Terralaboris asbl

Conditions d’octroi d’une dispense de cotisations au statut social des travailleurs indépendants

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 1er mars 2022, R.G. 2021/AL/408

Mis en ligne le mardi 14 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 1er mars 2022, R.G. 2021/AL/408

Terra Laboris

Dans un arrêt du 1er mars 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les conditions exigées, depuis la loi du 2 décembre 2018, afin d’obtenir une dispense des cotisations au statut social des travailleurs indépendants, le critère antérieur (état de besoin ou état voisin de l’état de besoin) ayant été abandonné au bénéfice de celui de difficultés financières ou économiques temporaires.

Les faits

Un travailleur indépendant a introduit une demande de dispense de cotisations en juin 2019 pour cinq trimestres (2018/2 – 2019/2). La dispense a été refusée, la décision précisant que, depuis 2019, le critère de base n’est plus la notion d’état de besoin ou de situation proche de celui-ci mais qu’il s’agit d’examiner si le travailleur indépendant se trouve temporairement dans une situation économique ou financière difficile. La réforme intervenue implique que les indépendants ne peuvent plus demander année après année une dispense de cotisations parce que leur activité n’est pas rentable.

L’intéressé exploite un commerce d’articles de cadeau et de fête. L’administration précise qu’il ne s’agit pas d’un commerce qui relève d’un secteur reconnu comme un secteur en crise et que, par ailleurs, l’environnement économique dans lequel cette activité se déploie n’est pas une circonstance de nature temporaire pouvant justifier valablement une situation financière ou économique difficile. Il est constaté que la situation de l’intéressé perdure depuis de nombreuses années et qu’elle ne revêt dès lors pas un caractère temporaire. Il est également fait grief au demandeur de ne pas apporter de gage quant à la viabilité de son entreprise et à sa capacité future à s’acquitter de ses obligations de paiement des cotisations sociales. La décision conclut ainsi au rejet de la demande pour la totalité de la période.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège, l’intéressé apportant des arguments de fait (maladie de l’épouse, efforts importants faits pour relancer le commerce ainsi que remboursement des crédits d’investissement, etc.).

Le tribunal a, par jugement du 11 juin 2021, annulé la décision pour défaut de motivation et l’I.N.A.S.T.I. a introduit un appel contre cette décision.

Position des parties devant la cour

L’I.N.A.S.T.I. reprend la modification intervenue dans le régime des dispenses de cotisations par la loi du 2 décembre 2018 modifiant l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, afin de réformer le fonctionnement de la Commission des dispenses de cotisations. Depuis son entrée en vigueur (1er janvier 2019), l’ancien critère n’est plus d’application et l’I.N.A.S.T.I. confirme à cet égard que le demandeur doit actuellement rapporter la preuve d’une situation financière ou économique difficile, temporaire, qui empêche le paiement des cotisations. Il rappelle également les recours ouverts, étant d’une part la possibilité pour le demandeur d’être auditionné ou celle d’introduire un recours devant la Commission de recours, qui a une compétence de pleine juridiction.

Pour l’I.N.A.S.T.I., ceci n’a pas modifié le pouvoir du juge, qui dispose d’un contrôle de légalité interne et externe de l’acte administratif, sans préjudice du pouvoir discrétionnaire de l’administration (l’I.N.A.S.T.I. précisant que ce pouvoir discrétionnaire ne peut être arbitraire). Il conteste certaines considérations reprises par le tribunal, étant essentiellement relatives à l’absence de perspectives d’avenir du commerce en cause, ainsi qu’au défaut de preuve du caractère temporaire des difficultés rencontrées. Enfin, il estime que le demandeur est resté en défaut de prouver les éléments requis dans le cadre de la réglementation actuelle, celui-ci s’étant borné à donner des explications sur son état de besoin, comme si la réglementation ancienne était toujours en vigueur.

Quant à l’intimé, il estime rapporter les éléments de preuve requis, tant sur l’aspect temporaire de la situation que quant aux perspectives d’avenir de son activité et à sa situation financière et familiale.

La décision de la cour

La cour reprend très longuement la réglementation, dont elle souligne certains extraits. L’article 17 de l’arrêté royal n° 38 dispose actuellement que les travailleurs indépendants qui demandent une dispense de cotisations doivent prouver qu’ils se trouvent temporairement dans une situation financière ou économique difficile qui ne leur permet pas de payer leurs cotisations lors de la réclamation de celles-ci par la caisse d’assurances sociales, l’I.N.A.S.T.I. appréciant la situation du travailleur indépendant en se basant sur les éléments invoqués lors de l’introduction de sa demande (article 17, § 1er, alinéas 2 et 3).

La cour rappelle également que l’I.N.A.S.T.I. tient notamment compte des revenus professionnels et des charges professionnelles du travailleur indépendant ou du chiffre d’affaires (et des coûts qui s’y rapportent) de l’entreprise ou de la société au sein de laquelle il exerce son activité, ainsi que des circonstances exceptionnelles justifiant la demande (article 17, § 3).

Quant à la Commission de recours, l’article 21ter de l’arrêté royal lui donne expressément une compétence de pleine juridiction pour connaître des recours contre les décisions de l’I.N.A.S.T.I., celle-ci devant se prononcer par décision motivée sur les griefs sur le fond que formulent les travailleurs indépendants contre les décisions portant refus de la dispense (refus total ou partiel) (article 21ter, §§ 2 et 12). Les éléments sur lesquels elle se fonde sont ceux invoqués lors de l’introduction de la demande sur lesquels l’I.N.A.S.T.I. s’est basé pour prendre la décision en cause.

La cour en vient ensuite à l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui a exécuté les dispositions précédentes. Son article 50ter/3 reprend les éléments d’appréciation dans le cadre des règles actuelles, s’agissant de déterminer la situation temporaire financière ou économique difficile du travailleur indépendant.

Onze critères figurent dans le texte, étant essentiellement relatifs aux revenus professionnels (ou chiffre d’affaires), aux frais et charges, dépenses ou investissements, etc. Sont également prises en compte des circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté du travailleur indépendant, ainsi que la reprise (totale ou partielle) de cette activité après une période d’incapacité de travail, la viabilité de l’activité et, encore, le secteur dans lequel celle-ci est déployée, ainsi dans un secteur reconnu comme secteur en crise par le Ministre des Indépendants.

D’autres critères interviennent encore en ce qui concerne les possibilités financières de l’intéressé, en cas de perception d’une pension ou d’une autre prestation de sécurité sociale ou d’existence de « matelas financiers ».

Les travaux préparatoires de la loi du 2 décembre 2018 sont également mentionnés, en ce qu’ils révèlent la volonté du législateur quant à la transformation des règles : le critère actuel est unique. Il faut se trouver dans une situation financière ou économique difficile, les critères précédents (état de besoin ou situation voisine de l’état de besoin) étant considérés comme vagues.

Ces travaux préparatoires ont souligné les avantages du nouveau système de dispense, en précisant que le caractère temporaire est essentiel, l’objectif n’étant pas que les indépendants introduisent une demande chaque année. L’aide accordée par l’octroi de la dispense doit être ponctuelle, s’agissant de permettre au travailleur indépendant de faire face à de grosses difficultés, quelle que soit l’importance de ses revenus professionnels. Il est par ailleurs souligné que la constitution d’un patrimoine immobilier ne peut se faire au détriment du paiement des cotisations sociales. Le nouveau système est un « changement de paradigme », dans lequel l’accent est mis sur des difficultés imprévues.

La cour souligne enfin le maintien de la compétence discrétionnaire de l’I.N.A.S.T.I., rappelant le rôle du juge dans un tel cas de figure, étant que celui-ci peut contrôler la légalité de la décision et examiner si l’administration n’a pas excédé son pouvoir de manière déraisonnable ou arbitraire. Il ne peut cependant priver l’autorité de son pouvoir d’appréciation ni se substituer à elle.

Dans son examen du dossier, la cour s’écarte de la position du premier juge, considérant que la décision est motivée tant en droit qu’en fait. Sur le fond, elle conclut que les explications données par l’intéressé vont davantage dans le sens d’explications sur son état de besoin que sur l’existence de difficultés économiques/financières difficiles temporaires (la cour souligne).

Elle conclut qu’au vu des pièces déposées, aucune erreur manifeste d’appréciation ni aucun exercice arbitraire ou déraisonnable de ses compétences ne sont démontrés dans le chef de l’I.N.A.S.T.I. eu égard aux nouveaux critères de l’arrêté royal n° 38. Elle confirme dès lors le caractère légal de la décision litigieuse.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cet arrêt est bien évidemment d’avoir précisé l’importante modification intervenue par la loi du 2 décembre 2018 en la matière. Le système antérieur permettait de solliciter – et même à diverses reprises – une dispense des cotisations au statut social eu égard à la situation financière et matérielle du travailleur indépendant. Le critère général était l’état de besoin, celui-ci n’étant pas autrement défini. Y était assimilé un état « voisin » de celui-ci, autre incertitude.

Par l’abandon de ce critère, la loi du 2 décembre 2018 a considérablement resserré les conditions d’octroi de la dispense des cotisations. Il est même fait état, dans les travaux préparatoires (repris dans l’arrêt), du caractère exceptionnel de cette décision, la demande ne pouvant être introduite qu’en cas de difficultés temporaires. Si aucune précision n’est donnée quant à ce critère dans le temps, il est en tout cas acquis qu’il s’oppose à une activité non rentable exercée sur plusieurs années ainsi qu’à la répétition des demandes d’octroi de la dispense.

L’on notera que, parmi les critères d’appréciation, figurent le secteur dans lequel l’activité est déployée, ainsi que des dépenses ou investissements exceptionnels indispensables. Intervient également la prise en compte de telles difficultés en cas d’accompagnement du travailleur indépendant en difficulté par une organisation spécialisée.

La cour a cependant rappelé, en reprenant les termes des travaux préparatoires, que, si des investissements importants ont été consentis, la constitution d’un patrimoine immobilier ne peut se faire au détriment du paiement des cotisations sociales.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be