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Libre circulation des travailleurs : un PACS doit-il être inscrit officiellement dans l’Etat d’emploi aux fins d’obtenir une pension de survie ?

Commentaire de C.J.U.E., 8 décembre 2022, Aff. n° C-731/21 (GV c/ CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION), EU:C:2022:69

Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023


Cour de Justice de l’Union européenne, 8 décembre 2022, Aff. n° C-731/21 (GV c/ CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE PENSION), EU:C:2022:69

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 décembre 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne a jugé la loi luxembourgeoise non conforme à l’article 45 TFUE et au Règlement n° 492/2011 en ce qu’elle impose aux partenaires d’un PACS régulièrement conclu et enregistré dans un autre Etat membre de le faire inscrire dans le Répertoire civil luxembourgeois aux fins d’obtenir une pension de survie.

Les faits

La requérante, de nationalité française, a fait enregistrer, avec son partenaire, une déclaration conjointe de pacte civil de solidarité (PACS) en France. Le couple prestait au Luxembourg. Le partenaire de la requérante est décédé suite à un accident du travail. Celle-ci a sollicité, suite au décès, l’octroi d’une pension de survie auprès de la Caisse nationale luxembourgeoise d’assurance pension (CNAP). Cette demande a été rejetée, le PACS n’ayant pas été inscrit au répertoire civil luxembourgeois du vivant des deux parties. La CNAP considère en conséquence qu’il n’est pas opposable aux tiers.

Un recours a été interjeté auprès du Conseil arbitral de la sécurité sociale, recours rejeté. Ce rejet a été confirmé en appel par le Conseil supérieur de la sécurité sociale.

Un pourvoi a été formé devant la Cour de cassation luxembourgeoise, pourvoi dans lequel la requérante invoque notamment la violation des articles 18 et 45 TFUE, relatifs à l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité (article 18) et au droit à la libre circulation des travailleurs (article 45), ainsi que le Règlement n° 492/2011.

La Cour de cassation a statué par arrêt du 25 novembre 2021. Elle a écarté une discrimination directe mais s’est posé la question d’une discrimination indirecte, étant que l’obligation contenue dans la loi nationale pour les partenaires qui ont déjà fait enregistrer leur partenariat dans un autre Etat membre de le faire inscrire également au répertoire civil luxembourgeois aux fins notamment de percevoir une pension de survie affecte plus particulièrement les travailleurs frontaliers.

Une question est dès lors posée à la Cour de Justice en ce sens, l’octroi d’une pension de survie au partenaire survivant d’un partenariat conclu dans l’Etat membre d’accueil étant subordonné à une seule condition, à savoir que le partenariat y a été valablement conclu et inscrit, alors que, s’agissant d’un partenariat valablement conclu et inscrit dans l’Etat membre d’origine, est exigée l’inscription de ce partenariat dans un répertoire tenu par ledit Etat aux fins de vérifier le respect des conditions de fond exigées par la loi de cet Etat membre pour reconnaître le partenariat et le rendre opposable aux tiers.

La décision de la Cour

La Cour écarte que puissent être applicables les articles 18 et 48 TFUE, invoqués dans la question préjudicielle. Elle retient comme fondement l’article 45 TFUE ainsi que l’article 7, § 2, du Règlement n° 492/2011.

Elle rappelle son arrêt O’FLYNN (C.J.U.E., 23 mai 1996, Aff. n° C-237/94, O’FLYNN c/ ADJUDICATION OFFICER, EU:C:1996:206), arrêt où elle a défini comme source de discrimination indirecte une disposition de droit national susceptible par sa nature même d’affecter davantage les travailleurs ressortissants d’autres Etats membres que les nationaux et qui risque par conséquent de défavoriser plus particulièrement les premiers, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi.

En l’espèce, la Cour constate que n’est pas imposée, pour ce qui est du partenariat conclu et enregistré dans un autre Etat membre, de condition supplémentaire par rapport à celle requise pour un partenariat conclu au Luxembourg. Elle note que, pour ce partenariat, il y a inscription effectuée à la diligence de l’Officier de l’état civil, ce qui est fait automatiquement et à l’initiative de celui-ci.

Il y a, pour le partenariat valablement conclu et déclaré dans un autre Etat membre, une inégalité de traitement, dont la Cour entreprend d’examiner si elle est objectivement justifiée et proportionnée.

En la matière, les autorités luxembourgeoises peuvent, en vertu de la loi, vérifier le respect des conditions de fond exigées par le Code de sécurité sociale pour l’octroi à une pension de survie. Pour la Cour, ceci est normal, la pension de survie étant financée par des fonds publics et le bénéficiaire devant établir qu’il était le partenaire du travailleur décédé.

Cependant, ce n’est pas cette vérification qui est contestée, la CNAP ayant justifié le refus d’octroi au seul motif de la non-inscription dans le répertoire civil luxembourgeois. Or, ceci est une faculté et non une obligation légale. Cette formalité ne peut dès lors être considérée comme indispensable pour vérifier que le partenariat répond aux conditions légales et assurer son opposabilité aux tiers.

La mesure n’est pas cohérente, au sens où la Cour l’exige dans sa jurisprudence (et celle-ci de renvoyer à C.J.U.E., 10 mars 2009, Aff. n° C-169/07, HARTLAUER HANDELSGESELLSCHAFT GmbH c/ WIENER LANDESREGIERUNG et OBERÖSTERREICHISCHE LANDESREGIERUNG, EU:C:2009:141 et C.J.U.E., 11 juillet 2019, Aff. n° C-716/17, A, EU:C:2019:598), dans laquelle elle enseigne qu’une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif recherché que si elle répond véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique.

Elle ajoute que le refus fondé pour ce motif va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi et qu’il y a un manquement au principe de proportionnalité.

La Cour conclut que les deux dispositions visées (article 45 TFUE et article 7 du Règlement n° 492/11) s’opposent à la réglementation luxembourgeoise.

Intérêt de la décision

L’affaire tranchée par la Cour de Justice dans cet arrêt du 8 décembre 2022 concerne essentiellement les travailleurs frontaliers. La Cour y a confirmé sa jurisprudence selon laquelle un ressortissant d’un autre Etat membre ne peut être défavorisé par rapport aux nationaux et qu’une mesure susceptible de créer une inégalité de traitement indirecte fondée sur la nationalité ne peut être appliquée.

Si, en l’espèce, les autorités luxembourgeoises doivent pouvoir vérifier le droit du partenaire survivant à la prestation sociale, l’exigence légale va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. Il y a un manquement au principe de proportionnalité. Pour la Cour, il serait suffisant de produire un document officiel émanant de l’autorité compétente de l’Etat membre où le PACS a été conclu. Elle ajoute qu’en tout état de cause, cette inscription pourrait se faire à la date à laquelle la prestation de sécurité sociale est demandée.

Dans cet arrêt, la Cour s’est notamment fondée sur une décision rendue le 11 juillet 2019 (Aff. n° C-716/17). Il s’agit d’une affaire fiscale, où elle a considéré contraire à l’article 45 TFUE une règle de compétence judiciaire prévue par la réglementation d’un Etat membre (s’agissant en l’espèce du droit danois) qui subordonne l’octroi d’une mesure d’effacement de créances à la condition que le débiteur ait son domicile ou sa résidence dans cet Etat. L’article 45 TFUE exige de la juridiction nationale de laisser appliquée la condition de résidence prévue par une règle nationale de compétence judiciaire telle que celle examinée.


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