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Prise en compte pour le droit aux allocations familiales d’une demande présentée par « l’autre parent » (droit européen)

Commentaire de C.J.U.E., 13 octobre 2022, Aff. n° C-199/21 (DN c/ FINANZAMT ÖSTERREICH), EU:C:2022:789

Mis en ligne le vendredi 24 février 2023


Cour de Justice de l’Union européenne, 13 octobre 2022, Aff. n° C-199/21 (DN c/ FINANZAMT ÖSTERREICH), EU:C:2022:789

Terra Laboris

Par arrêt du 13 octobre 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne donne l’interprétation à réserver à l’article 60, § 1er, 3e phrase, du Règlement n° 987/2009 : dès lors que l’Etat membre a accueilli une demande introduite par une autre personne que celle qui peut prétendre au bénéfice des prestations familiales, exiger le remboursement de ces prestations va à l’encontre de la finalité de l’article 60, § 1er, 3e phrase, du Règlement n° 987/2009 (qui vise la demande introduite par « l’autre parent »).

Les faits

Un ressortissant autrichien, d’origine polonaise, réside en Autriche. Il a été marié à une ressortissante polonaise jusqu’en 2011, celle-ci résidant en Pologne avec leur fille commune (née en 1991), également polonaise. L’intéressé perçoit de la Pologne et de l’Autriche une pension de retraite anticipée depuis novembre 2011. L’administration fiscale lui avait accordé des allocations familiales sous forme d’indemnités compensatoires ainsi que de crédits d’impôt pour enfant pour la période de janvier à août 2013 au titre de charge financière liée à l’entretien de sa fille et de son ex-épouse. Celle-ci n’a cependant jamais introduit de demande en Autriche en vue de se voir octroyer les prestations familiales en cause, celles-ci ayant toujours été accordées au père, qui les a reversées. Une décision de recouvrement est intervenue en novembre 2014 au motif que, l’intéressé bénéficiant d’une pension polonaise, la République d’Autriche n’était pas compétente pour l’octroi de ces prestations.

Un recours a été introduit devant le Bundesfinanzgericht (Tribunal fédéral des finances), l’intéressé considérant qu’il réunissait les conditions pour percevoir le complément compensatoire, en application de l’article 68, § 2, du Règlement n° 883/2004 (l’administration fiscale considérant que l’obligation de paiement de ce complément ne s’applique pas à l’Etat membre compétent à titre subsidiaire en cas de perception d’une pension).

Pour le juge de renvoi, qui fait cependant état de l’existence de deux courants jurisprudentiels divergents, dans la mesure où l’intéressé a exercé une activité salariée en Autriche dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et qu’il y perçoit une pension suite à cette activité, c’est cet Etat membre qui est seul compétent pour sa pension (article 67 du Règlement n° 883/2004, 2e phrase). Il a dès lors droit aux prestations familiales. La seule question qui se pose est de savoir si l’Autriche doit lui verser celles-ci à titre prioritaire ou à titre subsidiaire.

Pour le juge national, la compétence de cet Etat découlerait également de l’article 68, § 2, du Règlement. Par ailleurs, en Pologne, le droit aux prestations familiales est subordonné à une seule condition, étant d’être résident dans l’Etat membre, alors qu’en Autriche, en vertu du droit de l’Union, il est fondé sur la perception d’une pension. La République d’Autriche est dès lors l’Etat membre compétent à titre prioritaire et doit verser les prestations familiales dans leur intégralité.

Il décide cependant de poser diverses questions préjudicielles (six) aux fins d’interprétation de certains termes, à savoir « l’Etat membre compétent pour la pension » (article 67, 2e phrase, du Règlement n° 883/2004) et « droits ouverts au titre de la perception de pensions » (article 68, § 1er, sous b), sous ii), du Règlement), ainsi que de l’interprétation de l’article 60, § 1er, 3e phrase. Il interroge également la Cour sur les dispositions relatives à la procédure de dialogue (article 60 du Règlement n° 987/2009), étant de savoir si cette procédure concerne non seulement l’octroi des prestations familiales, mais également le recouvrement de celles-ci.

La décision de la Cour

La Cour répond d’abord (sur trois questions groupées) que l’article 67, 2e phrase, du Règlement n° 883/2004 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une personne perçoit des pensions dans deux Etats membres, elle a droit aux prestations familiales conformément à la législation de ces deux Etats membres. Lorsque la perception de telles prestations dans l’un des Etats membres est exclue en vertu de la législation nationale, les règles de priorité visées à l’article 68, §§ 1er et 2, du Règlement ne s’appliquent pas.

Elle examine ensuite deux autres questions. La mère (qui pouvait prétendre au bénéfice de prestations familiales) n’ayant pas exercé son droit, la Cour rappelle que les institutions compétentes des Etats membres doivent prendre en considération les demandes d’octroi de telles prestations introduites par les personnes ou les institutions visées à la disposition, au nombre desquelles figure « l’autre parent ». Il suffit qu’une des personnes susceptibles de prétendre au bénéfice des prestations familiales introduise une demande d’octroi de ces prestations pour que l’institution compétente de l’Etat membre concerné soit tenue de prendre la demande en compte.

Le droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce qu’une telle institution, en appliquant le droit national, parvienne à la conclusion que la personne ayant le droit de percevoir les prestations familiales est une personne autre que celle qui a introduit la demande d’octroi de ces prestations, la Cour renvoyant à son arrêt TRAPKOWSKI du 22 octobre 2015 (C.J.U.E., 22 octobre 2015, Aff. n° C-378/14, EU:C:2015:720).

Il en découle que l’article 60, § 1er, 3e phrase, du Règlement n° 987/2009 ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale prévoie que l’autre parent qui supporte de fait seul la charge financière liée à l’entretien d’un enfant alors que le parent qui aurait dû introduire la demande ne l’a pas fait n’ait pas droit à ces prestations.

En l’espèce, cependant, la Cour note que, dans un premier temps, l’administration fiscale a fait droit à la demande. Il y a lieu d’examiner si, dans de telles circonstances, le recouvrement peut être exigé. L’administration fiscale autrichienne était dès lors tenue de prendre en compte la demande introduite par le père, ce qu’elle a fait. Elle n’était par contre pas tenue d’y faire droit, ce qu’elle a cependant fait. Elle n’a ainsi pas exercé la faculté dont elle disposait. Et la Cour de conclure sur ce point que la décision prise par l’administration d’accéder à la demande est conforme à l’article 60, § 1er, 3e phrase, du Règlement n° 987/2009.

Elle rappelle encore la finalité de la disposition, étant qu’elle tend à assurer que, en toute situation, les prestations contribuent, conformément à leur objet, au budget familial et compensent les charges exposées par la personne qui assume effectivement la charge de l’entretien de l’enfant. Il en découle (la Cour renvoyant aux conclusions de l’Avocat général) que, lorsque l’octroi de prestations familiales à « l’autre parent » a eu pour effet que la finalité de ces prestations a été atteinte, une demande de recouvrement de celles-ci va à l’encontre de cette finalité.

En l’espèce, bien que n’étant pas le parent ayant droit aux prestations familiales en cause en vertu de la réglementation autrichienne, le père a supporté principalement la charge de l’entretien de sa fille et a reversé les prestations familiales qu’il a perçues pendant la période en cause. Celles-ci ont atteint leur objectif. Le remboursement irait à l’encontre de la finalité de l’article 60, § 1er, 3e phrase, du Règlement n° 987/2009.

La réponse de la Cour est dès lors que cette disposition s’oppose à une réglementation nationale permettant le recouvrement, en l’absence d’introduction de demande par le parent y ayant droit en vertu de cette réglementation, des prestations familiales octroyées à l’autre parent dont la demande a été prise en compte conformément à cette disposition par l’institution compétente, parent qui supporte de fait seul la charge financière liée à l’entretien de l’enfant.

Intérêt de la décision

Le raisonnement de la Cour de Justice à propos de l’article 60, § 1er, 3e phrase, du Règlement n° 987/2009 est en trois temps.

Elle expose en premier lieu que, si le parent qui a droit aux prestations familiales en vertu de la réglementation nationale n’a pas fait la demande, l’institution compétente de l’Etat membre concerné est tenue de prendre en compte la demande introduite par « l’autre parent ».

Ensuite, la demande étant prise en compte, ceci ne signifie pas que l’Etat membre doive nécessairement y faire droit, la Cour renvoyant à son arrêt TRAPKOWSKI du 22 octobre 2015. C’est l’autorité nationale qui doit déterminer qui sont les personnes qui, conformément au droit national, disposent d’un droit à ces prestations.

Enfin, et cependant, à partir du moment où il a été fait droit à la demande de « l’autre parent » et que la finalité de la réglementation a été atteinte, le recouvrement de ces allocations est considéré comme contraire à l’article 60, § 1er, 3e phrase, du Règlement, selon lequel, lorsqu’une personne pouvant prétendre au bénéfice des prestations n’exerce pas son droit, une demande d’octroi de prestations familiales présentée par l’autre parent (ou une personne considérée comme tel, ou une personne ou l’institution exerçant la tutelle sur l’enfant ou les enfants) est prise en compte par l’institution compétente de l’Etat membre dont la législation est applicable.

La réponse de la Cour est ainsi que, une fois accueillie la demande alors que l’Etat n’a pas exercé la faculté dont il disposait de ne pas y faire droit, la décision de recouvrement d’allocations familiales qui ont atteint leur objectif va à l’encontre de la finalité de cet extrait de l’article 60 du Règlement n° 987/2009.

Rappelons encore que, dans son arrêt TRAPKOWSKI, la Cour de Justice avait précisé la notion de « membre de la famille », étant qu’elle avait renvoyé par là au droit national, considérant qu’il ne lui appartenait pas de remettre en cause un constat fondé sur le droit national tel qu’interprété par la juridiction nationale.


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