Terralaboris asbl

Indemnisation en cas de rupture du contrat : quelques questions récurrentes

Commentaire de Trib. trav. Mons, 27 mars 2006, R.G. 14.064/05/M

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Mons, 27 mars 2006, R.G. n° 14.064/05/M

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 27 mars 2006, définitif, le tribunal du travail de Mons se penche sur le litige, très fourni, introduit par un cadre de haut niveau, licencié, qui sollicite notamment le paiement d’une indemnité complémentaire de préavis mais également d’une indemnité d’éviction et de dommages et intérêts pour atteinte à l’honorabilité et la réputation. De nombreuses problématiques sont abordées par ce jugement.

Les faits

Un cadre supérieur avait été occupé, dans un premier temps par une société X, en qualité de directeur général. Les associés de la société employeuse ayant cédé leurs parts à une autre société, le cadre démissionne de ses fonctions et conclut un contrat de consultance. Dans le cadre de son contrat, il exerce les mêmes fonctions que dans le cadre du contrat de travail précédemment conclu.

Par la suite, est conclu entre les mêmes parties, le 15 janvier 1992, un contrat de travail à durée indéterminée, dans le cadre duquel le demandeur exerce la même fonction, à savoir celle de directeur général. Cette fonction connaît des modifications en cours de contrat, étant qu’à partir de 1997, le cadre est affecté à des fonctions plus commerciales, quoique toujours managériales.

Il est finalement licencié en janvier 2005, moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. L’indemnité payée correspond à douze mois, soit le minimum qui avait été convenu dans le contrat de travail signé en 1992.

Postérieurement à la rupture du contrat, le cadre se voit, par le truchement d’un échange de courriers entre avocats, interdire de prendre contact avec les clients, et ce au motif de propos dénigrants qu’il aurait tenus sur la personne du dirigeant de la société anciennement employeur. Ne comprenant pas la chose, celui-ci s’adresse alors au client concerné, qui lui confirme n’avoir jamais porté de plainte de ce type. Ainsi, le licenciement et les griefs fallacieux ont été communiqués à des tiers.

Dans le cadre de l’action qu’il introduit auprès du tribunal du travail, le travailleur demande paiement d’une indemnité complémentaire de rupture, qu’il fixe à 23 mois, sollicitant notamment la prise en compte par le tribunal de son ancienneté depuis le début des relations contractuelles avec la première société. Une discussion existe également quant aux avantages à prendre en considération en vue de la détermination de la rémunération de base (prise en compte de bonus afférents à une période antérieure aux douze derniers mois, évaluation de l’avantage en nature que constitue l’usage privé du véhicule de société, ...).

Se fondant sur la fonction plus commerciale exercée en cours de contrat, le travailleur sollicite également une indemnité d’éviction, estimant qu’elle présente les caractéristiques de celle de « représentant de commerce » au sens légal.

Il introduit par ailleurs une demande de dommages et intérêts, vu les accusations gratuites portées à son encontre par son ancien employeur, ainsi qu’une demande de répétibilité d’honoraires. En outre, il sollicite que les intérêts soient calculés sur le brut et, enfin, par voie de conclusions, il introduit une demande visant le paiement de bonus afférents aux années antérieures au licenciement.

La décision du tribunal

Vu le nombre de demandes introduites par le travailleur et la défense qui a été faite de la part de la société, le tribunal du travail a été amené à se prononcer sur un nombre important de points d’ordre factuel ou juridique, qu’il est impossible de décrire exhaustivement dans le présent commentaire. Seuls seront dès lors retenus certains points tranchés par le tribunal.

Quant à la fixation de l’indemnité compensatoire de préavis, le tribunal se prononce en premier lieu sur les avantages qu’il convient de prendre en considération pour la fixation de la rémunération de base. A cet égard, le jugement contient un rappel des différentes thèses doctrinales et jurisprudentielle quant à l’évaluation de l’avantage constitué par l’usage privé du véhicule de société. En l’espèce, aucune participation personnelle n’était demandée au travailleur pour l’utilisation privée du véhicule (Jaguar), le tribunal évalue l’avantage à 500 € par mois, vu notamment l’absence de limite à l’utilisation privée du véhicule.

Quant à la question de l’incorporation de la somme demandée par le travailleur au titre de bonus (et pécules de vacances sur les bonus), le tribunal relève tout d’abord que les primes allouées effectivement au travailleur au cours des douze derniers mois précédant la rupture peuvent être incorporées dans la rémunération de base.

S’interrogeant sur la pertinence de cette incorporation lorsque les bonus ou primes ont été payés dans les douze mois précédant le licenciement mais sont relatifs à une période antérieure, le tribunal s’appuie, pour trancher la question, sur un arrêt de la Cour de Cassation du 2 février 2003. Pour le tribunal, sur la base de cette décision, l’on ne peut prendre en considération les montants payés pendant les douze derniers mois dès lors qu’ils sont afférents à une période antérieure. En l’espèce, le travailleur sollicitait l’incorporation d’un bonus payé dans les douze derniers mois mais qui aurait dû déjà faire l’objet d’un paiement en-dehors de cette période ainsi que sur des bonus qui n’ont cependant pas été effectivement versés au travailleur, notamment eu égard à l’absence des résultats financiers attendus et au fait que le bonus aurait dû versé à une certaine date, à laquelle le travailleur n’était plus en fonction.

Quant à l’ancienneté, qui faisait également l’objet d’une discussion entre parties, le tribunal fixe les principes suivants en matière de prise en compte d’une ancienneté lorsque l’employeur a changé (et qu’il y a donc eu plusieurs personnes juridiques différentes en qualité d’employeur) :

  • les périodes d’occupation ne doivent pas avoir été interrompues ;
  • le travailleur doit avoir été occupé par les différents employeurs en exécution de contrat de travail et non en raison d’une autre qualité ;
  • le travailleur doit avoir été au service d’une même unité technique d’exploitation.

En l’espèce, le travailleur souhaitait faire prendre en compte au titre d’ancienneté les prestations effectuées antérieurement à la conclusion du contrat à durée indéterminée avec la société employeur, étant une première période d’occupation en qualité de travailleur salarié pour un autre être juridique (dont les parts sociales ont été cédées) ainsi que la période d’occupation en qualité de travailleur indépendant. Pour ce qui est de cette dernière période, le tribunal rappelle que la qualité du travailleur n’était pas la même, de sorte que les prestations effectuées dans ce cadre ne peuvent en tout état de cause être prises en compte. Le travailleur avait quant à lui fait valoir, à titre subsidiaire, qu’il y avait néanmoins, pour cette période de travail en qualité de travailleur indépendant, lien de subordination, et ce eu égard au fait que les fonctions sont toujours restées les mêmes. Pour le tribunal, n’étant pas saisi d’une demande de requalification en contrat de travail du contrat de consultance, il n’y a pas lieu d’examiner ce point. Quant à la période antérieure (occupation en tant que salarié précédant l’occupation en qualité de travailleur indépendant), le tribunal relève qu’il y a eu démission dans le chef du travailleur, de sorte que cette période ne peut, non plus, être prise en considération.

Enfin, le travailleur soutenait qu’il y avait matière à prendre en compte une ancienneté de nature conventionnelle, remontant au début des relations contractuelles avec la première société. Le tribunal relève que cette ancienneté conventionnelle n’est pas reprise au contrat de travail signé par les parties, alors qu’elle faisait partie du projet de contrat en négociation. Ceci signifie que l’option d’accorder une ancienneté conventionnelle au travailleur a été abandonnée lors des négociations préalables à la conclusion du contrat de travail à durée indéterminée. Quant à l’argument du travailleur, qui faisait valoir que cette ancienneté conventionnelle ressortait à suffisance des documents sociaux et pièces internes à l’entreprise, le juge estime qu’ils ne peuvent être pris en considération, étant des sources d’obligations d’un rang inférieur au contrat de travail conclu. En conséquence, le tribunal ne retient l’ancienneté qu’à partir de l’année 1992.

Enfin, sur la question de la fixation de l’indemnité complémentaire réclamée par le travailleur, le tribunal la fixe eu égard à un examen de la jurisprudence existant dans des cas similaires.

Le jugement comprend également un très intéressant rappel des principes en matière d’indemnité d’éviction, portant essentiellement sur la définition de la qualité de représentant de commerce au sens où l’entend la loi du 3 juillet 1978. Le tribunal retient que, pour obtenir cette qualité, le travailleur doit non seulement prospecter et/ou visiter une clientèle mais également négocier des affaires avec cette clientèle. Quoiqu’il ne soit pas requis que des affaires soient effectivement conclues dans le cadre de la mission de prospection et de conclusion d’affaires du représentant de commerce, le critère de la négociation et de la conclusion d’affaires demeure cependant, étant entendu que l’activité doit présenter un caractère principal et constant et qu’elle doit se poursuivre jusqu’à la fin des relations contractuelles.

Statuant sur le cas d’espèce soumis, le tribunal relève, au travers d’une analyse fouillée des éléments du dossier de pièces soumis par les parties, que les tâches exercées par le travailleur ne peuvent être assimilées à des tâches de représentant de commerce, les fonctions exercées relevant en réalité plus d’une mission de développement d’une stratégie commerciale, dont la négociation de contrats cadre, définissant les conditions générales auxquelles l’employeur entendait soumettre la vente de ses produits à sa clientèle. La qualité de représentant de commerce n’étant pas reconnue, le tribunal déboute le travailleur de sa demande d’indemnité d’éviction, sans examiner la question de l’apport de clientèle. A cet égard, il rappelle opportunément que, si la clause de non concurrence permet de présumer l’apport de clientèle, celle-ci ne présume en rien de la qualité même de représentant de commerce.

Statuant sur la demande incidente formée par le travailleur en vue de l’obtention d’arriérés de bonus, le tribunal est alors amené à se prononcer sur la recevabilité d’une telle demande, introduite en cours de litige par voie de conclusions. Examinant les conditions imposées par l’article 807 du Code judiciaire, il relève que les demandes originaires reposaient toutes sur la rupture du contrat de travail alors que la demande nouvelle repose elle sur l’exécution de celui-ci. En conséquence, le tribunal estime que la simple mention de l’existence d’un contrat dans la citation introductive d’instance ne peut constituer un fait ou un acte invoqué dans la citation. Il est à noter que dans ce jugement, le tribunal fait application d’une conception juridique de la cause, étant les faits et/ou actes juridiques à la base du litige. La demande est dès lors déclarée irrecevable.

Quant aux dommages et intérêts sollicités par le travailleur, le tribunal rejette les objections formées par l’employeur, qui alléguait que la publicité qui avait été donnée aux accusations gratuites proférées était le fait du demandeur lui-même. Pour le tribunal, à partir du moment où la société tentait d’imposer au travailleur de ne plus prendre contact avec la clientèle eu égard à des propos dénigrants qui n’ont cependant pas été tenus par celui-ci, il est logique qu’il s’adresse au client concerné afin d’obtenir les explications nécessaires. Pour le tribunal, c’est bien la faute initiale de la société, qui n’a pas hésité à mentir quant aux propos tenus par le client, qui est à l’origine du dommage causé au travailleur. Celui-ci est un dommage moral, que le tribunal identifie comme étant l’obligation pour le travailleur de contacter le client concerné aux fins d’entendre des explications et de la sorte d’être contraint de donner une publicité intempestive à l’événement. Le dommage subi est évalué ex aequo et bono à la somme de 2.500 €.

En ce qui concerne la demande de répétibilité des honoraires de l’avocat du demandeur, le tribunal relève qu’il y a lieu de faire une distinction entre les dettes de sommes et les dettes de valeurs, les premières, étant soumises à l’article 1153 du Code civil au contraire des secondes, ce qui constitue une éventuelle violation du principe d’égalité entre le créancier d’une dette de sommes et le créancier d’une dette de valeurs. Relevant que des questions préjudicielles ont été posées à la Cour d’Arbitrage sur ce point, le tribunal réserve à statuer.

Enfin, en ce qui concerne la demande d’intérêts, la discussion portait en l’espèce sur la fixation de la base de calcul des intérêts, le brut ou le net. Pour le tribunal, la loi du 26 juin 2002, qui modifie l’article 10 de la loi du 12 avril 1985, ne constitue pas une loi interprétative. Le tribunal se fonde à cet égard sur un examen approfondi des travaux préparatoires et des avis du Conseil national du travail.

Par ailleurs, le tribunal estime qu’en fixant la date d’entrée en vigueur de l’article 82 de la loi du 26 juin 2002, le Roi, dans son arrêté royal du 3 juillet 2005, n’a pas méconnu les principes applicables (droit transitoire) et n’a pas dérogé au principe de la non rétroactivité des lois. Pour le tribunal, la nouvelle disposition ne s’applique dès lors qu’aux dettes exigibles à partir du 1er juillet 2005, ce qui n’est pas le cas dans le dossier.


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