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Exercice d’un mandat au sein d’une A.S.B.L. et droit aux allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 2 août 2022, R.G. 2020/AL/285

Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 2 août 2022, R.G. 2020/AL/285

Terra Laboris

Dans une affaire conclue par arrêt du 2 août 2022 – et dans laquelle plusieurs décisions ont été rendues –, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’une activité de mandataire pour une A.S.B.L. est une activité pour compte de tiers et qu’il appartient au chômeur, dans cette hypothèse, d’établir qu’il n’a pas perçu de rémunération ou d’avantage matériel.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage est convoqué par les services de l’ONEm aux fins de donner ses explications sur son activité de brocanteur. Lui est également demandé, lors d’une convocation ultérieure, son rôle dans une A.S.B.L. Celui-ci n’ayant pas réagi, lui est notifiée une exclusion du bénéfice des allocations au motif de l’absence de suite donnée.

Lors d’une audition ultérieure, il explique avoir toujours exercé une activité accessoire de « collectionneur » et travaillé le premier jeudi de chaque mois de dix-neuf à vingt heures dans un club. Il précise ne pas faire les brocantes. Il ajoute être fondateur et membre actif d’une A.S.B.L. qui a son siège à son domicile, celle-ci organisant des événements divers (brocantes, salons bien-être, médecine douce, etc.). Il affirme avoir ignoré qu’il devait bénéficier d’une autorisation pour être membre ou associé de l’A.S.B.L. Etant par ailleurs handicapé (devant se déplacer en chaise-roulante), il précise encore qu’à part la gestion, il est incapable d’exercer tout acte physique dans l’A.S.B.L.

Il communique ultérieurement ses chiffres d’affaires, qui sont de l’ordre de 3.000 à 4.000 euros par an, activité qu’il a exercée en tant qu’activité complémentaire. Il complète alors un formulaire C45B, contenant la déclaration d’une activité bénévole pour une A.S.B.L.

L’ONEm lui notifie une décision d’exclusion des allocations depuis 2005 (décision du 21 juin 2016), avec récupération depuis le 1er avril 2013 et exclusion pour une période de dix-huit semaines. Il s’agit, pour l’ONEm, d’infractions aux articles 44, 45, 71 et 154 de l’arrêté royal. La sanction d’exclusion (qui en théorie est dans la fourchette de quatre à vingt-six semaines) est fixée à dix-huit semaines eu égard à la longueur de la période litigieuse. Le montant réclamé est de près de 40.000 euros.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui le déclare non fondé.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’appelant expose qu’un chômeur n’est pas condamné à l’inactivité, l’article 45 de l’arrêté royal permettant l’exercice d’une activité, en l’occurrence pour compte propre. Il s’agit pour lui d’une activité de loisir, qui ne poursuit pas de but commercial et ne compromet pas la recherche d’un emploi. Pour ce qui est du mandat au sein d’une association, celui-ci peut être cumulé avec les allocations de chômage, à condition d’être déclaré. En jurisprudence, il est admis qu’il s’agit d’une activité pour compte propre, l’ONEm estimant au contraire que c’est une activité pour compte de tiers. En l’occurrence, il expose réunir les personnes intéressées par les brocantes ainsi que les collections. Le bénéfice tiré de cette activité permet tout juste à l’A.S.B.L. de fonctionner. Subsidiairement, il fait valoir sa bonne foi.

Quant à l’ONEm, il estime que l’intéressé est fondateur et membre actif de l’A.S.B.L., qu’il en fait de la publicité sur internet, que l’entrée aux événements est payante, qu’il y a location de matériel spécifique (déduite fiscalement) et qu’il s’agit dès lors d’une activité pour compte de tiers incompatible avec le bénéfice des allocations de chômage si elle n’est pas exercée conformément aux conditions de l’article 48 de l’arrêté royal.

Les arrêts de la cour

La cour a rendu trois arrêts.

L’arrêt du 11 mai 2021

Cet arrêt ordonne la réouverture des débats.

La cour constate que le litige porte essentiellement sur l’activité exercée dans le cadre de l’A.S.B.L. et pose la question de savoir s’il s’agit d’une activité pour compte propre ou pour compte de tiers (thèse de l’ONEm). Elle souligne qu’en termes de procédure, l’ONEm semble soutenir une argumentation contraire à celle visée dans la décision litigieuse, et que, pour le Ministère public, il s’agit d’une activité pour compte de tiers, de telle sorte qu’il y a lieu d’annuler la décision litigieuse de l’ONEm pour défaut de motivation correcte.

La cour demande dès lors aux parties de prendre clairement position sur la question et, au cas où il devrait être retenu ultérieurement qu’il s’agit d’une activité pour compte de tiers, demande à l’intéressé de justifier que l’activité est cumulable avec les allocations. Les parties sont également invitées à se positionner sur la nécessité d’annuler ou non tout ou partie de la décision litigieuse, ainsi que sur le pouvoir de substitution de la cour sur la problématique de l’exclusion, de la récupération et de la sanction.

Elle souligne encore que la décision vise expressément l’activité en qualité de membre fondateur et membre actif de l’A.S.B.L. et qu’il n’est pas fait référence à l’article 45bis de l’arrêté royal, non plus qu’à l’article 13 de la loi du 3 juillet 2005. Au cas où l’article 45bis serait applicable, la cour demande également si son non-respect entraîne automatiquement l’exclusion du droit aux allocations ou s’il faut considérer que le chômeur peut, dans certains cas, prétendre au maintien de celles-ci, la cour indiquant par exemple qu’il pourrait démontrer que son activité n’est pas un travail au sens de l’article 45.

L’arrêt du 11 janvier 2022

La cour a reçu les précisions de l’ONEm, qui considère que l’activité exercée l’a été pour compte de tiers et qu’une telle activité est présumée procurer une rémunération ou un avantage matériel. En conséquence, la décision administrative ne doit pas être annulée et, quand bien même elle le serait, la cour devrait se substituer à lui sur les trois points (exclusion, récupération et sanction).

Enfin, sur l’article 45bis, celui-ci implique que l’activité devait être déclarée. En l’absence de déclaration, il n’y a pas exclusion automatique du droit aux allocations mais l’intéressé doit rapporter la preuve que l’activité était compatible avec celles-ci.

La cour poursuit dès lors son examen.

Sur l’annulation de la décision, elle fait de longs développements en droit, rappelant notamment la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière de motivation formelle des actes administratifs. Elle conclut que la décision n’est pas adéquatement motivée. En effet, elle fait référence à une activité pour compte propre, alors que, dans le cadre des conclusions d’appel, l’ONEm renvoie à une activité pour compte de tiers, la cour retenant que toute activité effectuée pour le compte d’une A.S.B.L., même en qualité de mandataire, est une activité effectuée pour compte de tiers. Elle reprend une très abondante jurisprudence ainsi que la doctrine de M. SIMON (M. SIMON, « Privation du travail – activités du chômeur », in Chômage, 2021, Bruxelles, Larcier, pp. 103 et s.).

Faisant application d’une disposition légale inadéquate, la décision est annulée.

Quant au pouvoir de substitution, la cour distingue le droit aux allocations de la récupération d’un indu, ainsi que des sanctions administratives.

Sur la récupération de l’indu, elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2019 (Cass., 20 mai 2019, n° S.16.0094.F), qui enseigne que, si la décision administrative est annulée, la juridiction ne peut ordonner la récupération des sommes payées indûment que si elle est saisie d’une demande à cette fin. Cette décision ne se substitue pas à celle du directeur du bureau de chômage qu’elle annule.

Pour ce qui est des sanctions administratives, la cour cite les conclusions de M. l’Avocat général GENICOT avant l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 2018 (Cass., 5 mars 2018, n° S.16.0062.F) et conclut qu’il faut se poser la question de savoir sur quoi porte l’annulation : sur son quantum ou sur le principe de la sanction elle-même. Ce n’est que dans la première hypothèse qu’il peut y avoir substitution, la cour se bornant dans la seconde à l’annulation de la sanction.

Enfin, sur l’article 45bis, elle rappelle qu’il fait écho à l’article 13 de la loi du 3 juillet 2005 relatif aux droits des volontaires.

L’activité exercée en l’espèce dépasse manifestement, pour la cour, le cadre du seul loisir. Il appartient à l’intéressé d’établir que cette activité ne lui a pas rapporté de rémunération ou d’avantage matériel. Les éléments déposés en l’espèce permettent de suivre l’intéressé lorsqu’il expose ne pas avoir perçu de rémunération ou d’avantage lié à cette activité et aucune pièce en sens contraire n’est produite par l’ONEm. L’exclusion ne pouvait dès lors intervenir sur la base de l’article 45 de l’arrêté royal.

La cour relève cependant que, pour l’exercice d’une activité bénévole, il y a lieu de faire une déclaration préalable (la cour souligne) auprès de l’ONEm, ce qui n’a pas été fait pour la période litigieuse. Elle conclut qu’il doit dès lors être exclu du droit aux allocations pendant celle-ci (renvoyant à C. trav. Liège, div. Namur, 18 février 2021, R.G. 2019/AN/191, ainsi qu’à la doctrine de M. SIMON, ci-dessus).

Elle en vient, alors, à la question de la bonne foi, soulignant qu’il ne ressort pas du dossier que l’intéressé aurait des antécédents. L’intention frauduleuse n’ayant pas été retenue par l’ONEm, la cour note encore les explications données par l’intéressé et retient la bonne foi. La récupération est donc limitée aux cent-cinquante dernières allocations perçues.

La cour ordonne une nouvelle réouverture des débats.

L’arrêt du 2 août 2022

La cour reprend les rétroactes du litige ainsi que les décisions précédemment rendues. Elle constate que le décompte de l’ONEm fait en fin de compte apparaître un indu de l’ordre de 6.400 euros, correspondant à la période de septembre 2015 à mai 2016.

Plus aucun point n’étant litigieux, la cour admet ce montant et réforme le jugement du tribunal en ce qu’il avait condamné l’intéressé à payer le montant réclamé par l’ONEm.

Elle corrige également l’indemnité de procédure de première instance, qu’elle fixe au montant majoré, vu l’enjeu financier du litige. Elle condamne également l’ONEm à l’indemnité de procédure d’appel.

Intérêt de la décision

La cour rappelle dans son arrêt du 11 janvier 2022 (où figurent les développements juridiques pour chacun des points en cause) que, malgré des hésitations en jurisprudence, l’activité exercée en tant que mandataire d’A.S.B.L. est généralement considérée comme une activité pour compte de tiers. Elle doit dès lors être vérifiée eu égard aux critères spécifiques à celle-ci, toute activité effectuée pour un tiers étant présumée procurer une rémunération ou un avantage matériel, sauf si le chômeur apporte la preuve contraire. Par contre, s’il s’agit d’une activité exercée pour compte propre, il y a lieu d’établir que l’activité peut être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et qu’elle n’est pas limitée à la gestion normale des biens propres.

Dans un arrêt du 15 mai 2018 (Cass., 15 mai 2018, n° P.18.0238.N), la Cour de cassation a jugé à cet égard qu’il résulte de l’article 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 qu’une activité ne peut être considérée comme une activité limitée à la gestion normale des biens propres si elle permet d’accroître plus que modérément la valeur de ces biens. Dès lors par contre qu’est visée l’activité pour compte de tiers, il appartient au chômeur d’apporter la preuve qu’il n’a pas perçu de rémunération ou d’avantage matériel, étant qu’il n’exerçait pas une activité rémunérée (pour un cas d’illustration, voir C. trav. Bruxelles, 27 juin 2018, R.G. 2015/AB/1.148).

Le deuxième point d’intérêt de l’arrêt est, bien sûr, les effets de l’absence de déclaration préalable en cas d’exercice d’activité bénévole au sens de l’article 45bis.

La jurisprudence n’est pas unanime quant à ceux-ci, étant admis par ailleurs que le chômeur n’est pas tenu de faire ses déclarations en toutes hypothèses, cette obligation n’existant que si l’activité qu’il projette d’exercer est une activité incompatible avec les allocations de chômage au sens des articles 44 et 45. Dès lors qu’il n’a pas fait cette déclaration, le chômeur peut encore démontrer que l’activité exercée n’est pas une activité au sens de ces dispositions.

A cet égard, la Cour du travail de Bruxelles a ainsi reconnu, dans un arrêt du 5 juillet 2021 (C. trav. Bruxelles, 5 juillet 2021, R.G. 2020/AB/74 – précédemment commenté), la possibilité pour le chômeur de renverser la présomption de l’article 45, alinéa 2, et ce en démontrant que son activité était totalement gratuite et qu’elle ne lui procurait aucune rémunération ou avantage matériel de nature à contribuer à sa subsistance ou à celle de sa famille.

Dans un arrêt du 11 mars 2021 (C. trav. Mons, 11 mars 2021, R.G. 2020/AM/160), la Cour du travail de Mons a pour sa part considéré que l’article 45bis est une dérogation aux articles 44 et 45. Il ne vise donc que les activités qui sont en principe incompatibles avec les allocations de chômage en vertu de l’article 45. Dans la mesure où c’est « par dérogation aux articles 44, 45 et 46 » que le chômeur peut être amené à faire une déclaration et solliciter une autorisation de travail bénévole, il faut considérer qu’il n’y est tenu que si l’activité qu’il projette de faire est une activité incompatible avec les allocations au sens des articles 44 et 45. En d’autres termes, en l’absence de déclaration, il peut démontrer que l’activité qu’il a exercée n’est pas une activité au sens des articles 44 et 45.

Deux tendances existent dès lors sur cette question.

A l’appui de la position de la Cour du travail de Liège dans l’arrêt commenté, l’on peut relever enfin un arrêt de la Cour du travail de Mons du 15 avril 2015 (C. trav. Mons, 15 avril 2015, R.G. 2013/AM/31), qui a pour sa part conclu qu’il découle du libellé de l’article 45bis, § 2, alinéa 4, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ainsi que de la modification apportée à l’article 18 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, lequel ne précise plus les conditions dans le cadre desquelles l’absence de déclaration préalable n’entraîne pas la perte du droit aux allocations, que, faute d’avoir préalablement déclaré son activité bénévole, le chômeur perd purement et simplement son droit aux allocations depuis le début de cette activité. Cette absence de déclaration suffit, à elle seule, à justifier l’exclusion de l’intéressé, sans qu’il faille examiner si l’activité non déclarée était occasionnelle et gratuite.


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