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Prestations familiales garanties et condition de séjour

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 avril 2022, R.G. 2020/AB/373

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Cour du travail de Bruxelles, 21 avril 2022, R.G. 2020/AB/373

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 avril 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019, qui a admis qu’un titre de séjour matérialisé par une attestation d’immatriculation, fût-ce de manière temporaire et précaire, constitue une autorisation de séjour au sens de la loi du 20 juillet 1971 relative aux prestations familiales garanties.

Les faits

Une citoyenne de nationalité brésilienne est arrivée en Belgique avec son époux en 2007. Le couple a deux enfants, nés en 2006 et 2009. La famille sollicite une autorisation de séjour de plus de trois mois (article 9bis de la loi du 15 décembre 1980). Celle-ci est refusée et un ordre de quitter le territoire est notifié. Aucun recours n’est introduit.

La famille sollicite alors une demande d’autorisation de séjour de plus de trois mois pour motifs médicaux (article 9ter de la même loi). Celle-ci est déclarée recevable et les membres de la famille sont mis ultérieurement en possession d’une attestation d’immatriculation. Celle-ci est valable pendant trois mois. Ils sont inscrits au registre des étrangers de leur commune de résidence.

La mère introduit alors auprès de l’O.N.A.F.T.S. une demande de prestations familiales garanties. Celle-ci est refusée par décision du 19 octobre 2012, au motif de la condition de résidence.

Une dérogation ministérielle est obtenue en 2013, la mère se voyant reconnaître le droit à ces prestations à partir du 1er septembre 2012, étant le moment coïncidant avec la délivrance de l’attestation d’immatriculation.

La procédure de demande d’autorisation (9ter) n’aboutit pas, l’Office des Etrangers considérant celle-ci non fondée et délivrant un nouvel ordre de quitter le territoire en mars 2014. Est alors décidé par l’O.N.A.F.T.S. de revoir, avec effet rétroactif, le droit aux prestations familiales garanties. Un indu de l’ordre de 6.600 euros est notifié.

Une procédure est introduite en juin 2014 par la mère devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles et l’O.N.A.F.T.S. forme une demande reconventionnelle relative à l’indu.

La question du séjour fait encore l’objet de trois décisions de l’Office des Etrangers. Celles-ci seront annulées par le Conseil du Contentieux des Etrangers (ou, pour l’une d’entre elles, retirée par l’Office).

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal a statué par jugement du 29 avril 2020. Il a partiellement fait droit à la demande, annulant la décision administrative (révision du droit pour la période de septembre 2012 à février 2014 et récupération). Il n’a pas octroyé les prestations familiales garanties pour la période de mars 2014 à mars 2019, considérant que les conditions légales n’étaient pas remplies.

Appel a été interjeté par la mère.

Position des parties devant la cour

L’appelante sollicite l’octroi des allocations pour toute la période, étant d’août 2012 à septembre 2021.

IRISCARE (qui a repris l’instance après FAMIFED) maintient qu’il y a indu et en sollicite le remboursement.

La décision de la cour

Le rappel fait en droit par la cour porte sur l’examen de la condition de séjour telle que visée par la loi du 20 juillet 1971. Elle rappelle avant tout que l’objectif initial de celle-ci est d’assurer une plus grande égalité entre les enfants, prévoyant une allocation garantie pour chaque enfant en raison de son existence.

La loi contient une condition de séjour, l’étranger devant être admis ou autorisé à séjourner sur le territoire ou à s’y établir. Le renvoi est fait à la loi du 5 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. L’enfant doit également être admis au séjour s’il est étranger lui-même.

La question se pose dès lors du respect de cette condition de séjour en cas d’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons médicales. L’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 autorise l’étranger à effectuer une telle demande dès lors qu’il est atteint d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne.

La cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019 (Cass., 8 avril 2019, n° S.17.0086.F) rendu en matière de prestations familiales garanties, arrêt qui a jugé que la personne dont la demande d’autorisation de séjour pour motifs médicaux a été déclarée recevable et qui est inscrite au registre des étrangers et est en possession d’une attestation d’immatriculation (modèle A) est autorisée à séjourner sur le territoire, conformément aux dispositions de la loi du 5 décembre 1980, ce séjour fût-il temporaire et précaire.

La cour du travail rappelle sa jurisprudence, qui va dans le même sens (arrêts antérieurs même à l’arrêt de la Cour de cassation ci-dessus).

Elle rencontre alors les critiques faites par IRISCARE à cet arrêt de la Cour suprême, qui considère que cette décision du 8 avril 2019 est inconciliable avec un arrêt rendu le 13 mai 1996 (Cass., 13 mai 1996, n° S.95.0119.N).

La cour rejette que les deux décisions soient inconciliables, relevant d’ailleurs que celles-ci sont rendues à propos de conditions légales d’octroi différentes, fondées sur des dispositions bien distinctes (la condition de résidence de cinq ans étant visée dans l’arrêt du 13 mai 1996 et la condition de séjour dans celui du 8 avril 2019).

Elle rejette également un argument fondé sur l’existence d’une discrimination contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, renvoyant aux conclusions du Ministère public précédant l’arrêt du 8 avril 2019 et conclut que l’appelante et sa famille sont, fût-ce de manière temporaire et précaire, autorisées à séjourner sur le territoire et que la condition de séjour est remplie.

Vu que les décisions de rejet prises par l’Office des Etrangers ont été annulées (ou retirée pour l’une d’entre elles), elles sont censées n’avoir jamais existé. Un effet rétroactif est reconnu aux décisions du C.C.E. annulant une décision de rejet, le demandeur étant replacé dans la situation qui était la sienne avant la décision annulée (renvoi étant fait à un arrêt rendu par la Cour de cassation en matière d’aide sociale – Cass., 6 mars 2017, n° S.15.0008.N).

La cour examine encore les autres conditions d’octroi, dont la condition de ressources, et conclut au fondement de l’appel.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’important arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 2019 (Cass., 8 avril 2019, n° S.17.0086.F – précédemment commenté). La Cour avait rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 14 août 2017 (R.G. 2016/AB/19 – également précédemment commenté), qui avait admis que la délivrance d’une attestation d’immatriculation ouvre le droit aux prestations de sécurité sociale pour ce qui est de la condition de régularité de séjour. Il s’agit en effet d’un document de séjour.

La Cour du travail de Bruxelles confirme dans son arrêt du 21 avril 2022 que le caractère temporaire ou précaire de l’autorisation ne modifie cette conclusion.

La jurisprudence est abondante sur la question et l’on peut renvoyer à plusieurs arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (dont notamment C. trav. Bruxelles, 7 mai 2020, R.G. 2019/AB/307 et C. trav. Bruxelles, 12 janvier 2017, R.G. 2015/AB/867 – également précédemment commentés).

La Cour du travail de Mons a, quant à elle, confirmé la solution dans un arrêt du 26 mars 2020 (C. trav. Mons, 26 mars 2020, R.G. 2019/AM/64 – également précédemment commenté), où elle a analysé la question de savoir si l’attestation d’immatriculation peut être considérée comme titre de séjour au sens des dispositions légales. Renvoi est fait dans cet arrêt non seulement à la décision de la Cour de cassation du 8 avril 2019, mais également à l’avis de M. l’Avocat général GENICOT avant celui-ci. L’affaire tranchée par la cour du travail abordait également l’exigence de la résidence ininterrompue pendant cinq ans sur le territoire belge (ou quatre ans selon la circulaire ministérielle n° 599 du 16 juillet 2007).


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