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Cumul d’allocations de chômage et de revenus issus de droits d’auteur ou de droits voisins

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 mars 2022, R.G. 2020/AL/262

Mis en ligne le mardi 14 février 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 mars 2022, R.G. 2020/AL/262

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 mars 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que les profits de professions libérales ne doivent pas se voir appliquer le régime particulier visé aux articles 48bis (exercice d’une activité bénévole) et 130 (règle de cumul) de l’arrêté royal chômage.

Les faits

En septembre 2006, lors de son inscription en tant que demandeur d’emploi, Madame P. déclare, sur un formulaire « C1-Artiste », être actrice-réalisatrice. Elle ne fait pas mention de revenus découlant de cette activité. En 2017, l’ONEm la convoque, au motif qu’elle aurait perçu des droits d’auteur et/ou des droits voisins, ceux-ci n’ayant pas été déclarés. L’intéressée donne ses explications et complète un nouveau document, faisant état de revenus annuels imposables de 2.200 euros.

Elle est exclue du bénéfice des allocations perçues par une décision du 11 janvier 2018. L’exclusion concerne la différence entre les montants payés et ceux auxquels elle avait effectivement droit. La période couvre quinze mois (du 1er octobre 2014 au 31 décembre 2015). Est reproché le non-respect des articles 27, alinéa 1er, 10°, et 48bis, § 1er, alinéas 2 et 3, de l’arrêté royal. L’ONEm reprend le montant perçu pour les années 2014 et 2015 (montant divisé par trois-cent-douze), obtenant ainsi le revenu journalier. L’allocation de chômage doit être diminuée de celui-ci. Une sanction administrative est également décidée, étant, en l’espèce, un avertissement vu l’absence de sanction au cours des deux années précédentes et tenant compte du fait que l’intéressée avait rectifié spontanément la situation.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, suite à la décision de récupération d’un montant de l’ordre de 1.550 euros. Le recours n’a pas été accueilli par le tribunal, qui, dans un jugement du 27 avril 2020, a confirmé intégralement la décision de l’ONEm.

Suite à l’appel de l’intéressée, la cour du travail a rendu deux arrêts, le premier (arrêt interlocutoire) le 28 septembre 2021 et le second en date du 22 mars 2022.

L’arrêt du 28 septembre 2021

Dans cet arrêt, la cour constate que l’ONEm s’est fondé sur une décision fiscale ayant revu les impôts dus par l’intéressée pour 2015 et qu’il a pris en compte diverses ressources, dont des revenus de chargée de cours (master), alors que celle-ci a coché ses cartes de contrôle lorsqu’elle a exercé cette activité.

Elle souligne quant au fond que l’activité de chorégraphe non artistique ou de professeur de danse n’est pas une activité artistique au sens de l’article 27, 10°, de l’arrêté royal organique et que l’on ne peut dès lors appliquer à celle-ci le régime particulier d’indemnisation prévu pour un chômeur qui exerce une activité artistique en période de chômage.

Par ailleurs, l’intéressée ayant coché ses cartes de contrôle, la cour conclut à l’existence d’une activité occasionnelle (et non accessoire). La réouverture des débats est ordonnée pour permettre à l’ONEm d’apporter des explications à propos de revenus visés par les biffures des cases de la carte de contrôle.

La cour confirme également, sur le plan des principes, l’exclusion de l’intéressée des allocations pour la différence entre les montants perçus et ceux auxquels elle avait effectivement droit, ainsi que pour ce qui est de l’avertissement.

L’arrêt du 22 mars 2022

La cour du travail statue, dans cet arrêt, sur l’indu réclamé par l’ONEm. Elle constate en premier lieu que l’ONEm a majoré sa demande en cours d’instance et pose à cet égard la question de savoir si le fait d’augmenter celle-ci (le montant étant quasiment doublé) constitue un appel incident et, dans l’affirmative, quelles sont les conséquences qui en découlent.

Elle rappelle pour ce l’article 1054 du Code judiciaire, dont l’alinéa 2 dispose que l’appel incident ne peut être admis que s’il est formé dans les premières conclusions prises par l’intimé après l’appel principal ou incident formé contre lui. En l’espèce, l’appel incident ne figurant pas dans les premières conclusions, la majoration de la demande est irrecevable.

La cour procède, quant au montant, à l’identification de l’indu pour chacune des deux années, tenant compte de la révision fiscale intervenue. Les revenus perçus étant repris en base annuelle, ils sont divisés par trois-cent-douze et aboutissent à un revenu journalier, à multiplier par le nombre d’allocations perçues pendant la période considérée. La régularisation exclut dès lors les profits des professions libérales repris sur les avertissements-extraits de rôle, la cour confirmant qu’en biffant sa carte de contrôle, l’intéressée a rempli correctement les obligations qui lui incombaient. Elle note encore que ces journées ont été prises en compte par l’ONEm dans le cadre des allocations versées.

Enfin, elle examine la question de la bonne foi, l’intéressée sollicitant le bénéfice de l’article 169, alinéa 2, de l’arrêté royal. Celle-ci s’est renseignée quant à la réglementation applicable et l’on peut dès lors lui reprocher de ne pas avoir pris la peine de vérifier ses obligations vis-à-vis de l’ONEm, d’autant que cette absence de vérification est encore intervenue lorsque la révision fiscale a été décidée, la bonne foi n’est pas retenue.

Intérêt de la décision

La cour du travail a tranché dans ce dossier une question de cumul entre les allocations de chômage et un revenu. La révision opérée par l’ONEm fait suite à une correction fiscale due au recalcul de droits d’auteur et/ou voisins.

En l’espèce, l’intéressée donnait des cours dans le cadre du programme « Doc Nomads », étant un programme européen d’études supérieures à temps plein de deux ans dispensées par trois universités (Portugal, Hongrie et Belgique). Ce projet gravite dans la sphère des programmes Erasmus.

C’est une activité d’enseignement et celle-ci n’est pas à considérer pour les allocations de chômage comme une activité artistique au sens de l’article 27, 10°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 relatif à la définition de l’activité artistique. Signalons que cette disposition a été abrogée par un arrêté royal du 30 juillet 2022 (arrêté royal modifiant diverses dispositions de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage et insérant un chapitre XII portant des dispositions particulières applicables aux travailleurs des arts dans le titre II du même arrêté royal et modifiant diverses dispositions de l’arrêté royal du 26 novembre 1991, portant les modalités d’application de la réglementation du chômage), de même que les articles 48bis et 130, 6 °.

A l’époque des faits, l’article 27, 10°, fixait le critère de l’activité artistique.

Le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 30 juillet 2022 précise que le projet d’arrêté vise à insérer dans l’arrêté royal du 25 novembre 1991 un nouveau chapitre XII, qui condense en un seul endroit les règles relatives au droit aux allocations de chômage des travailleurs occupés dans le secteur des arts, ainsi que d’adapter les dispositions existantes de l’arrêté chômage et de l’arrêté ministériel d’exécution afin d’abroger les dispositions qui concernaient ces travailleurs, étant entendu qu’elles sont pour partie réintégrées dans ce chapitre. Le Rapport au Roi a rappelé la précarité de ces travailleurs, notamment en raison d’une intermittence entre des périodes rémunérées et non rémunérées, des contrats de courte durée ou « à la tâche », du travail invisible et d’une multiplicité d’employeurs. Cet arrêté royal est entré en vigueur le 1er octobre dernier.


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