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Mise en autonomie du jeune et droit au revenu d’intégration sociale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 8 juin 2022, R.G. 2020/AU/13

Mis en ligne le mardi 28 mars 2023


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 8 juin 2022, R.G. 2020/AU/13

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 juin 2022, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) se penche sur la problématique de l’octroi du revenu d’intégration sociale à une jeune majeure ayant quitté le domicile parental et rappelle les diverses tendances en jurisprudence sur la question.

Les faits

Une étudiante d’une vingtaine d’années perçoit le revenu d’intégration sociale au taux isolé (sous déduction des allocations familiales). La décision d’octroi (prise par le C.P.A.S. du domicile) constate qu’elle a pris une location et réside seule, n’étant pas envisageable de réintégrer le domicile des parents. Vu les revenus du père (prestations d’invalidité), il est décidé de ne pas solliciter de contribution alimentaire de la part de ceux-ci.

Ce C.P.A.S. notifie quelques mois plus tard une décision de suppression, au motif qu’il n’est plus compétent. Une demande de revenu d’intégration est alors introduite auprès du C.P.A.S. de la commune où l’intéressée réside (kot). Celle-ci s’est à ce moment inscrite comme demandeuse d’emploi et signale par ailleurs envisager la poursuite d’études en cours du soir. Elle maintient qu’il y a mésentente avec sa famille. Ce C.P.A.S. refuse le revenu d’intégration, cette fois au motif qu’elle doit faire valoir ses droits à l’égard des personnes qui lui doivent des aliments. Il est également précisé que, ses parents ne vivant pas loin et ayant d’ailleurs été présents lors de la visite du travailleur social sur place, il y a de fausses déclarations concernant la rupture familiale.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Neufchâteau), qui a fait droit à la demande et réformé la décision litigieuse. Le droit de l’intéressée au revenu d’intégration sociale à partir de la demande est confirmé (taux isolé), déduction faite de ses revenus personnels.

Le C.P.A.S. interjette appel.

Moyens du C.P.A.S. devant la cour

Le C.P.A.S. fait essentiellement valoir des éléments de fait, étant des problèmes quant au bail (plusieurs versions ayant apparemment été déposées), la rupture familiale, ainsi que la perception par l’intéressée de revenus (indemnités de mutuelle et versements des parents). Il plaide également que le revenu d’intégration sociale ne peut être accordé avec effet rétroactif lorsqu’il y a eu un manquement à l’obligation de collaboration, qui a entraîné l’impossibilité de vérification du respect des conditions d’octroi.

L’intéressée postule la confirmation du jugement.

La décision de la cour

Sur le plan des principes, la cour se penche essentiellement sur l’obligation alimentaire et la possibilité pour le demandeur du revenu d’intégration de faire valoir ses droits à l’égard des débiteurs d’aliments.

Les contours du pouvoir d’appréciation du C.P.A.S. sont identifiés par la doctrine comme étant l’existence de débiteurs d’aliments et leurs capacités contributives, ainsi que les répercussions familiales d’un renvoi vers ceux-ci (la cour citant J. MARTENS et H. MORMONT, « Le caractère résiduaire des régimes », Aide sociale – Intégration sociale, Bruxelles, La Charte, 2011, pp. 349 et s.).

La cour résume ensuite les deux tendances en jurisprudence en cas d’autonomisation du jeune majeur, tant dans le cadre du revenu d’intégration sociale que de l’aide sociale.

Une première tendance considère que celui-ci doit veiller à se procurer les ressources nécessaires (ou reporter son projet), à moins que des circonstances particulières et graves ne justifient qu’il ne puisse plus cohabiter avec ses parents ni leur réclamer une contribution financière (courant qui a divers fondements, notamment que le choix du jeune peut être dû à des convenances personnelles, qu’il n’a pas à être mis à charge de la collectivité, la circonstance que la loi privilégie le droit à l’intégration sociale des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans par l’emploi, etc.). Ce n’est qu’en présence de motifs impérieux justifiant le départ du toit parental que le droit à l’intégration sociale est reconnu. Dans cette approche, il est nécessaire de prouver une mésentente grave au sein de la famille ou l’impossibilité de maintenir la cellule familiale. Peuvent être invoquées des conditions de logement, ou encore des exigences d’études.

Un autre courant, plus minoritaire, met davantage l’accent sur l’autonomie des personnes et la faculté qui doit leur être reconnue de déterminer leur lieu de vie et leur entourage familial. Celle-ci pose quand même l’exigence du recours vers les débiteurs d’aliments (J. MARTENS et H. MORMONT, cité, pp. 358 et s.).

Pour la cour, c’est la première tendance, majoritaire, qui est la plus conforme au caractère subsidiaire du revenu d’intégration sociale.

Elle en vient, ensuite, à l’obligation de collaboration et aux effets d’un manquement à celle-ci. Elle examine dès lors les faits et conclut que l’on n’est pas en présence de fausses déclarations, le C.P.A.S. ne pouvant par ailleurs valablement faire état d’un manque de collaboration dans le chef de l’intéressée, susceptible de faire obstacle à l’octroi d’un revenu.

Elle constate enfin un milieu familial difficile, qui doit être pris en compte.

Le jugement est dès lors confirmé, le droit au revenu d’intégration étant cependant limité dans le temps, dans la mesure où l’intéressée avait trouvé du travail quelques mois plus tard.

Intérêt de la décision

La question de la mise en autonomie des jeunes et leur droit corrélatif à un revenu d’intégration sociale fait, comme le souligne la cour, l’objet d’appréciations diverses en jurisprudence.

L’on peut retenir sur la question un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 septembre 2021 (R.G. 2020/AB/181), qui a jugé qu’aucune disposition de la loi du 26 mai 2002 ne soumet l’octroi du revenu d’intégration à une quelconque obligation de résidence auprès d’un débiteur d’aliments et ne fait obstacle à cet octroi à un étudiant qui quitte le domicile de celui-ci non pour des raisons arbitraires, mais bien dans le seul but de se trouver dans un environnement plus favorable à la poursuite sereine de ses études que celui dans lequel il se trouve.

De même, la Cour du travail de Liège a considéré, dans un arrêt du 16 mars 2018 (R.G. 2017/AL/384 – précédemment commenté), que seuls des motifs impérieux peuvent justifier le départ du jeune majeur de sa famille, mais ceux-ci ne sont pas exclusivement liés à une rupture familiale. L’on peut ainsi admettre des conditions de logement ou des exigences liées aux études. En l’espèce, les conditions d’hébergement (un appartement d’une chambre qui doit héberger trois personnes, dont une jeune adolescente qui commence aussi à avoir besoin d’une intimité minimale) constituent un handicap réel pour une étudiante universitaire.

De même encore, pour la Cour du travail de Mons C. trav. Mons, 16 mars 2016, R.G. 2015/AM/135), aucune disposition de la loi du 26 mai 2002 ne soumet l’octroi du revenu d’intégration à une quelconque obligation de résidence auprès d’un débiteur d’aliments. Si le C.P.A.S. notifie une décision de récupération à ce débiteur, il ne peut être invoqué par lui que le Centre n’établit pas l’impossibilité pour le jeune de se maintenir à la résidence familiale.

L’on peut retenir enfin, pour sa motivation spécifique, un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 août 2017 (R.G. 2016/AB/273), qui a jugé que ce serait ajouter à la loi que de considérer qu’avant de prendre son autonomie, le jeune doit s’assurer qu’il dispose de ressources suffisantes pour ne pas devoir un jour faire appel à la collectivité. La légitimité du projet d’autonomie n’implique cependant pas nécessairement que le revenu d’intégration doit être accordé. Pour autant que les études constituent une raison d’équité justifiant que le jeune soit dispensé de rechercher du travail, la principale condition à vérifier concerne la capacité contributive des parents. Si celle-ci est suffisante, il faut considérer que le jeune dispose de ressources, de sorte qu’il ne peut prétendre au revenu d’intégration. En cas de capacité contributive existante mais insuffisante, le revenu d’intégration peut être accordé partiellement. Ce n’est que si les parents ne sont pas en mesure d’intervenir que le revenu d’intégration sera versé intégralement.


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