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Chômeur non indemnisé : conditions du droit aux allocations familiales

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 avril 2022, R.G. 2018/AL/369 et 2019/AL/424

Mis en ligne le mardi 14 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 avril 2022, R.G. 2018/AL/369 et 2019/AL/424

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 avril 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les conditions dans lesquelles un attributaire (la mère en l’espèce) peut maintenir son droit aux prestations familiales lorsqu’il devient chômeur complet (ou partiel) non indemnisé.

Les faits

Une employée contractuelle ayant une activité indépendante complémentaire a donné naissance à un enfant en 1996 et a perçu les allocations familiales. Suite à la rupture de son contrat de travail, elle a bénéficié d’allocations de chômage. En 2010, soit près de quatorze ans plus tard, l’ONEm l’exclut du bénéfice des allocations de chômage au motif qu’elle a effectué son activité indépendante pendant toute cette période à titre accessoire mais sans l’autorisation de l’ONEm. La décision précise que l’activité complémentaire ne satisfait pas à la règle des trois mois de cumul avec du travail salarié avant d’être bénéficiaire d’allocations.

Vu la décision de l’ONEm retirant à l’intéressée ses allocations de chômage, la caisse d’allocations familiales a estimé qu’elle n’était plus compétente pour octroyer celles-ci dans le régime salarié. Elle a dès lors arrêté tout paiement à partir du 1er novembre 2010. Une première régularisation est intervenue, la caisse, qui avait versé les allocations, ayant entamé le recouvrement d’un indu.

Elle s’est adressée à la caisse devenue compétente dans le régime indépendant le 19 avril 2011, lui adressant un brevet d’attributaire au nom de l’intéressée, précisant que celle-ci était redevable d’un montant de l’ordre de 5.000 euros au titre d’allocations indûment versées. Pour la période antérieure, de trois ans, la caisse demandait à connaître le montant des allocations qui aurait été payé dans le régime indépendant, précisant que la différence entre le barème indépendant et salarié serait passée au fonds de réserve. Aucune suite ne fut donnée à cette demande, les allocations familiales pour cette période n’ayant jamais été remboursées.

La caisse initiale signala à la mère le montant de l’indu et la caisse nouvellement compétente fit savoir qu’elle procéderait à la récupération dès que possible à raison de 100% sur les prestations familiales, ce qui fut fait.

Entre-temps, un recours ayant été introduit contre la décision de l’ONEm, la cour du travail annula la décision litigieuse, et ce par arrêt du 13 mars 2014.

Une seconde régularisation devait dès lors intervenir, la caisse initiale « redevenant » compétente pour l’octroi des allocations familiales. Les paiements reprirent et la période à partir du 1er juillet 2014 se déroula sans encombre au niveau des relations entre la caisse et l’intéressée.

Ultérieurement, le 13 novembre 2015, un remboursement de l’ordre de 11.300 euros fut demandé par la caisse compétente dans le secteur indépendant à la caisse initiale, s’agissant des allocations pour la période du 1er juillet 2005 au 30 juin 2014. Un échange de courriers intervint. La caisse considéra que ce montant devait revenir à la caisse compétente dans le régime indépendant et que la différence entre les allocations dans les régimes salarié et indépendant, soit un montant de l’ordre de 1.750 euros, devait être payée à la mère.

Un recours fut introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège). A l’initiative de l’auditorat, les deux caisses furent mises à la cause. Le tribunal rendit deux jugements, à l’issue desquels il fit droit à la demande.

Les deux caisses interjetèrent appel des jugements les condamnant.

Les arrêts de la cour du travail

La cour a rendu deux arrêts.

L’arrêt du 30 août 2021

Dans une première décision du 30 août 2021, la cour a tranché la question de la recevabilité des appels et a ordonné la réouverture des débats.

L’arrêt du 22 avril 2022

La cour examine dans cet arrêt le droit aux allocations familiales pour la période du 1er novembre 2010 au 30 juin 2014.

L’intéressée avait été exclue du droit aux allocations de chômage pendant treize semaines. Aussi, la cour examine-t-elle l’incidence de cette exclusion sur les allocations familiales.

En l’occurrence, le texte applicable est le Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion des prestations familiales. Celui-ci contient des dispositions transitoires pour les enfants nés avant le 1er janvier 2019, pour lesquels le droit aux prestations familiales reste essentiellement régi par la loi générale du 19 décembre 1939. En vertu de l’article 56nonies de celle-ci, les chômeurs complets ou partiels indemnisés ou non indemnisés sont attributaires d’allocations familiales. Les conditions d’octroi dans le chef des chômeurs sont reprises à l’article 4, §§ 1er et 2, de l’arrêté royal du 25 février 1994. Il découle de ce texte que le chômeur exclu du bénéfice des allocations de chômage suite à une sanction administrative infligée en l’absence de récidive reste attributaire des allocations familiales dans le régime salarié, à la condition d’être inscrit comme demandeur d’emploi, d’être disponible sur le marché du travail et de se soumettre au contrôle des chômeurs. La cour précise au titre d’exemple que ceci vaut pour les sanctions en application de l’article 154, alinéa 1er, et non alinéa 2.

Pour ce qui est des conditions ci-dessus, elles sont précisées dans des circulaires administratives. La cour rappelle qu’en 2005, suite à la suppression du contrôle des chômeurs organisé par les communes, une circulaire de l’ONAFTS (Circulaire n° 997/65 du 24 mars 2006) rappelle que, la formalité du pointage ayant disparu dans les faits, pour ce qui est de l’inscription comme demandeur d’emploi, ainsi que l’exigence de la disponibilité sur le marché du travail, la preuve que ces conditions sont remplies ne peut plus être obtenue auprès de l’ONEm. Il y a lieu, dès lors, de présumer qu’elles le sont dans le cas d’un chômeur non indemnisé. Pour un chômeur complet non indemnisé, la qualité d’attributaire est donc reconnue, sauf (i) s’il ouvre le droit en une autre qualité, (ii) s’il s’agit d’un ex-étudiant pendant la période d’attente, (iii) si l’exclusion intervient dans un contexte de récidive ou (iv) … (disposition spéciale pour les marins).

En outre, la cour rappelle que des échanges d’informations sont prévus dans diverses circulaires entre l’ONEm, les organismes de paiement et les caisses d’allocations familiales. Celles-ci portent sur la perte de la qualité d’attributaire des allocations dans le régime salarié.

En l’espèce, la cour rappelle que la question des allocations de chômage a été tranchée par l’arrêt du 13 mars 2014, mais que celui-ci a maintenu une sanction administrative d’exclusion de treize semaines sans sursis. Cette sanction a été prise sur pied de l’article 154 de l’arrêté royal organique. Il ne s’agit pas d’une récidive. Pendant cette période, la mère n’avait dès lors plus la qualité de chômeur indemnisé.

La caisse (compétente dans le secteur salarié) plaidant qu’elle avait perdu sa qualité d’attributaire et qu’en conséquence, il faut déduire de toute somme à laquelle elle serait condamnée les allocations familiales relatives à cette période, la cour reprend les conditions de l’article 4, § 1er, de l’arrêté royal du 25 février 1994. La caisse estime en effet que c’est à l’intéressée de rapporter la preuve que celles-ci sont remplies alors que les circulaires administratives concluent qu’il convient de considérer que ces conditions sont remplies, sauf si l’ONEm ou l’organisme de paiement informaient la caisse d’allocations familiales du contraire. Il n’a, dans le dossier, jamais été fait état de l’absence de qualité d’attributaire. La cour conclut qu’il y a lieu d’appliquer les instructions administratives.

Pour ce qui est des sommes dues, elle retient que l’intéressée avait droit, dans le régime des travailleurs salariés, auquel elle est censée avoir toujours appartenu suite à l’arrêt rendu le 13 mars 2014, au paiement d’une somme déterminée. Le montant perçu dans le régime des travailleurs indépendants est moindre et une différence subsiste donc. Les allocations, dont par ailleurs elle a été privée (non seulement pendant les trois mois de la sanction, mais pour une période légèrement supérieure), n’ont pas été régularisées ultérieurement, la caisse compétente dans le secteur salarié s’étant fondée sur la décision de l’ONEm et l’autre caisse ayant considéré qu’elles avaient déjà été payées.

Une différence doit dès lors être retenue, vu le taux applicable (la cour renvoyant aux décomptes faits par l’avocat général). Un solde doit également être pris en compte, correspondant aux allocations familiales non versées pendant la période ci-dessus. Ces condamnations sont à charge de la caisse compétente dans le secteur salarié.

La cour réforme dès lors les jugements intervenus, limitant la condamnation de la caisse compétente dans le secteur salarié au montant ci-dessus.

Intérêt de la décision

La cour rappelle, dans cet arrêt, la triple condition mise dans le secteur des allocations familiales pour qu’un attributaire ayant le statut de chômeur complet ou partiel non indemnisé puisse percevoir les allocations. Celle-ci est reprise à l’article 4, §§ 1er et 2, de l’arrêté royal du 25 février 1994 déterminant les conditions d’octroi des prestations familiales du chef des chômeurs. Il s’agit, comme repris dans l’arrêt, de l’inscription comme demandeur d’emploi, de la disponibilité sur le marché du travail et du respect de l’obligation de pointage. La cour a rappelé que cette dernière condition a été supprimée en 2005.

Diverses situations sont envisagées dans l’arrêté royal dispensant le chômeur de cette obligation, notamment s’il ouvre déjà le droit à des prestations familiales à un autre titre (les autres hypothèses étant reprises à l’article 4, § 2, 2° à 6°).

Les circulaires administratives contiennent un apport important pour ce qui est de la preuve du respect de cette triple condition (dont la question du pointage a été implicitement supprimée). En vertu de la Circulaire n° 997/65 du 24 mars 2006, les conditions sont présumées remplies par le chômeur non indemnisé (sauf exceptions reprises par la cour dans quatre hypothèses). Il ne peut dès lors être question de mettre à sa charge la preuve du maintien de son inscription comme demandeur d’emploi et de sa disponibilité sur le marché du travail.


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