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Examen d’une demande sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 : quid de l’ordre de quitter le territoire ?

Commentaire de C.J.U.E., 20 octobre 2022, Aff. n° C-825/21 (UP c/ CPAS DE LIEGE), EU:C:2022:810)

Mis en ligne le vendredi 14 avril 2023


Cour de Justice de l’Union européenne, 20 octobre 2022, Aff. n° C-825/21 (UP c/ CPAS DE LIEGE), EU:C:2022:810)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 octobre 2022, répondant à la question posée par la Cour de cassation dans son arrêt du 13 décembre 2021, la Cour de Justice conclut que le retrait implicite d’un ordre de quitter le territoire (notifié antérieurement) découlant de l’octroi d’une autorisation de séjour suite à l’acceptation de la recevabilité d’un recours sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 n’est pas incompatible avec l’article 6, par. 4 de la Directive 2008/115/CE.

Rétroactes

La Cour de Justice a été saisie par la Cour de cassation belge dans un arrêt du 13 décembre 2021 (Cass., 13 décembre 2021, S.17.0054.F). L’arrêt de la Cour de cassation a été précédemment commenté.

La question porte sur la compatibilité avec l’article 6, par. 4 de la Directive 2008/115/CE de la règle en vertu de laquelle en cas de délivrance d’un ordre de quitter le territoire, si une demande ultérieure de séjour est introduite pour raisons médicales et qu’elle est déclarée recevable, il y a retrait implicite de la décision de retour, la recevabilité de la demande ayant entraîné l’octroi d’une autorisation conférant le droit au séjour.

Un pourvoi avait été formé contre un arrêt de la Cour du travail de Liège du 15 mars 2017. Selon la cour du travail, pour les demandeurs d’asile, le séjour est illégal en cas de rejet de la demande et de la notification d’un ordre de quitter le territoire. Un tel ordre avait été notifié à l’intéressée. Il était exécutoire et n’avait pas été annulé après que la demande d’autorisation de séjour (sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980) avait été déclarée recevable. La cour du travail a considéré que l’ordre de quitter le territoire avait été prolongé (conformément à l’article 52/3 de la loi du 15 décembre 1980) et qu’il n’avait dès lors pas été retiré de l’ordonnancement juridique. L’aide sociale devait dès lors être limitée à l’aide médicale urgente.

La requête en cassation se fonde sur les articles 1er et 57 §§ 1er et 2 de la loi du 8 juillet 1976, 9ter et 52/3 de la loi du 15 décembre 1980 et 7, al. 2 et 8 de l’A.R. du 17 mai 2007.

Pour la demanderesse en cassation, la délivrance de l’attestation d’immatriculation indique que l’étranger est autorisé à séjourner sur le territoire, fût-ce de manière temporaire et précaire, et que ceci implique le retrait implicite de l’ordre de quitter le territoire antérieurement notifié. En conséquence, la cour du travail ne pouvait conclure au caractère illégal du séjour et limiter l’intervention du CPAS à l’aide médicale urgente.

Les conclusions du Ministère Public

Dans le commentaire fait précédemment de l’arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 2021, les conclusions de Mme l’Avocat Général B. INGHELS ont été longuement reprises, celle-ci ayant conclu par la suggestion de poser à la Cour de Justice une question préjudicielle portant sur le retrait implicite de la décision de retour précédemment adoptée dans le contexte de la procédure d’asile, à partir des articles 6 et 8 de la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 208 relative aux procédures applicables dans les Etats membres au retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

La Cour de cassation a interrogé la Cour de Justice.

L’arrêt de la Cour de Justice

La Cour reprend dans son exposé des faits l’évolution du litige avec les décisions du CPAS intervenues en 2016 (3 décisions) retirant à l’intéressée l’aide sociale, le recours de cette dernière contre ces décisions ayant été rejeté par le tribunal du travail de Liège ainsi que par la cour dans l’arrêt ci-dessus.

Elle précise que l’ordre de quitter le territoire a été ‘suspendu dans ses effets tout en subsistant’ et que ‘cette suspension a pris fin lorsque les attestations d’immatriculation ont cessé d’être accordées’, le séjour devenu illégal entraînant la limitation de l’aide sociale à l’aide médicale urgente.

La Cour aborde ensuite la question de la recevabilité de la question préjudicielle et, renvoyant aux termes de celle-ci, elle acte que, pour le juge belge, afin de trancher le litige au principal, il est nécessaire d’examiner au préalable si les dispositions de la Directive 2008/115 s’opposent à une disposition nationale prévoyant que lorsque le droit de séjour est octroyé à un ressortissant de pays tiers ayant introduit une demande d’autorisation de séjour pour un des motifs relevant de l’article 6, par. 4 de la Directive 2008/115, en raison du caractère recevable de cette demande, l’octroi de ce droit entraîne le retrait implicite de la décision de retour notifiée précédemment à l’égard de ce ressortissant après le rejet de sa demande.

La Cour rejette dès lors, vu le libellé de la question, l’interprétation du droit en cause telle que défendue par le gouvernement belge selon laquelle l’autorisation accordée au ressortissant de pays tiers d’une part ne lui confère pas un droit de séjour et d’autre part entraîne uniquement la suspension des effets de la décision de retour.

La Cour précise qu’il appartiendra au juge de renvoi d’appliquer le droit national applicable au litige en vérifiant notamment si l‘article 1/3 de la loi sur les étrangers (loi du 15 décembre 1980) telle que modifiée par la loi accueil entrée en vigueur en cours de procédure est applicable au litige.

La Cour rappelle que rien n’empêche un Etat membre d’accorder un droit de séjour à un ressortissant ayant introduit une demande d’autorisation de séjour pour l’un des motifs figurant à l‘article 6, par. 4 de la directive (motifs charitables, humanitaires ou autres) en raison du caractère recevable d’une telle demande dans l’attente de l’issue du traitement de celle-ci sur le fond.

De même, l’Etat membre peut prévoir que l’octroi d’un tel titre de séjour entraîne le retrait implicite de la décision de retour notifiée antérieurement.

S’agissant d’une demande d’autorisation de séjour pour motifs charitables, humanitaires ou autres au sens de l’article 6, par. 4 de la directive, la Cour conclut que cette disposition permet explicitement aux Etats membres de prévoir que l’octroi d’un titre de séjour autonome ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour à un ressortissant de pays tiers entraîne l’annulation d’une décision de retour antérieurement notifiée.

Elle répond dès lors que la disposition en cause ne s’oppose pas à une réglementation d’un Etat membre selon laquelle lorsque le droit de séjour est octroyé en raison du caractère recevable de la demande dans l’attente de l’issue du traitement d’une demande d’autorisation de séjour pour des motifs repris à cette disposition, l’octroi de ce droit entraîne le retrait implicite de la décision de retour suite au rejet de la demande de protection internationale.

Intérêt de la décision

La question du droit à l’aide sociale après la décision sur la recevabilité de la demande de séjour 9ter voit ici franchie une étape importante.

L’on notera que la Cour de Justice a précisé dans son examen de la recevabilité de la question posée que vu les termes de celle-ci la règle (nous soulignons) de droit interne prévoit que dans le contexte visé l‘octroi du droit de séjour entraîne le retrait implicite de la décision de retour. La question formulée par la Cour de cassation porte sur la confrontation des articles 6 et 8 de la directive à la règle de droit interne (et non à l’interprétation du droit interne - comme mentionné dans la question proposée par Mme l’Avocat Général) selon laquelle la délivrance de l’autorisation conférant un droit de séjour pendant l’instruction de sa demande pour raisons médicales entraîne la suspension de la décision de retour. La Cour précise que vu que ce libellé ‘postule que le droit belge comporte une telle règle’, l’interprétation de ce droit défendue par le Gouvernement belge ne peutt être prise en compte par la Cour (interprétation selon laquelle l’autorisation ne confère pas un droit de séjour et qu’elle entraîne uniquement la suspension des effets de l’ordre de quitter le territoire).

Il ressort dès lors nettement de la décision de la Cour que n’est pas incompatible avec l’article 6, par. 4 de la directive 2008/115 l’octroi du droit de séjour pendant l’examen de la demande (après la décision sur la recevabilité), ce qui entraîne le retrait implicite de l’ordre de quitter le territoire et doit permettre l’octroi de l’aide sociale ordinaire.


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