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Accident du travail dans le secteur public : point de départ des rentes en cas de révision

Commentaire de C. trav. Mons, 4 juillet 2022, R.G. 2021/AM/251

Mis en ligne le mardi 28 mars 2023


Cour du travail de Mons, 4 juillet 2022, R.G. 2021/AM/251

Terra Laboris

Par arrêt du 4 juillet 2022, la Cour du travail de Mons conclut à l’écartement de l’article 16 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (personnel local) en ce qu’il fixe les effets de la révision au premier jour du mois suivant l’introduction de la demande, ce qui est par ailleurs l’enseignement de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 juin 2020.

Les faits

En 2011, un ouvrier, qui avait été victime d’un accident du travail en 1993 (et pour lequel l’incapacité permanente avait été fixée à 5%), sollicite la réouverture de son dossier en vue d’obtenir une indemnisation plus élevée, vu l’aggravation des lésions. Il est ouvrier communal et adresse sa demande à son employeur, qui la transmet au MEDEX. Celui-ci précise qu’aucune procédure d’allocation en aggravation n’est d’application pour les agents communaux. Après avoir adressé différents rappels, l’intéressé saisit le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi).

La demande sera considérée comme demande de révision (et requalifiée comme telle) par le tribunal. Celui-ci désigne un expert, qui donne son avis dans un rapport déposé le 1er avril 2020. Il considère qu’il y a lieu de porter l’I.P.P. à 15%. Ces conclusions sont entérinées par jugement du 2 juin 2020, dans lequel le tribunal écarte, en vertu de l’article 159 de la Constitution, l’application de l’article 16 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (selon lequel les effets de la révision prennent cours le premier jour du mois suivant l’introduction de la demande).

L’employeur public interjette appel.

Moyens de la partie appelante devant la cour

La commune demande la réformation du jugement, faisant grief également au tribunal du travail d’avoir écarté l’article 16 de l’arrêté royal ci-dessus. Pour elle, dans le secteur privé, aucune disposition légale ne fixe le point de départ des effets de la révision. Celui-ci est à déterminer par le juge. Il y a une différence de traitement qui découle d’une situation de fait et non d’une situation de droit. Elle fait également valoir qu’elle peut revoir à la baisse le taux d’incapacité permanente (renvoyant au Rapport au Roi du 1er septembre 1970, p. 8819).

Elle fait dès lors grief au tribunal de s’être aligné, suivant en cela le raisonnement d’un arrêt du 4 mars 2016 de la Cour du travail de Liège, sur le secteur privé pour les règles à appliquer. La commune considère enfin que seul le législateur est compétent pour apprécier l’opportunité d’étendre aux victimes d’un accident du travail du secteur public la législation du secteur privé et que, lors des modifications successives intervenues à l’arrêté royal du 13 juillet 1970, l’article 16 n’a jamais été modifié ni abrogé.

La décision de la cour

La cour rappelle les dispositions de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, et notamment son article 11, qui prévoit la possibilité d’introduire une demande de révision de la rente en cas d’aggravation ou d’atténuation de l’incapacité de la victime (ou encore de son décès) ou de modification de la nécessité de l’aide de tiers. Dans le secteur privé, la question est réglée par l’article 72 de la loi du 10 avril 1971, celle-ci ne contenant aucune disposition relative au point de départ des effets de la révision.

Elle rappelle la doctrine de M. GROSSMANN (M. GROSSMANN, obs. sous C. trav. Gand, 25 novembre 1970, R.G.A.R., 1975, n° 9468, cité par M. l’Avocat général GENICOT dans ses conclusions précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2020, n° S.18.0017.F), selon laquelle la décision qui statue sur une action en révision est déclarative du droit et non constitutive de celui-ci. Il est en conséquence logique que les indemnités prennent cours au jour où le dommage est survenu.

Dans son arrêt du 22 juin 2020, la Cour de cassation a jugé que, conformément au droit commun de la réparation des dommages, les indemnités d’incapacité permanente révisées sont dues dans le secteur privé à partir de la consolidation de l’incapacité de travail modifiée. Dans le secteur public, l’article 16 de l’arrêté royal, qui fixe les effets de la révision au premier jour du mois suivant l’introduction de la demande, a pour effet d’écarter l’application du droit commun de la réparation des dommages. La Cour constate qu’il y a ainsi une différence de traitement dans le secteur privé et dans le secteur public à ce propos.

Elle rappelle ensuite (sur le troisième moyen du pourvoi) le principe selon lequel les juridictions contentieuses ont, en vertu de l’article 159 de la Constitution, le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et externe d’un acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception. Ce pouvoir existe, même si le législateur n’a pas jugé opportun de modifier ou d’abroger la disposition en cause.

La cour du travail examine, dès lors, la constitutionnalité de la disposition, rappelant que la discrimination entre les victimes d’un accident du travail dans le secteur public ou dans le secteur privé a été soumise à diverses reprises à la Cour constitutionnelle, les travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1967 ayant par ailleurs insisté sur la volonté du législateur, qui n’était nullement d’étendre purement et simplement le régime du secteur privé au secteur public. Pour la Cour constitutionnelle, le législateur a entendu établir des régimes comparables pour ce qui est de l’indemnisation (avec renvoi aux arrêts des 8 mai 2001 (n° 64/2001), 20 février 2002 (n° 40/2002) et 29 novembre 2018 (n° 165/2018)).

Elle reprend ainsi l’enseignement de la Cour constitutionnelle sur la question des intérêts sur la rente, où cette dernière a précisé ne pas apercevoir en quoi la logique respective des deux systèmes commanderait d’indemniser ce préjudice en fonction d’une date plus favorable selon que le travailleur est indemnisé dans le secteur privé ou dans le secteur public. Les critères de la Cour constitutionnelle pour admettre des distinctions entre les deux secteurs sont la nature généralement statutaire du lien qui unit le travailleur du secteur public à son employeur, la circonstance qu’il effectue des tâches d’intérêt général et la plus grande complexité de la procédure d’indemnisation dans le secteur public. Ces trois critères ne sont pas de nature à expliquer la différence de traitement pour ce qui est des intérêts sur la rente.

Aussi, la cour du travail fait-elle sienne la jurisprudence de la Cour du travail de Liège dans son arrêt du 4 mai 2016, arrêt contre lequel un pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation dans son arrêt du 22 juin 2020 ci-dessus. La cour du travail ayant écarté l’application de l’article 16, la Cour de cassation a confirmé, à partir des critères de la Cour constitutionnelle, que ceux-ci ne sont pas de nature à expliquer la différence d’indemnisation et qu’en conséquence, la différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée et est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons est important sur la question, puisqu’il rejoint la position que la Cour du travail de Liège – pionnière – avait eue sur la question dans son arrêt du 4 mars 2016 (R.G. 2014/AL/518 – précédemment commenté).

La cour du travail avait retenu que les justifications possibles à la distinction ne suffisaient pas pour postposer la date de prise d’effet de la révision dans le secteur public et s’était également appuyée sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 mai 2002 – dont elle avait relevé qu’il rappelle l’enseignement traditionnel de la Cour selon lequel des différences objectives peuvent justifier que les deux catégories de travailleurs soient soumises à des systèmes différents pour autant que chaque règle soit conforme à la logique du système auquel elle appartient.

La Cour du travail de Mons confirme l’écartement de la disposition, rejoignant également la Cour de cassation dans son arrêt du 20 juin 2020.


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