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Accident du travail : loi applicable à Bpost ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 24 mai 2022, R.G. 2022/AL/77

Mis en ligne le mardi 28 mars 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 24 mai 2022, R.G. 2022/AL/77

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 mai 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que, pour certaines entreprises publiques autonomes, dont Bpost, le personnel contractuel ne tombe pas dans le champ d’application de la loi du 3 juillet 1967 mais bien de celle du 10 avril 1971 applicable au secteur privé.

Les faits

Un travailleur a introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) contre son employeur, Bpost, poursuivant l’indemnisation d’un accident du travail dont il déclare avoir été victime le 14 juin 2018. Des contacts avaient été pris dans le décours de l’accident avec l’assureur de Bpost, qui avait contesté l’existence d’un accident du travail au motif de l’absence d’un fait particulier et d’un état antérieur. FEDRIS était intervenue et avait signifié à l’assureur qu’elle concluait pour sa part à l’existence d’un accident du travail.

Le tribunal a rendu son jugement le 26 octobre 2021, condamnant Bpost à indemniser le demandeur dans le cadre d’une incapacité temporaire de six semaines, étant acquis que le travailleur ne demandait pas davantage.

Bpost avait fait défaut en première instance mais a interjeté appel, contestant la recevabilité de l’action telle que dirigée contre elle. Pour Bpost, l’intéressé devait se voir appliquer la réglementation du secteur privé, en l’occurrence la loi du 10 avril 1971, et il ne pouvait introduire son action contre son employeur. L’assureur-loi n’est cependant pas à la cause et Bpost demande à la cour de conclure à l’irrecevabilité.

La décision de la cour

La cour statue uniquement sur la recevabilité de l’action originaire, s’agissant d’un travailleur contractuel. Elle reprend les articles 1er, 3 et 4 de la loi du 10 avril 1971. L’application de la loi suppose l’assujettissement à la loi du 27 juin 1969, le champ d’application pouvant être étendu par le Roi à d’autres catégories de personnes.

En vertu de l’article 4, la loi n’est cependant pas applicable (1°) aux personnes auxquelles la loi du 3 juillet 1967 sur la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public est rendue applicable. Rappelant alors l’article 1er de celle-ci, la cour souligne que le régime institué dans le secteur public est rendu applicable par le Roi, aux conditions et dans les limites qu’il fixe, aux membres du personnel définitifs, stagiaires, temporaires, auxiliaires ou engagés par contrat de travail qui appartiennent à divers corps et entités. Il s’agit des administrations fédérales et des autres services de l’Etat (y compris le pouvoir judiciaire), ainsi qu’aux personnes morales de droit public et aux organismes d’intérêt public soumis à l’autorité, au pouvoir de contrôle ou de tutelle de l’Etat, ainsi encore qu’aux entreprises publiques autonomes classées à l’article 1er, § 4, de la loi du 21 mars 1991.

La cour passe alors à l’examen de l’article 2 de l’arrêté royal du 12 juin 1970 relatif à la réparation, en faveur des membres du personnel des organismes d’intérêt public, des personnes morales de droit public et des entreprises publiques autonomes des dommages résultant des accidents du travail ou des accidents survenus sur le chemin du travail. Elle met en exergue que son champ d’application est restreint, étant qu’il ne couvre pas le personnel engagé par contrat de travail de certaines entreprises publiques autonomes, étant Belgacom, Belgocontrol et Bpost (article 2, I, 5°).

Elle renvoie sur la question à la doctrine de J. DE WILDE D’ESTMAEL (J. DE WILDE D’ESTMAEL, « Le champ d’application des accidents du travail dans le secteur public », Les accidents du travail dans le secteur public, 2015, Anthémis, p. 40), qui a mentionné la situation de ces entreprises publiques autonomes (ainsi que de BIAC), le personnel engagé par contrat de travail par celles-ci restant soumis à la loi du 10 avril 1971. Elle rappelle également le Guide social permanent (G.S.P. – Tome IV – Droit de la sécurité sociale : commentaire, Partie I – Livre II, Titre II, Chapitre 1er : Le champ d’application personnel : entreprises et travailleurs assujettis, Section 4. Exclusions, p. 144), où a été souligné le caractère résiduaire de la loi du 10 avril 1971 : chaque fois que manque le fondement juridique nécessaire au rattachement d’un organisme public à la loi du 3 juillet 1967, la loi du 10 avril 1971, en principe destinée au secteur privé, sera d’application.

Il en découle que l’action ne pouvait être dirigée contre l’employeur mais, comme il est de règle dans le secteur privé, contre l’assureur-loi.

Le jugement est dès lors réformé.

Un dernier point est consacré à la question des dépens. L’article 68 de la loi du 10 avril 1971 met les dépens de toutes les actions fondées sur la loi à charge de l’entreprise d’assurances, sauf si la demande est téméraire et vexatoire. Constatant que l’employeur (seul à la cause) n’est pas « l’entreprise d’assurances » visée dans cette disposition et que l’entreprise d’assurances n’est pas partie à la cause, la cour conclut que la disposition ne peut s’appliquer et qu’il faut revenir à la règle générale de l’article 1017, alinéa 1er, du Code judiciaire, étant que les dépens sont à charge de la partie qui succombe, en l’occurrence le travailleur.

Intérêt de la décision

La cour fait dans cet arrêt un rappel important quant à la loi applicable pour le personnel de certaines entreprises publiques autonomes. Si, en règle, la loi du 3 juillet 1967 est applicable à l’ensemble du personnel du secteur public, en ce compris le personnel contractuel, tel n’est pas le cas dans un de ses arrêtés royaux d’exécution, relatif au personnel des organismes d’intérêt public, des personnes morales de droit public et des entreprises publiques autonomes, puisque l’article 2 contient une restriction de taille, excluant de son champ d’application les trois entreprises ci-dessus. La question est d’importance, puisqu’elle conditionne la recevabilité de la demande en justice. De la même manière que dans le secteur privé, l’action est irrecevable si elle est introduite contre l’employeur. Cette irrecevabilité sera également constatée pour une action du secteur privé introduite contre l’employeur alors qu’il s’agit, par exception à la règle générale, d’introduire la demande contre l’assureur-loi.

L’on notera enfin que cette action mal dirigée se verra appliquer, sur le plan des dépens, le régime général, la règle dérogatoire de l’article 68 de la loi du 10 avril 1971 ne pouvant être retenue, puisqu’elle vise dans son texte uniquement l’entreprise d’assurances (étant par ailleurs entendu que cette règle s’applique également à FEDRIS).


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