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Chômage temporaire COVID-19 et activité accessoire

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 décembre 2022, R.G. 2022/AL/322

Mis en ligne le vendredi 7 avril 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 21 décembre 2022, R.G. 2022/AL/322

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 décembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les conditions d’exercice d’une activité accessoire pendant une mise en chômage temporaire COVID-19.

Les faits

Une employée a sollicité le bénéfice d’allocations de chômage temporaire en mars 2020 (demande simplifiée – COVID-19). Elle a entamé une activité indépendante à titre complémentaire en août 2020 (vente de produits alimentaires), sans faire la déclaration requise.

Lors de son audition, qui interviendra en janvier 2021, elle déclare qu’elle n’était pas au courant d’obligations à sa charge dans le cadre de la réglementation chômage, expliquant avoir pris ses renseignements auprès d’un secrétariat social.

L’ONEm a pris une décision d’exclusion sur pied des articles 44, 45 et 48 de l’arrêté royal, ainsi que de récupération des allocations indûment perçues. Il a également décidé de ne plus octroyer d’allocations depuis l’exercice de l’activité en cause, non compatible avec les conditions de l’article 48 de l’arrêté royal.

L’intéressée a introduit un recours devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui l’a accueilli partiellement, limitant la récupération de l’indu.

Appel est interjeté par l’intéressée.

Position des parties devant la cour

L’appelante sollicite l’annulation de la décision administrative et, subsidiairement, la limitation de la récupération de l’indu aux allocations perçues pour les jours prestés. Plus subsidiairement, elle demande que l’indu soit réduit au montant brut des revenus perçus dans le cadre de l’activité complémentaire. Pour elle, il y a faute de l’ONEm eu égard aux articles 3 et 4 de la Charte de l’assuré social, le document C3.2 ne reprenant aucune information contenant l’interdiction de l’activité accessoire ou encore les conditions de cumul des allocations de chômage temporaire « force majeure Corona » et d’une telle activité. Elle souligne encore que les règles dérogatoires apparaissant dans les FAQs et les fiches d’informations sont complexes et confuses, de même que les déclarations politiques sur la question.

Quant à l’ONEm, il sollicite la confirmation du jugement sur le principe et ne s’oppose pas à la limitation de la récupération, pour autant qu’elle soit objectivée et quantifiée. Il rappelle que l’indu de départ a été fixé à une somme de l’ordre de 2.140 euros.

La décision de la cour

Après le rappel des articles 44, 45 et 48 de l’arrêté royal, la cour en reprend la ratio legis : il s’agit de permettre au chômeur qui exerçait une activité accessoire au moment où il avait une autre activité professionnelle de la conserver. Dans la mesure où elle ne l’empêchait pas d’avoir une activité principale, elle ne peut constituer un frein à la recherche d’emploi.

La cour rappelle également que cette activité accessoire ne doit pas être mentionnée sur la carte de contrôle, sauf pour les prestations accomplies les samedis et dimanches (article 48, § 1er) ainsi que pour les prestations en semaine entre sept et dix-huit heures.

La crise du COVID a amené le Roi à déroger à l’article 44, permettant au chômeur temporaire d’exercer une activité accessoire avec maintien du droit aux allocations, pourvu que celle-ci ait déjà été exercée dans le courant des trois mois précédant le premier jour de ce chômage temporaire. La période concernée s’étend du 1er février au 31 août 2020 et du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2022.

En cas de travail non autorisé, dans la mesure où le chômeur établit qu’il n’a travaillé que certains jours ou certaines périodes, la récupération est limitée à ceux-ci. Elle peut cependant être limitée au montant brut des revenus dont le chômeur a bénéficié et qui n’étaient pas cumulables avec les allocations, ceci à la condition qu’il prouve sa bonne foi ou lorsque le directeur du bureau de chômage décide de n’appliquer comme sanction qu’un avertissement (article 157bis).

Enfin, renvoyant à la doctrine de H. MORMONT (H. MORMONT, « La charge dans la preuve dans le contentieux judiciaire de la sécurité sociale », R.D.S., 2013/2, p. 382), la cour rappelle que c’est au chômeur qui prétend être privé de travail qu’il incombe d’en rapporter la preuve.

Elle examine, ensuite, les éléments du dossier.

Le premier point de son analyse concerne le respect de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. Elle rappelle l’intérêt de la motivation formelle telle que précisée dans les travaux préparatoires de la loi, et ce tant pour l’administré que pour l’administration elle-même. Le but poursuivi est d’introduire dans le système administratif belge une législation autonome en vertu de laquelle l’obligation de motiver formellement les actes des autorités administratives est un principe général, ceci étant la contrepartie du droit fondamental de l’administré d’être informé des motifs de la décision qui le concerne.

Cette obligation de motivation se retrouve à l’article 13 de la Charte de l’assuré social et la cour rappelle que son défaut entraîne l’annulation de la décision, ce qui amène le juge saisi à se substituer à l’autorité administrative dans l’examen du droit subjectif du demandeur. Ces principes sont respectés en l’espèce et la cour considère devoir ne pas annuler la décision (régulièrement motivée en droit et en fait).

Elle examine dès lors le droit de l’intéressée aux allocations, rappelant que la réglementation nouvelle permet au chômeur temporaire de cumuler, sans autre formalité, une activité accessoire ainsi que les allocations de chômage, et ce à une seule condition, étant d’avoir déjà exercé celle-ci dans le courant des trois mois précédant le premier jour de chômage temporaire « force majeure Corona ». En l’espèce, l’intéressée a entamé cette activité après sa mise au chômage et la condition d’octroi n’était dès lors pas remplie. La cour confirme en conséquence la décision de l’ONEm.

Elle envisage ensuite la question d’une faute de l’Office, étant un manquement à son obligation d’information et de conseil, ainsi qu’au principe général de sécurité juridique et de légitime confiance.

Pour le premier point, elle reprend l’arrêté royal du 19 décembre 1997, qui a adapté au secteur les obligations de la Charte, ainsi que celles prévues à l’arrêté royal organique concernant les obligations des organismes de paiement, ceux-ci ayant pour mission de conseiller gratuitement le travailleur et de lui fournir toutes les informations utiles concernant ses droits et devoirs en matière de chômage (article 24, § 1er, alinéa 1er, 3°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991). Par « informations utiles », il faut comprendre notamment les formalités que le chômeur doit respecter pour l’introduction d’un dossier complet en temps utile, son inscription comme demandeur d’emploi, la déclaration de sa situation personnelle et familiale, ainsi que le contrôle des périodes de chômage complet (même disposition, alinéa 3, 3°). Si une demande d’information n’est pas de la compétence de l’organisme de paiement, c’est à l’ONEm, en exécution des articles 3 et 4 de la Charte (ainsi que de l’article 7, § 1er, alinéa 3, i) et m), et § 2, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944) de fournir celle-ci. A défaut de respecter leurs obligations, l’ONEm et l’organisme de paiement peuvent être condamnés à des dommages et intérêts, sur pied de l’article 1382 du Code civil. En l’espèce, l’intéressée n’a fait aucune demande d’information auprès de ces institutions (n’ayant interrogé que le secrétariat social). Il ne peut dès lors être reproché aucun manquement de l’ONEm à son obligation de proactivité.

Quant au principe de sécurité juridique et de légitime confiance, aucune pièce du dossier ne permet de considérer, selon la cour, que l’ONEm aurait induit l’intéressée en erreur. Si la crise sanitaire a assoupli certaines règles, aucune information émanant de l’ONEm ne précise que le chômeur temporaire était autorisé à entamer une activité en période de chômage. Toutes les informations données concernent l’exercice d’une activité déjà existante.

Enfin, sur la limitation de la récupération, celle-ci ne peut être retenue sur la base des jours réellement prestés, puisque ceux-ci ne sont pas objectivement connus. La cour estime cependant pouvoir admettre cette limitation au montant brut des revenus non cumulables. La récupération est dès lors limitée à celui-ci, étant de l’ordre de 660 euros.

Intérêt de la décision

L’assouplissement de la réglementation en matière de chômage temporaire dans le cadre de la crise du COVID-19 a permis, en dérogeant à l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, la poursuite d’une activité accessoire déjà exercée par le chômeur avant sa mise en chômage temporaire. Celle-ci est liée à une seule condition essentielle, étant d’avoir été exercée pendant trois mois de date à date avant cette mise en chômage.

En l’espèce, s’agissant d’une activité qui ne remplissait pas cette condition, c’est à bon droit que la cour – comme le tribunal – a confirmé la position de l’ONEm.

L’on notera avec intérêt que la question de l’exercice de cette activité accessoire a déjà fait l’objet de recours, que ce soit à propos de l’arrêté royal du 30 mars 2020 que de celui du 22 juin 2020. Ainsi,

  • dans un jugement du 20 juin 2020 (Trib. trav. Liège, div. Liège, 20 juin 2022, R.G. 21/1.773/A – précédemment commenté), le Tribunal du travail de Liège rappelle que les mesures d’urgence prises suite à l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 en vue de limiter la propagation du virus COVID-19 ont entraîné la fermeture de tous les secteurs d’activités, sauf exceptions. S’inscrivant dans le cadre de l’article 26, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978, l’arrêté de pouvoirs spéciaux n° 37 du 24 juin 2020 a pris des mesures en lien avec une situation de force majeure temporaire résultant de la pandémie de COVID-19. Depuis lors, l’ONEm a accepté une application souple de la notion de force majeure, instaurant une procédure simplifiée et une conception élargie de la notion. Toutes les situations de chômage temporaire liées au COVID-19 ont ainsi été considérées comme du chômage temporaire pour des raisons de force majeure, et ce même s’il était par exemple encore possible de travailler certains jours ou de faire travailler une partie du personnel. Dans ce contexte, il n’était pas nécessaire que l’entreprise en question ait cessé toute activité, certains travailleurs pouvant se trouver en chômage temporaire tandis que d’autres travaillaient normalement. Du travail en alternance était dès lors également possible (voir également Trib. trav. Liège, div. Namur, 28 avril 2022, R.G. 21/325/A – également précédemment commenté) ;
  • dans un jugement du 25 février 2022 (Trib. trav. Liège, div. Dinant, 25 février 2022, R.G. 21/303/A – également précédemment commenté), le tribunal a considéré que, au sens de l’arrêté royal du 30 mars 2020, la notion de chômage temporaire « force majeure corona » couvre les situations de force majeure au sens de l’article 26 L.C.T. et également la réduction ou la suspension des prestations par manque de travail résultant de la crise économique liée à la crise sanitaire. L’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 37 du 24 juin 2020 confirme l’interdiction pour l’employeur de sous-traiter à des tiers ou de faire exécuter par des étudiants le travail qui aurait habituellement dû être effectué par les travailleurs dont le contrat de travail est suspendu pour cause de force majeure temporaire. Dès lors, des situations qui ne relèvent pas sensu stricto de la notion de force majeure mais davantage du chômage économique ont été admises comme justifiant le recours au chômage temporaire « force majeure corona ». Cette notion est sui generis.

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