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Validité d’une condition résolutoire dans un contrat de travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 21 novembre 2022, R.G. 20/3.302/A

Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 21 novembre 2022, R.G. 20/3.302/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 21 novembre 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège), saisi d’une rupture invoquée au motif de la réalisation d’une condition résolutoire, rappelle la distinction entre celle-ci et la clause résolutoire expresse.

Les faits

Une société, liée à un client par une convention de services, engage un consultant contrôleur qualité en vue de l’exécution de celle-ci. Le contrat de travail est conclu à durée indéterminée, son article 2 précisant qu’il prendra fin de plein droit « (...) dans l’hypothèse où le client mettrait fin à la convention de services conclue entre le client et l’employeur. La fin du contrat de travail interviendrait alors au jour de la fin de ladite convention de prestation de services ».

Neuf mois plus tard, la société met fin aux relations de travail sur le champ, invoquant la condition résolutoire ci-dessus. Elle précise que son client a notifié la fin du contrat de prestation de services exécuté par lui avec effet à la date à laquelle la rupture du contrat de travail est d’ailleurs notifiée. La rupture intervient sans préavis ni indemnité, avec effet immédiat. Il est demandé à l’intéressé de restituer le matériel de l’entreprise.

Celui-ci conteste, via son organisation syndicale, quatre mois plus tard. Il demande communication de la convention conclue avec le client ainsi que la preuve de la fin de celle-ci. L’ex-employeur répond alors que la fin du contrat est intervenue verbalement, et ce dans les bureaux du client. Il indique avoir demandé une confirmation écrite, confirmant la date de fin. Celle-ci est communiquée en annexe au courrier. L’employeur fait alors des griefs quant au comportement professionnel de l’intéressé.

L’échange de courriers se poursuit entre l’organisation syndicale et la société, le syndicat rappelant les conditions de validité d’une condition résolutoire. Le courrier du client n’ayant pas expressément confirmé qu’il avait été mis fin à la convention mais uniquement « à la mission » de l’employé, l’organisation syndicale estime qu’elle ne trouvait pas à s’appliquer lors de la rupture du contrat intervenue. Un préavis aurait dû être fixé ou une indemnité compensatoire de préavis payée, ce qui n’a pas été le cas. Aussi, une indemnité de sept semaines est-elle réclamée.

Les parties restant sur leur position, une procédure est introduite par le travailleur devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège).

La décision du tribunal

Le tribunal est saisi d’un seul chef de demande, étant l’indemnité compensatoire de préavis due au motif pour le travailleur que la condition ne pouvait s’appliquer.

Le tribunal reprend, dès lors, les règles en matière de condition résolutoire. Il en donne d’abord la définition : c’est un événement futur mais incertain dont les parties font dépendre l’extinction d’une obligation.

Renvoyant au Compendium social (W. van EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, Compendium social, tome 3, p. 2368), le tribunal rappelle qu’il faut distinguer la condition résolutoire et la clause résolutoire expresse. Il ne peut être question de condition résolutoire que si la résolution dépend d’une condition indépendante de l’exécution (ou de l’inexécution) des obligations contractuelles. Si la condition est liée à l’idée d’une inexécution fautive des obligations, il s’agit d’une clause résolutoire expresse au cas où une des parties ne satisferait pas à son engagement.

Le tribunal reprend, ensuite, les conditions de validité de la conclusion d’une telle condition résolutoire, étant que (i) elle ne peut être contraire aux dispositions impératives ou d’ordre public, (ii) elle doit être décrite clairement (sans équivoque), (iii) ne pas conduire à ce que l’on puisse mettre fin au contrat de travail par la seule volonté d’une des parties sans prendre en compte les règles impératives en matière de préavis et (iv) répondre aux conditions spécifiques contenues dans la loi du 3 juillet 1978.

En l’espèce, pour le tribunal, ce n’est pas une clause résolutoire qui figure dans le contrat de travail mais une condition résolutoire. Pour le travailleur, la condition (à savoir la fin de la convention de prestation de services) n’est pas réalisée et aucune preuve n’en est apportée par l’employeur. Il rappelle qu’il a, dans l’écrit du client joint au courrier adressé en réponse par l’employeur, été mis fin à sa mission (le tribunal souligne), et ce lors d’une réunion.

Pour le travailleur, il n’y a pas de clause résolutoire expresse (manquement d’une partie), les critiques surgies à propos de manquements professionnels n’ayant jamais été évoqués auparavant.

Il plaide également le caractère irrégulier de la condition résolutoire, celle-ci exigeant un événement futur et incertain qui doit se produire, alors que la mission pouvait être évaluée dans le temps.

Le tribunal retient des explications des parties qu’il semble que le client n’ait pas été satisfait du consultant et qu’il ait décidé de mettre fin à sa mission. Il relève qu’aucun lien contractuel n’unissait ce dernier à ladite société et suit la position du demandeur selon laquelle la preuve de la fin de la convention de prestation de services n’est pas apportée.

Il fait dès lors droit à la demande et accorde l’indemnité compensatoire de préavis.

Enfin, pour ce qui est de la prime de fin d’année de secteur réclamée par le travailleur, le tribunal ne suit pas davantage la thèse de la société selon laquelle l’intéressé n’aurait pas été licencié. Dès lors que l’indemnité compensatoire est due, la prime de fin d’année l’est également.

Intérêt de la décision

Dans cette décision du Tribunal du travail de Liège est abordée une limitation contractuelle à l’application des règles en matière de rupture du contrat de travail prévues par la loi du 3 juillet 1978. Il s’agit de la question de la clause ainsi que de la condition résolutoire, figurant dans le contrat de travail et acceptée par les deux parties.

Le tribunal a rappelé la distinction faite en doctrine sur les deux notions, la clause résolutoire étant en règle la clause résolutoire expresse liée à une inexécution fautive. La condition résolutoire est distincte, faisant dépendre la fin du contrat de travail d’un événement futur et incertain qui doit se produire. L’insertion d’une telle clause dans un contrat de travail comporte des risques évidents.

Rappelons d’abord que les conditions de validité de cette condition sont strictes. En outre, la doctrine citée dans le jugement rappelle que la jurisprudence ne retient en général pas la distinction entre la clause résolutoire et la condition résolutoire (citant notamment C. trav. Bruxelles, 4 avril 2017, J.T.T., 2017, p.476).

Par ailleurs, certaines clauses résolutoires expresses sont interdites (mariage, maternité, réalisation de l’âge de la pension légale ou conventionnelle (art. 36 LCT) ou saisie sur rémunération suite à un contrat de crédit conclu dans le cadre de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation (art. 36bis).

Enfin, ne peut être conclue une clause par laquelle l’employeur est autorisé à modifier unilatéralement une condition essentielle du contrat ayant pour effet d’alourdir les obligations du travailleur (art. 25 LCT).


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