà des vingt-neuf jours autorisés, à savoir la maladie en vertu de laquelle elle a dû rester au repos du 25 août au 3 septembre 2019, étant entendu qu’elle est rentrée dès le 4 septembre 2019. Cette maladie l’a empêchée d’accomplir son obligation de ne pas s’absenter plus de vingt-neuf jours de façon insurmontable, sans que la moindre faute puisse lui être imputée. Pour autant que de besoin, la cour relève que la maladie était indépendante de sa volonté, imprévisible, irrésistible et inévitable.

La requête en cassation

Le Service fédéral des Pensions invoque la violation des articles 14, § 2, de la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées, et 42, spécialement en son § 1er, de l’arrêté royal du 23 mai 2001 portant règlement général en matière de garantie de revenus aux personnes âgées, avant sa modification par l’arrêté royal du 17 octobre 2021 ainsi que du principe général du droit relatif à la force majeure.

Il soutient en substance que :

  • les dispositions légales en matière de garantie de revenus visent à réglementer de manière exhaustive les hypothèses d’assimilation à la résidence permanente et effective en vue du paiement de la garantie de revenus et que la force majeure n’en fait pas partie ;
  • il n’existe pas de principe général du droit relatif à la force majeure et, même à supposer qu’il existe, celui-ci ne s’applique pas en matière de garantie de revenus aux personnes âgées, plus précisément en matière de détermination des hypothèses d’assimilation à la résidence permanente et effective en vue du paiement de la garantie de revenus.

L’arrêt commenté

La Cour de cassation précise tout d’abord qu’il n’existe pas de principe général du droit relatif à la force majeure, en sorte que le moyen est irrecevable en ce qu’il invoque la violation de pareil principe.

Quant aux articles 14, § 2, de la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées, et 42, § 1er, alinéa 1er, 1°, de l’arrêté royal du 23 mai 2001 portant règlement général en matière de garantie de revenus aux personnes âgées, ils n’excluent pas l’effet libératoire de la force majeure, en vertu duquel le délai prescrit par l’article 42, § 1er, alinéa 2, 1°, de cet arrêté royal est, jusqu’à concurrence du temps nécessaire pour agir, prorogé en faveur du bénéficiaire victime d’un cas de force majeure. En tant qu’il invoque la violation de ces dispositions, le moyen ne peut donc être accueilli.

Intérêt de la décision

L’application de la force majeure dans le cadre de strictes conditions de résidence en Belgique de la G.R.A.P.A. a déjà été admise notamment par un arrêt de la Cour du travail de Liège, (division Liège) du 13 décembre 2021 (R.G. 2021/AL/146). Cet arrêt, définitif et publié sur Terra Laboris, retient que « l’hypothèse de l’admission dans un hôpital ne suffit pas à couvrir l’ensemble du dépassement du séjour au Canada, puisque Mme M. elle est sortie de l’hôpital le 2 juillet 2021. Elle doit donc pouvoir se prévaloir d’un autre motif pour justifier de la prolongation de son séjour jusqu’au 7 août. En l’espèce, il y a lieu de retenir un cas de force majeure, qui englobe l’hospitalisation, la convalescence et se prolonge jusqu’à son rapatriement par Touring ».

La cour du travail prend en considération les circonstances de la cause : Mme M. était âgée de 81 ans, ne parlait que le mandarin et était désorientée et impuissante face aux décisions des gestionnaires du dossier quant au rapatriement du Canada.

L’intérêt de la décision commentée est d’écarter un moyen qui, à notre connaissance, n’avait pas encore été soumis à la Cour de cassation, étant que la force majeure ne peut être invoquée pour justifier l’absence de respect de la condition de résidence exigée par le législateur belge.

Cette législation est par ailleurs conforme aux principes européens, dont les Règlements n° 1408/71 et 883/2004. S’agissant, en effet, d’une prestation non contributive, la G.R.A.P.A. constitue une exception au principe de l’exportabilité et l’Etat membre peut, dans ce contexte, poser la condition de résidence. La garantie de revenus aux personnes âgées figure en annexe des deux règlements et constitue, de ce fait, une prestation spéciale à caractère non contributif, au sens du droit communautaire. (cf. note de Terra Laboris sous C. trav. Bruxelles, 15 décembre 2010, R.G. 2009/AB/52.301).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be