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Etat de santé et licenciement : examen d’une discrimination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 juillet 2022, R.G. 2019/AB/450

Mis en ligne le mardi 28 mars 2023


Cour du travail de Bruxelles, 12 juillet 2022, R.G. 2019/AB/450

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 juillet 2022, la Cour du travail de Bruxelles conclut au caractère discriminatoire d’un licenciement opéré par un employeur public vis-à-vis d’une travailleuse contractuelle, et ce pour motifs de santé.

Les faits

Une assistante administrative d’une institution publique (secteur de l’emploi) connut dans les années 2015 et 2016 de nombreuses périodes d’incapacité de travail. Elle fut alors convoquée par son employeur pour un entretien. Elle exposa que ses absences étaient dues à des problèmes personnels, son état de santé allant cependant s’améliorant. Elle expliqua aimer son travail et s’engagea à être plus présente à l’avenir.

Le même jour, son licenciement lui fut notifié par voie recommandée, celui-ci intervenant avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. La lettre de licenciement faisait état de ses nombreuses absences, celles-ci ayant un impact direct et notable sur l’organisation du service.

Son organisation syndicale contesta, par courrier, le licenciement ainsi intervenu, considérant que la rupture reposait sur un motif illégitime et discriminatoire. Elle contestait qu’il soit établi à suffisance de droit que les absences aient perturbé l’organisation du service d’une manière telle qu’elles rendaient le licenciement nécessaire.

Une action fut lancée devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui y fit droit par jugement du 18 mars 2019.

L’employeur public interjeta appel, contestant devoir l’indemnité fixée par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination dans les relations de travail, indemnité à laquelle il a été condamné.

L’arrêt de la cour

La cour est saisie de l’appel de l’employeur sur le principe de la débition de cette indemnité. Elle procède à un rappel des règles sur la question, reprenant successivement les textes et principes, le régime probatoire et l’indemnisation.

Pour qu’il y ait une distinction au sens de la loi, celle-ci étant constitutive de discrimination directe, elle rappelle que trois éléments doivent être réunis, étant (i) une différence de traitement (à savoir un traitement moins favorable), (ii) intervenant entre des personnes se trouvant dans une situation comparable et (iii) lien causal devant exister entre le traitement incriminé et le critère protégé. La discrimination directe pourrait tout aussi bien être observée au sein d’un groupe marqué par le même critère protégé (avec renvoi à C.J.U.E., 26 janvier 2002, Aff. n° C-16/19, VL c/ SZPITAL KLINICZNY, EU:C:2021:64 – en matière de handicap).

Le lien causal entre le critère protégé et le traitement défavorable peut n’être que partiel, d’autres motifs pouvant être présents (avec renvoi ici à un arrêt de la même cour du travail, étant C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2019, R.G. 2018/AB/23). D’autres dispositions du Titre 2 de la loi du 10 mai 2007 peuvent justifier une distinction directe, si elles sont objectivement justifiées par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriés et nécessaires. Le caractère approprié signifie que les moyens en cause doivent être aptes à atteindre le but et que leur caractère nécessaire porte sur un rapport raisonnable de proportionnalité entre ces moyens et le but poursuivi.

Elle passe ensuite à un examen des conditions de la discrimination indirecte et reprend les règles de preuve telles que fixées à l’article 28, § 1er, de la loi du 10 mai 2007, étant que doivent être établis par la partie demanderesse des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination fondée sur l’un des critères protégés. Pour ce qui est de la discrimination indirecte, l’article 28, § 3, précise que peut figurer parmi ceux-ci l’utilisation d’un critère de distinction intrinsèquement suspect (2°). Il s’agit ici, selon les travaux parlementaires, que la cour reprend (Doc. parl. Ch., Sess. 2006-2007, n° 51-2720/009), d’un critère qui affecte et défavorise manifestement plus de personnes partageant un critère protégé.

La matière connaît un « glissement » de la charge de la preuve, la Cour constitutionnelle ayant à ce sujet précisé, dans un arrêt du 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2009), que la partie demanderesse doit démontrer que le défendeur a commis des actes ou a donné des instructions qui pourraient de prime abord être discriminatoires. La charge de la preuve incombe ainsi en premier lieu à la victime, la Cour constitutionnelle ayant ici précisé (B.96.4) que les faits allégués par la personne qui s’estime victime de la discrimination ne bénéficient pas par eux-mêmes d’une force probante particulière.

Reprenant encore la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 8 janvier 2020, R.G. 2017/AB/97), la cour rappelle que la jurisprudence accepte de prendre en compte les circonstances dans lesquelles une personne protégée a été victime du traitement défavorable pour en déduire la preuve de la présomption de discrimination liée au critère protégé.

Les éléments de l’espèce sont ensuite examinés à la lumière de la motivation retenue par le tribunal. Celui-ci a constaté qu’il ne ressort d’aucun des éléments lui soumis que les périodes d’incapacité de travail aient « généré des tensions » ou aient eu un impact quant à « l’ambiance et l’esprit d’équipe », ou encore quant à la « motivation des collègues », tous éléments plaidés par l’employeur mais non établis. Il en va de même d’autres arguments, liés à la continuité du service ou à la qualité de celui-ci. Pour le tribunal, l’employeur s’est borné à évoquer de manière générale et théorique l’impact de l’absence d’un travailleur. Il est cependant resté en défaut d’établir en quoi celle-ci aurait eu des conséquences négatives sur l’organisation du service.

La cour rejoint largement l’analyse du tribunal, rappelant encore ici que, si la loi n’a pas défini ce qu’il convient d’entendre par « état de santé actuel ou futur », ces termes sont clairs, étant qu’il faut comprendre par là « tous les éléments relatifs à l’état de santé du travailleur au moment de la mesure litigieuse et dans le futur par rapport à ce moment ». Ceci s’oppose à l’état de santé passé. Ces termes visent les tests génétiques prévisionnels ainsi que d’autres tests médicaux prédictifs (avec renvoi encore aux travaux préparatoires : Doc. parl. Sénat, sess. extr., 1999, n° 2-12/1, où a été précisé à cet égard que constituent entre autres des caractéristiques qui motivent parfois des comportements discriminatoires le sexe d’une personne, son état de santé actuel ou futur, son orientation sexuelle, etc.).

La cour souligne encore qu’il y a une conciliation entre les termes de la loi du 10 mai 2007 en ce qu’ils visent l’état de santé actuel ou futur et les dispositions de la loi du 3 juillet 1978, visant la circonstance que, si l’employeur peut licencier pendant une période de suspension de l’exécution du contrat, ceci ne l’autorise pour autant pas à le faire en raison de l’état de santé actuel ou futur du travailleur en contravention aux articles 4, 4°, et 14 de la loi du 10 mai 2007.

Si l’employeur licencie pendant cette période (ce qu’il est en droit de faire) mais que sa décision est motivée par l’état de santé actuel ou futur du travailleur – celui-ci ayant justifié la suspension du contrat –, il y a contravention à la loi du 10 mai 2007.

La cour reprend encore quelques éléments de fait, confirmant le caractère discriminatoire du licenciement, étant les explications données par l’employeur dans sa lettre de convocation ainsi que dans la lettre de licenciement, et insiste sur le déficit probatoire du dossier de l’employeur, dont elle relève encore que les difficultés qu’il a rencontrées sont celles de tout employeur privé ou public confronté à l’absence d’un travailleur pour incapacité de travail. La politique des ressources humaines doit anticiper adéquatement ce genre d’aléa et consentir des efforts à des degrés divers pour adapter au mieux les structures et l’organisation du travail, de manière à subir le moins possible les effets indésirables des absences (22e feuillet de l’arrêt).

Le caractère discriminatoire du licenciement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

La cour du travail de Bruxelles a fait dans cet arrêt une application exemplaire des principes en la matière, reprenant d’une part les règles relatives aux critères protégés par la loi du 10 mai 2007 et s’attachant d’autre part à la question du mécanisme probatoire.

La conclusion de l’arrêt, dont les termes utilisés en son 22e feuillet ont été repris ci-dessus, est que l’employeur a été confronté à la situation habituelle liée à l’absence d’un travailleur pour raisons de santé.

La cour a souligné dans cet arrêt qu’a été visé par le législateur du 10 mai 2007 l’état de santé actuel et futur, reprenant les travaux préparatoires, qui ont entendu que soient pris en compte les résultats des tests prévisionnels.

La question de l’état de santé passé a été régulièrement abordée dans l’examen du critère de l’état de santé. N’étant pas visé dans la loi, il s’est ainsi régulièrement trouvé exclu du champ d’examen de la discrimination. Il faut relever à cet égard que, depuis la loi du 20 juillet 2022 modifiant celle du 10 mai 2007, l’état de santé actuel ou futur a été remplacé par « l’état de santé ». Ceci inclut dès lors l’état de santé passé.

La loi est entrée en vigueur le 27 octobre dernier.


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