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Manœuvres frauduleuses dans le secteur des allocations familiales : règle de prescription

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 26 octobre 2022, R.G. 21/17/A

Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 26 octobre 2022, R.G. 21/17/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 26 octobre 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), à l’occasion de l’examen d’une demande de remboursement d’indu vu une cohabitation non déclarée et accompagnée de manœuvres frauduleuses, rappelle que le point de départ de la prescription est spécifique à la matière : c’est le moment où la caisse a été informée de l’existence de l’indu.

Les faits

FAMIWAL poursuit auprès d’une allocataire la récupération de suppléments d’allocations familiales pour travailleurs invalides, et ce au motif qu’elle cohabiterait avec le père de ses enfants, également domicilié dans l’immeuble où elle réside. Celui-ci a été divisé par acte notarié en deux appartements. Ces deux personnes ont deux enfants, qui habitent avec la mère.

Deux décisions de récupération d’indu ont été notifiées, l’une pour la période du 1er avril 2017 au 31 décembre 2018 et l’autre pour celle du 1er janvier 2019 au 30 novembre 2020.

Suite au recours introduit par l’allocataire, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rend son jugement le 26 octobre 2022.

La décision du tribunal

Le tribunal examine l’évolution du supplément d’allocations familiales pour travailleurs invalides avant le 1er janvier 2019 et après cette date.

Pour la première période, les articles 42bis et 56, § 2, de la loi générale relative aux allocations familiales prévoit les conditions du supplément d’allocations familiales pour travailleurs invalides ou chômeurs de longue durée. Au cas où l’allocataire cohabite avec l’enfant et avec un conjoint ou avec une personne avec laquelle il forme un ménage de fait (au sens de l’article 56bis, § 2), une limitation de revenus professionnels ou de remplacement est prévue. Par « revenus professionnels », il faut entendre les revenus imposables tirés d’une activité professionnelle et par « revenus de remplacement », ce sont également les revenus imposables qui sont pris en compte. Ceux ainsi déterminés relatifs à une année civile sont additionnés et ensuite divisés par douze, de manière à fixer les montants mensuels requis.

A partir du 1er janvier 2019, la matière des allocations familiales a été transférée aux entités fédérées. En Région wallonne, certaines règles nouvelles ont été appliquées et, à partir du 1er janvier 2020, de nouveaux montants ont été prévus, et ce pour les enfants nés à partir de cette date. Ceux nés avant restent dans le système qui leur est applicable et continuent à en bénéficier (en ce compris pour ce qui est des montants) jusqu’à la fin des études ou jusqu’au vingt-cinquième anniversaire.

Pour ce qui est des suppléments, le Décret wallon relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales du 8 février 2018 fixe les montants. L’allocation mensuelle de base est majorée d’un supplément social de 55 euros par enfant lorsque les revenus sont inférieurs à 30.386,48 euros bruts annuels. Ce montant est réduit à 25 euros si les revenus se situent entre ce montant et 50.000 euros bruts.

Lorsqu’un des membres du ménage dont l’enfant fait partie présente une perte de capacité de gain, un supplément de 10 euros est encore accordé en faveur des enfants bénéficiaires ouvrant le droit au supplément social mensuel ci-dessus.

Le tribunal recherche, ensuite, si existe une cohabitation de fait entre l’allocataire et le père de ses enfants. Il renvoie, pour cette question, à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 18 février 2008, n° S.07.0041.F), selon laquelle il y a cohabitation lorsque deux personnes ne sont ni conjoints ni parents ou alliés jusqu’au troisième degré inclus et qu’elles règlent d’un commun accord et complétement, ou à tout le moins principalement, les questions ménagères en mettant en commun, fût-ce partiellement, leurs ressources respectives, financières ou autres.

Le tribunal renvoie également à sa propre jurisprudence (Trib. trav. Hainaut, div. Mons, 12 décembre 2018, R.G. 17/938/A) et reprend des extraits des travaux préparatoires, selon lesquels est visée l’existence d’un projet commun, projet n’impliquant pas nécessairement le fait de vivre maritalement.

Le tribunal cite encore la doctrine de M. BONHEURE (M. BONHEURE, « Réflexions sur la notion de cohabitation », J.T.T., 2000, p. 489), pour qui la notion de « ménage de fait » ne peut être assimilée à celle de « cohabitation » reprise dans d’autres branches de la sécurité sociale. L’auteur en revient, cependant, également à la notion de « projet commun », projet requis pour que la notion puisse être retenue.

Le tribunal examine les éléments de fait et constate que le couple a manifestement organisé ses conditions de vie aux fins de créer une apparence de vies séparées. Il relève un très grand manque de transparence dans les explications données quant à sa situation réelle, concluant que les allégations de la demanderesse ne sont pas démontrées et qu’elles sont contredites par les éléments du dossier. Il relève également de fausses déclarations, alors que, dans les faits, il est avéré qu’elle cohabitait avec le père de ses enfants depuis plusieurs années et qu’elle n’a pas informé sa caisse d’allocations familiales de sa véritable situation familiale.

Le tribunal aborde en conséquence la question de l’indu, renvoyant à l’article 120bis de la loi générale, qui contient un délai de prescription de cinq ans lorsqu’il y a eu manœuvres frauduleuses ou déclarations fausses ou sciemment incomplètes, délai qui, en sus, ne prend cours qu’à la date où l’institution a eu connaissance de la fraude, du dol ou des manœuvres frauduleuses en cause.

Celles-ci sont retenues en l’espèce, vu que l’intéressée a menti en remplissant les formulaires ad hoc. Sont également retenues au titre de ces manœuvres la création de fausses boîtes aux lettres, la rédaction d’un acte de partage de la maison par la création de deux appartements, ainsi encore que la domiciliation non déclarée d’étudiants. Tout, pour le tribunal, a ainsi été mis en place afin de créer une situation fictive dans le but de bénéficier des suppléments, auxquels la demanderesse n’avait pas droit. La prescription de cinq ans est dès lors retenue.

Pour ce qui est des suppléments pour travailleurs invalides, le tribunal vérifie les plafonds de revenus autorisés, et ce sur la base des informations communiquées par le SPF Finances. Dans cet examen, sont pris en compte les revenus du père. Le tribunal conclut, pour chacune des années en cause, au dépassement, de telle sorte que les suppléments ne peuvent être accordés. Il fait dès lors droit à la demande de FAMIWAL pour ce qui est des décisions de récupération prises.

Restent enfin la question des intérêts ainsi qu’une demande de confirmation du bien-fondé de retenues effectuées faisant l’objet d’une demande reconventionnelle. Le tribunal rappelle ici que l’indu relatif à des allocations familiales fait l’objet d’intérêts légaux, conformément à la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt (article 2, § 3).

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle très utilement les règles particulières dans le secteur des allocations familiales en cas de fraude aux allocations.

Sans que le commentaire ci-dessus ne puisse le reprendre, le système mis en place par le couple était particulièrement retors, l’enquête ayant eu du mal à être utilement poursuivie.

Le tribunal a repris les éléments généralement retenus au titre de manœuvres frauduleuses, étant la création de fausses boîtes aux lettres, d’un partage fictif de l’immeuble (en l’espèce officialisé par acte notarié), etc.

L’on peut également rappeler que constitue également un tel indice la mise en place d’inscriptions domiciliaires séparées, question sur laquelle l’on peut renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Namur, 23 janvier 2018, R.G. 2017/AN/68 – précédemment commenté).

La spécificité des règles de prescription en la matière consiste essentiellement dans le point de départ de celle-ci, qui est non le paiement des allocations (date) mais le moment où la caisse a été informée de l’existence de l’indu. Ceci permet d’allonger considérablement la période pour laquelle les allocations sont récupérables.

Relevons encore que la Cour constitutionnelle est intervenue dans un arrêt du 21 janvier 2021 (n° 9/21) et a jugé dans celui que la fixation du point de départ du délai de prescription à la connaissance, par l’institution de sécurité sociale, de la fraude, du dol ou des manœuvres frauduleuses de l’assuré social tend à lutter contre la fraude sociale, dans le respect d’un juste équilibre entre l’objectif de sécurité juridique que poursuit un délai de prescription, la protection des assurés sociaux et le souci d’assurer l’effectivité de la récupération de sommes frauduleusement obtenues.


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