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Force majeure : conditions du droit aux allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Mons, 18 janvier 2022, R.G. 2020/AM/269

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Cour du travail de Mons, 18 janvier 2022, R.G. 2020/AM/269

Terra Laboris

Par arrêt du 18 janvier 2022, la Cour du travail de Mons rappelle que la force majeure est une cause d’extinction du contrat de travail et que, si l’employeur entend solliciter le bénéfice des allocations de chômage temporaire, il doit établir que l’ensemble des éléments de celle-ci sont réunis, en ce compris qu’il s’agit d’un événement qui rend l’exécution de ses obligations impossible et qui est exempt de toute faute dans son chef.

Les faits

Une société active dans le secteur des « titres-services » s’est vu notifier, le 23 mai 2018, un refus d’agrément émanant du Ministre de l’Emploi et de la Formation du Gouvernement wallon. Cette décision est devenue définitive, un recours devant le Conseil d’Etat ayant échoué. La société a ensuite fait des déclarations de chômage temporaire « force majeure », la première période d’une semaine (début juin) étant refusée par l’ONEm, de même qu’une seconde, de la même durée (début juillet). Un recours a été introduit contre chacune de ces décisions devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), qui, par jugement du 14 février 2020, a débouté la société. Appel a été interjeté et le jugement a été confirmé par arrêt de la Cour du travail de Mons du 28 avril 2021.

Dans ce cadre de ces faits, une ouvrière avait adressé à son employeur un courrier le 15 juin 2018, exposant avoir travaillé jusqu’au 1er juin et ne plus avoir reçu de prestations à fournir après cette date. Le courrier adressé est une mise en demeure par laquelle l’intéressée demande à la société de respecter ses obligations contractuelles, étant de fournir les prestations convenues. Elle fixe un délai pour ceci, étant le 21 juin 2018, et précise qu’à défaut de respect par la société de ses obligations contractuelles à ce moment, elle considérera le contrat rompu aux torts de cette dernière, une indemnité de rupture devant être versée, de même que des dommages et intérêts correspondant à la rémunération due, vu la non-fourniture de travail.

A ce courrier, la société a répondu qu’elle considérait ne pas avoir commis de faute, étant plutôt confrontée à un événement de force majeure. L’ouvrière constata la rupture de contrat, comme annoncé. Le document C4 qui lui fut remis fait état d’un abandon de travail, étant par ailleurs précisé par l’employeur qu’il n’avait jamais eu d’intention de mettre un terme au contrat.

Une procédure a été introduite devant le tribunal, l’ouvrière réclamant des dommages et intérêts pour la rémunération du mois de juin ainsi qu’une indemnité de rupture de quatre semaines, les documents sociaux étant également réclamés.

Par jugement du 18 mai 2020, le tribunal du travail statua, condamnant la société (alors en faillite), et fit droit à la demande de dommages et intérêts.

Un appel est interjeté devant la cour du travail, le curateur faisant essentiellement valoir que les éléments constitutifs de la responsabilité civile ne sont pas réunis : la société n’aurait pas commis de manquements fautifs mais, s’étant trouvée dans l’impossibilité d’occuper la travailleuse, vu la décision de retrait d’agrément (situation qu’elle définit comme un événement de force majeure), elle aurait mis en œuvre les recours légalement prévus, s’étant ainsi comportée comme un employeur prudent et diligent.

L’ouvrière confirme pour sa part qu’il y a faute et que l’employeur aurait dû la libérer de toute prestation, vu l’échec de la procédure devant le Conseil d’Etat et le refus de l’ONEm.

La décision de la cour

La cour s’attache, en droit, à la notion de force majeure. Elle rappelle l’article 20, 1°, de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel l’employeur a l’obligation de faire travailler le travailleur dans les conditions, au temps et au lieu convenus. Il s’agit d’une obligation de faire, la loi imposant à l’employeur l’accomplissement d’une activité. Un manquement à une obligation de faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. L’article 1142 du Code civil impose la règle, à moins que celui-ci justifie que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée (article 1147 du Code civil) ou qu’il démontre qu’il a été empêché par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit de faire ce à quoi il était obligé (article 1148 du Code civil).

Pour la cour, les variations terminologiques entre les dispositions du Code importent peu, qu’il s’agisse d’une « cause étrangère », d’une « force majeure » ou d’un « cas fortuit ». Elle souligne également, avec P. WERY (P. WERY, Droit des obligations, Bruxelles, Larcier, 2011, vol. I, pp. 538 et s.), que, pour constituer une cause étrangère libératoire, un événement doit rendre l’exécution de l’obligation impossible et être exempt de toute faute du débiteur. En droit du travail, l’application de la théorie de la force majeure est de règle, ce mode de rupture étant expressément prévu à l’article 32, 5°, de la loi du 3 juillet 1978.

La cour reprend une abondante jurisprudence de la Cour de cassation sur la condition que l’événement en cause doit être indépendant de la volonté humaine et que l’homme n’a pu prévoir, prévenir ou conjurer celui-ci. Il faut un obstacle insurmontable à la poursuite de l’exécution du contrat. Celle-ci ne doit pas être simplement plus difficile. La question est dès lors de savoir si les journées de chômage temporaire non indemnisées en juin 2018 sont dues à une faute de l’employeur.

La cour rappelle que, sur le plan de la charge de la preuve, celle-ci incombe à ce dernier. Ce n’est pas au travailleur à établir une faute dans le chef de celui-ci mais à celui qui se prétend libéré de son obligation de prouver l’existence d’un cas de force majeure. Le bien-fondé des décisions de refus de reconnaissance a été confirmé par le tribunal du travail et c’est donc à tort que la force majeure a été invoquée par l’employeur. Il est ainsi fait droit, en conséquence, à la demande de dommages et intérêts.

La cour aborde encore une action reconventionnelle de l’employeur, relative à une indemnité de rupture. Celle-ci est déclarée prescrite, la cour reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 3 juin 1991, J.T.T., 1991, p. 427 et Cass., 26 novembre 1990, J.T.T., 1990, p. 25), selon laquelle une action reconventionnelle introduite par l’employeur tendant à l’obtention d’une indemnité de congé n’est pas simplement une défense contre l’action principale du travailleur en paiement d’une indemnité de préavis. Cette demande reconventionnelle ne bénéficie pas de l’interruption de la prescription par la citation originaire.

Intérêt de la décision

La théorie de la force majeure trouve très régulièrement à s’appliquer en droit social. Dès lors qu’elle a un caractère temporaire, elle entraîne la suspension du contrat de travail, dont la rupture n’interviendra que si elle revêt un caractère définitif.

Le bénéfice des allocations de chômage temporaire va de pair avec une force majeure elle-même temporaire, les allocations dans le cadre d’un chômage complet pouvant être octroyées en cas de force majeure définitive (médicale ou non médicale), et ce avec effet au jour suivant l’événement de force majeure avéré.

Le passage d’une force majeure temporaire à une force majeure définitive est un élément à apprécier par le tribunal. Ceci, après l’appréciation faite par l’ONEm des événements qui lui sont soumis et qui vont – ou non – donner lieu à l’octroi d’allocations de chômage temporaire.

Relevons à cet égard que, dans un arrêt du 11 janvier 2007 (C. trav. Bruxelles, 11 janvier 2007, R.G. 43.164), la Cour du travail de Bruxelles a retenu l’existence d’un cas de force majeure, dès lors que l’employeur (exploitant un restaurant) avait été expulsé suite à la faillite de la société dans les locaux de laquelle il exerçait son activité, les éléments mobiliers ayant, dans le même temps, été enlevés. Pour la cour, il n’apparaissait pas qu’au moment où l’employeur avait sollicité les allocations de chômage pour les travailleurs concernés, il aurait pu se rendre compte du caractère définitif de l’événement de force majeure. Elle avait considéré que la force majeure en elle-même devait être admise, vu l’expulsion suite à la faillite de la société tierce, étant un événement indépendant de la volonté de l’employeur lui-même et sur lequel il n’avait pas de prise. Elle avait également retenu le caractère temporaire de l’impossibilité créée par l’événement de force majeure, au motif qu’il n’était pas établi au moment de la notification au bureau de chômage des suspensions de contrats que la cessation définitive était prévisible. Sur le plan de la preuve, la cour avait rappelé que celle-ci doit être apportée par l’ONEm, étant que, s’il entend récupérer des allocations de chômage précédemment accordées vu l’acceptation du cas de force majeure, il est tenu d’établir que les éléments constitutifs de celle-ci n’étaient pas remplis. C’est à l’ONEm de supporter les incertitudes liées au caractère incomplet des informations disponibles sur les conséquences de l’expulsion et les liens juridiques existant entre les divers exploitants respectifs.


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