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Chercheur non européen : droit aux allocations de chômage à l’issue de la convention d’accueil ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 avril 2022, R.G. 2021/AL/417

Mis en ligne le mardi 14 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 21 avril 2022, R.G. 2021/AL/417

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 avril 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la modification de la réglementation en matière de permis de travail par l’Accord de coopération du 2 février 2018, les permis de travail A, B et C ayant été remplacés par un « permis unique » et un « titre unique ».

Les faits

Un citoyen de nationalité nigérienne est engagé le 1er octobre 2015 en qualité de boursier de doctorat par l’Université de Liège (à Gembloux). Il est dispensé de permis de travail en application de l’article 2, 26°, de l’arrêté royal du 9 juin 1999 portant exécution de la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation de travailleurs étrangers, vu sa qualité de chercheur. Cette occupation fait l’objet des retenues de cotisations O.N.S.S.

Vu l’introduction d’une nouvelle réglementation sur le permis de travail depuis le 1er janvier 2019 (un « permis unique » et un « titre unique » venant remplacer les permis A, B et C), l’intéressé a reçu un permis unique avec mention « marché du travail limité », permis valable chez un employeur pour un poste spécifique. Son occupation ayant pris fin le 28 octobre 2019, l’intéressé s’est présenté au FOREm, qui a refusé de l’inscrire comme demandeur d’emploi, vu l’accès limité au marché du travail. Ayant sollicité le bénéfice des allocations de chômage, il a reçu une décision de refus. Celle-ci se réfère à l’article 43 de l’arrêté royal organique, selon lequel il y a lieu de satisfaire à la législation relative aux étrangers et à celle concernant l’occupation de la main-d’œuvre étrangère. En l’espèce, le permis de travail a été accordé uniquement pour faire des études en Belgique et non pour y effectuer un travail salarié.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège. Ultérieurement, l’intéressé a présenté sa thèse de doctorat et a obtenu le titre de docteur en février 2021. Il s’est alors inscrit comme demandeur d’emploi. Il a ensuite quitté la Belgique.

Le jugement du tribunal du travail, rendu le 28 juin 2021, a débouté le demandeur, la décision administrative étant confirmée.

Appel a été interjeté. Y est demandé le bénéfice des allocations de chômage à titre principal depuis le 29 octobre 2019 (date de l’inscription et du refus du FOREm) et à titre subsidiaire depuis le 24 février 2021 (date de fin de doctorat).

La décision de la cour

La cour reprend, pour les ressortissants des pays tiers à l’Union européenne, la question de l’admissibilité, de l’octroi et de l’indemnisation en matière de chômage.

La notion de chercheur est définie dans la loi du 15 décembre 1980 (articles 61/10 et 61/12). Traditionnellement, les chercheurs qui replissaient les conditions légales (article 2, 26°, de l’arrêté royal du 9 juin 1999 portant exécution de la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers) pouvaient être dispensés de l’obligation d’obtenir un permis de travail. La durée de la dispense était limitée à celle du projet de recherche fixé dans la convention d’accueil entre le chercheur et l’organisme agréé. La validité de celle-ci était circonscrite à l’activité de recherche elle-même ainsi qu’à l’organisme en cause.

La cour rappelle ensuite la nouvelle réglementation sur le permis de travail intervenue par l’Accord de coopération du 2 février 2018 (entre Etat fédéral et entités fédérées), suite à laquelle les permis uniques et titres uniques lient directement l’autorisation de travailler avec celle de séjourner sur le territoire.

Elle renvoie également à la Directive n° 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair. En vertu de celle-ci (article 25), les chercheurs et les étudiants ont la possibilité de rester sur le territoire sur la base du titre de séjour en cause pendant au moins neuf mois afin d’y chercher du travail ou d’y créer une entreprise.

Dans l’examen de l’espèce, elle constate que l’arrêté royal du 9 juin 1999 a été abrogé par un arrêté du Gouvernement wallon du 16 mai 2019 relatif à l’occupation des travailleurs étrangers. Cet arrêté transpose partiellement la directive ci-dessus. La réglementation actuelle dispose pour les chercheurs que leur admission au travail vaut pour la durée du projet de recherche définie dans la convention d’accueil conclue avec l’organisme de recherche agréé.

En l’espèce, la cour constate que, lors du renouvellement de son titre de séjour en octobre 2019, l’intéressé était (quoique le document ne soit pas produit) titulaire d’un permis unique avec mention « marché du travail limité ». Ceci signifie qu’il pouvait travailler chez un employeur pour un poste spécifique, en l’occurrence son emploi de chercheur pour l’Université de Liège.

La cour constate qu’aucune demande d’un autre permis de travail n’a été introduite par la suite et que l’intéressé est ainsi resté titulaire d’un permis de travail limité qui ne lui donnait pas un accès illimité au marché du travail, n’étant ainsi pas disponible sans restriction sur ce marché.

Elle constate que, dans son argumentation, l’appelant plaide qu’il y a une faute de l’ONEm, qui n’aurait pas attiré son attention sur la nécessité d’introduire une demande de nouveau permis à l’issue de sa thèse. Pour la cour, il n’y a pas de faute à retenir dans le chef de l’ONEm, vu que l’obligation d’information incombe à l’organisme de paiement. La cour rappelle la doctrine (M. SIMON, « Chapitre III – Institutions compétentes et responsabilités », in G. GAILLIET et al. (dir.), Chômage, 1re éd., Bruxelles, Larcier, 2021, pp. 28 et 35) sur la répartition des obligations entre les organismes de paiement et l’ONEm. Les organismes de paiement ont l’obligation de conseiller le travailleur et de lui fournir les informations utiles concernant ses droits et ses devoirs et l’ONEm n’assure l’obligation d’information qu’à titre résiduaire (la cour renvoyant également à J.-F. NEVEN, « Les principes de bonne administration, la Charte de l’assuré social et la réglementation du chômage », La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, S. GILSON et J.-F. NEVEN (coord.), Waterloo, Kluwer, 2011, p. 611).

Elle reprend ensuite l’important arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2020 (Cass., 14 décembre 2020, n° S.19.0034.F), qui rappelle que l’article 26bis de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, relatif à l’obligation d’information dans le chef de l’ONEm débute par ces termes : « Pour autant que la réponse à la demande d’information n’incombe pas à l’organisme de paiement en application de l’article 24 (…) ».

Il en découle dès lors qu’aucune faute ne peut être retenue dans le chef de l’ONEm, l’assuré social devant s’adresser à son organisme de paiement (qui n’est pas à la cause). Il n’établit pas davantage qu’il ait fait une demande de renseignements à l’ONEm.

Intérêt de la décision

La première question abordée par la cour concerne le permis unique à durée limitée. Ce permis unique est indispensable pour engager un ressortissant non européen en Belgique pour une durée supérieure à nonante jours. Même si l’appellation est modifiée, la réglementation sur l’occupation des travailleurs étrangers (permis B ou dispense) reste donc d’application dans une série d’hypothèses, dont celle concernant les chercheurs avec une convention d’accueil (sur les conditions du permis pour chercheur en Région wallonne, voir la Section 4 de l’arrêté du Gouvernement wallon du 16 mai 2019 ci-dessus).

Le deuxième point d’intérêt de l’arrêt est relatif à la répartition des obligations en matière d’informations entre l’ONEm et les organismes de paiement, répartition organisée par la Charte de l’assuré social et l’arrêté royal chômage.

La Cour de cassation a été amenée à rendre un arrêt très important le 14 décembre 2020 (précédemment commenté), arrêt dont référence dans celui de la cour du travail commenté. Cet arrêt enseigne en substance que la circonstance qu’un document prescrit par la réglementation chômage, en l’espèce le document C1, soit établi par l’ONEm n’implique pas que l’obligation d’information sur la portée de celui-ci au regard du droit aux allocations reposerait sur cette institution de sécurité sociale.

La cour du travail a dès lors valablement pu considérer que l’obligation d’information repose à titre principal sur l’organisme de paiement (qui n’est pas à la cause) et sur l’ONEm qu’à titre subsidiaire (non violation des articles 3 de la Charte de l’assuré social, 24, § 1er, alinéa 1er, 3°, et alinéa 3, 3°, et 26bis, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991).

Les obligations de l’organisme de paiement sont étendues et l’on peut également revenir sur un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 28 octobre 2021, R.G. 2020/AL/565 et 2020/AL/574), qui a jugé que l’organisme de paiement doit notamment informer son affilié de l’obligation de s’inscrire comme demandeur d’emploi ainsi que de l’ensemble des documents utiles pour l’introduction de la demande d’allocations de chômage. A défaut, il peut être condamné, au titre de dommages et intérêts, au montant des allocations que l’affilié aurait dû percevoir dans l’intervalle. Ce devoir d’information et de conseil comprend notamment une obligation de vérification.

La même cour a également considéré, dans un arrêt légèrement antérieur (C. trav. Liège, div. Liège, 9 septembre 2021, R.G. 2020/AL/229 – précédemment commenté) qu’il appartient à l’organisme de paiement d’informer ses affiliés de leurs droits et d’attirer le cas échéant l’attention de ces derniers sur des droits plus étendus que ceux qu’ils réclament. Figure dans l’obligation d’information celle relative à l’obligation de s’inscrire comme demandeur d’emploi afin de bénéficier des allocations, la simple mention de celle-ci au verso de la carte de contrôle n’étant pas suffisante. Ce devoir comprend également une obligation de vérification, à savoir que l’organisme de paiement droit croiser les banques de données auxquelles il a accès pour vérifier les informations administratives données par l’affilié. Ceci ressort des articles 24, § 2, alinéa 1er, 4° et 5°, ainsi que 134bis et 134ter de l’arrêté royal organique.


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