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Discrimination sur la base du handicap : un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mai 2022, R.G. 2020/AB/178

Mis en ligne le mardi 14 février 2023


Cour du travail de Bruxelles, 23 mai 2022, R.G. 2020/AB/178

Terra Laboris

Par arrêt du 23 mai 2022, la Cour du travail de Bruxelles retient l’existence d’une discrimination fondée sur le handicap dans une espèce concernant un établissement de travail adapté qui a renoncé à une promesse d’embauche, ayant été informé de l’hospitalisation du candidat.

Les faits

M. V. adresse une candidature spontanée à une entreprise de travail adapté. Il est lui-même atteint d’un retard mental et est à l’époque sous contrat de travail auprès d’une autre ETA. Il expose dans sa candidature qu’il a effectué de l’assemblage et du remplissage de display, de la mise sous film, de la mise de bons sur bouteilles, etc. Après un entretien d’embauche et un test préalable à l’embauche, son engagement est confirmé à l’issue du préavis à donner chez l’employeur qui l’occupe à ce moment.

La promesse d’embauche sera cependant annulée, la responsable RH exposant qu’elle avait appris que l’intéressé était hospitalisé au sein d’un hôpital psychiatrique, situation qui n’avait pas été invoquée lors de l’entretien d’embauche. Elle considère l’information obtenue comme « incompatible avec le travail requis ».

Une attestation est transmise à l’ETA, émanant d’un médecin, certifiant que l’intéressé est capable de travailler en ETA, ce qui n’amène cependant pas l’établissement à modifier son point de vue. Un courrier recommandé est adressé par l’intéressé, celui-ci faisant état d’une discrimination sur la base du handicap, et ce d’autant qu’aucune référence n’est faite à une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Le conseil de l’ASBL répond à ce courrier, contestant la discrimination au motif que l’intéressé aurait sciemment caché une information d’une importance capitale dans le chef du futur employeur.

L’organisation syndicale de l’intéressé, qui a appuyé ses démarches depuis le début, confirme la discrimination et postule une indemnisation, constatant qu’il y a distinction directe, vu que, d’une part, la motivation de la rupture de la promesse d’engagement se base sur le fait qu’il pourrait séjourner en hôpital psychiatrique et que, d’autre part, le handicap était connu de l’employeur, l’intéressé étant détenteur d’une carte jaune délivrée par le PHARE.

L’échange de correspondance se poursuit, mas infructueusement, de telle sorte que l’intéressé saisit le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui, par jugement du 8 octobre 2019, condamne l’ASBL au paiement d’une indemnité pour discrimination, en violation de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, ainsi qu’à une indemnité compensatoire de préavis et à la délivrance des documents sociaux.

Appel est interjeté.

L’arrêt de la cour du travail

La cour passe longuement en revue les textes et principes en la matière, rappelant les définitions ainsi que la question de l’exigence professionnelle essentielle et déterminante, notion pour laquelle elle va puiser dans les travaux préparatoires, qui rappellent que celle-ci doit être basée sur un objectif légitime et doit être proportionnée à l’objectif poursuivi (Doc. parl., Ch., Sess. 2006-2007, n° 51-2722/001, pp. 48-49).

Ce qui doit constituer une exigence essentielle et déterminante, ce n’est pas le motif sur lequel est fondée la différence de traitement, mais plus exactement une caractéristique liée à celui-ci, la cour rappelant ici une abondante jurisprudence de la Cour de Justice (arrêts des 14 mars 2017, Aff. n° C-188/15, BOUGNAOUI, 12 janvier 2010, Aff. n° C-229/08, WOLF, 13 septembre 2011, Aff. n° C-447/09, PRIGGE et alii, 13 novembre 2014, Aff. n° C-416/13, VITAL PEREZ et 15 novembre 2016, Aff. n° C-258/15, SALABERRIA SORONDO).

Elle s’attarde plus spécifiquement aux critères du handicap, revenant ici sur d’autres arrêts importants de la Cour de Justice (arrêts des 1er décembre 2016, Aff. n° C-395/15, DAOUIDI, 18 janvier 2018, Aff. n° C-270/16, CONEJERO et 9 mars 2017, Aff. n° C-406/15, MILKOVA).

Elle souligne que, parmi les indices permettant de considérer qu’une limitation est « durable », figure notamment le fait que, à la date du fait prétendument discriminatoire, l’incapacité de la personne concernée ne présente pas une perspective bien délimitée quant à son achèvement à court terme ou le fait que cette incapacité est susceptible de se prolonger significativement avant le rétablissement de ladite personne.

Enfin, elle reprend l’exigence de la mise en place d’aménagements raisonnables, rappelant que l’adaptation ou la modification de la fonction du travailleur peut constituer un de ceux-ci.

D’ultimes développements en droit sont faits sur la question de la preuve et de l’indemnisation.

Elle en vient ainsi à l’examen des éléments de l’espèce. Elle reprend le cheminement du premier juge et annonce qu’elle tient un raisonnement sensiblement identique, selon lequel elle vérifie (i) si des faits sont invoqués qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe fondée sur le handicap, (ii) si l’ASBL prouve qu’il n’y a pas eu de discrimination (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) et (iii) si une indemnité est due (ce qui est le cas en l’espèce, l’indemnité étant forfaitaire).

Le rappel de la chronologie des faits permet aisément de constater que sont invoqués des faits susceptibles de présumer l’existence de la discrimination fondée sur le handicap. La cour retient les faits dans leur ensemble et conclut sur ce point que l’intéressé paraît bien avoir été traité de manière moins favorable qu’un autre candidat postulant pour les mêmes postes, non « hospitalisé » dans un « hôpital psychiatrique ». Il s’agit d’un critère de distinction indissociablement lié à son handicap, l’hospitalisation répondant directement à la nécessité pour lui, dans sa situation spécifique et au vu de son handicap, d’être hébergé dans un cadre protégé.

L’existence de la distinction directe étant incontestable, la cour constate que l’ASBL ne peut se prévaloir d’exigences professionnelles essentielles et déterminantes, celles-ci n’étant nullement identifiées. M. V. faisant valoir quant à lui que cette exigence résiderait dans l’autonomie, la cour constate que ce terme n’est pas employé par l’ASBL, qui n’associe pas cette qualité à une telle exigence susceptible de constituer une cause de justification à la distinction opérée. La cour conclut au droit pour l’intéressé d’être indemnisé suite à la discrimination dont il a été victime.

Sur l’indemnité de rupture (ou demande de dommages et intérêts), elle reprend un extrait du jugement, le tribunal ayant constaté que le cumul des deux indemnités n’est pas prohibé et que celles-ci, d’ailleurs, ne réparent pas le même dommage et n’ont pas la même cause, l’indemnité octroyée dans le cadre de la loi du 10 mai 2007 réparant forfaitairement le préjudice moral et matériel subi par la victime d’une discrimination dans le cadre des relations de travail et l’indemnité de rupture indemnisant le dommage résultant de la rupture irrégulière du contrat de travail.

La cour s’écarte de cette conclusion, estimant devoir d’abord examiner s’il y a eu conclusion d’un contrat de travail ou simple promesse d’engagement. C’est cette seconde thèse que soutient l’ASBL, qui estime que celle-ci était conditionnée par l’information relative à la date de fin du préavis du candidat. Il s’agirait d’une condition suspensive, qui ne s’est jamais réalisée, l’intéressé n’ayant pas démissionné et aucun contrat de travail n’ayant été signé.

La cour rappelle que la conclusion d’un contrat de travail ne requiert pas d’écrit mais que celui-ci doit répondre aux conditions de validité de l’article 1108 de l’ancien Code civil, dont celle du consentement. Or, à l’estime de la cour, les parties ne se sont pas accordées sur les éléments essentiels du contrat de travail et le courriel de l’ETA ne peut être appréhendé comme l’expression de l’acceptation d’une offre, vu que cette offre n’existe pas. Aucun contrat de travail n’a donc vu le jour mais l’intéressé peut se prévaloir d’une promesse d’embauche. Une indemnité compensatoire de préavis ne peut dès lors être postulée et la cour réforme le jugement sur ce point.

A titre subsidiaire, l’intéressé demandant à la cour de considérer que sa demande est fondée sur des dommages et intérêts, la cour considère que la rupture par l’ASBL de son engagement d’embauche pourrait effectivement justifier une telle condamnation, celle-ci devant se faire conformément au droit commun de la responsabilité civile.

Elle fait ici grief à l’intimé, qui se focalise sur la faute de l’A.S.B.L. et sur l’absence de faute dans son chef, de ne pas développer la question du dommage et du lien de causalité. Le jugement est dès lors également réformé en ce qu’il a fait droit à ce chef de demande.

Intérêt de la décision

Ce bel arrêt de la Cour du travail de Bruxelles fait une synthèse particulièrement circonstanciée de la question de la discrimination sur la base du handicap. Moult renvois sont faits à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, qui a balisé la notion dans divers arrêts célèbres.

L’on retiendra particulièrement, pour ce qui concerne la notion d’aménagements raisonnables au sens de la loi, que l’adaptation ou la modification de la fonction du travailleur peut satisfaire à l’exigence légale et qu’il faut donc envisager cette possibilité en présence d’un travailleur présentant un handicap.

L’article 4, 12°, de la loi du 10 mai 2007 définit en effet les aménagements raisonnables comme des mesures appropriées, prises en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder, de participer et de progresser dans les domaines pour lesquels cette loi est d’application, sauf si ces mesures imposent une charge disproportionnée à l’égard de la personne qui doit les adopter.

La notion est dès lors très large, puisqu’elle porte sur des « mesures » de tous ordres. Celles-ci doivent répondre à certaines exigences, étant essentiellement de tenir compte des besoins de la personne dans une situation concrète, l’obligation ne connaissant qu’une limite liée à la charge disproportionnée que constitueraient ces aménagements pour l’employeur ou, de manière générale, selon le texte de la disposition, pour « la personne qui doit les adopter ».


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