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Abaissement de l’âge pour bénéficier des allocations d’insertion : une précision importante sur la nature du contrôle incident de constitutionnalité d’une disposition réglementaire

Brève synthèse de C. trav. Bruxelles, 15 novembre 2022, R.G. 2020/AB/215

Mis en ligne le mardi 28 mars 2023


Cour du travail de Bruxelles, 15 novembre 2022, R.G. 2020/AB/215

Terra Laboris

Les faits et antécédents de la cause

Mme N., née le 26 juillet 1994, a obtenu un diplôme de Master en art dramatique à l’âge de vingt-trois ans et a ensuite suivi une année d’agrégation en vue de pouvoir donner des cours dans des académies ou dans l’enseignement secondaire supérieur, qu’elle a terminée le 30 juin 2018. Elle s’est inscrite comme demandeuse d’emploi le 16 juillet 2018 et a sollicité le bénéfice des allocations d’insertion à partir du 29 juillet 2019.

Ce bénéfice lui a été refusé par l’ONEm, au motif qu’ayant atteint l’âge de vingt-cinq ans le 26 juillet 2019, elle ne remplissait pas la condition de ne pas avoir atteint l’âge de vingt-cinq ans au moment de la demande, prévue par l’article 36, § 1er, 5°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage dans la version issue de l’article 1er de l’arrêté royal du 30 décembre 2014, applicable depuis le 1er janvier 2015.

Mme N. a introduit contre cette décision un recours déclaré recevable et fondé par un jugement du 21 février 2020 du Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre).

Sur appel de l’ONEm, l’arrêt analysé confirme le jugement entrepris, retenant que l’article 36, § 1er, 5°, dans sa version introduite par l’arrêté royal du 30 décembre 2014, viole l’article 23 de la Constitution. Faisant application de l’article 159 de la Constitution, l’arrêt se fonde en conséquence sur la version précédente de cette disposition, qui accordait le bénéfice des allocations d’insertion jusqu’à l’âge de trente ans.

Terra Laboris ayant déjà publié et commenté plusieurs arrêts de la Cour du travail de Bruxelles dans le même sens, nous nous bornons à commenter ce qui fait l’intérêt spécifique de cet arrêt.

L’ONEm soutenait en effet (n° 25, p. 11) que le cas de Mme N. se distinguait des cas précédemment tranchés, puisque sa demande d’allocations d’insertion avait été introduite alors que le nouvel article 36 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 était déjà en vigueur depuis plus de trois ans. Mme N. n’avait donc subi « aucune diminution personnelle de ses droits » et savait, dès le début de son stage d’insertion, qu’elle n’était plus dans les conditions pour bénéficier des allocations d’insertion.

L’arrêt analysé écarte cette argumentation (n°s 26 et 27, pp. 11 et 12), aux motifs que la cour du travail a posé un constat de non-conformité de la mesure réglementaire par rapport à l’article 23 de la Constitution, avec la conséquence prévue à l’article 159 de celle-ci que cette mesure doit être écartée. La disposition en cause demeure incompatible avec l’article 23, y compris à l’égard des jeunes qui n’ont pas été affectés par l’absence de mesures transitoires, même si la régression est plus brutale pour les jeunes qui étaient en stage d’insertion lorsque la réforme est entrée en vigueur.

L’arrêt ajoute que « Ce contrôle incident de la constitutionnalité d’une disposition réglementaire, même s’il prend place dans un litige relatif à un droit subjectif, est une question de légalité objective dans laquelle la situation particulière de l’assuré social ne doit pas être prise en considération » (la cour citant D. DUMONT, « Le principe de standstill comme instrument de rationalisation du processus législatif en matière sociale. Un plaidoyer illustré. », J.T., 2019, p. 623, ainsi que C. trav. Bruxelles, 21 octobre 2020 (lire 2021), R.G. 2020/AB/131).

La cour du travail ne juge dès lors pas utile d’ordonner, comme l’y invitait le Ministère public, la réouverture des débats pour permettre à Mme N. de produire davantage d’informations sur sa situation personnelle et confirme le jugement dont appel.

Intérêt de la décision commentée

La divergence d’opinion entre le Ministère public et la cour du travail reflète un débat actuellement en cours devant les cours du travail francophones sur le contrôle incident des juridictions du travail sur deux mesures régressives prises en matière de chômage, et plus particulièrement des allocations d’insertion, étant d’une part la fin d’un droit auparavant non limité dans le temps et d’autre part l’abaissement de l’âge pour bénéficier des allocations d’insertion.


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