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Accident du travail dans le secteur public : pouvoir de FEDRIS d’ester en justice

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 22 avril 2022, R.G. 20/925/A

Mis en ligne le mardi 7 février 2023


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 22 avril 2022, R.G. 20/925/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 22 avril 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège), saisi d’une action de FEDRIS en vue de la reconnaissance d’un accident du travail contesté dans le secteur public, rappelle la limite de l’article 20decies de la loi du 3 juillet 1967.

Les faits

Une ouvrière, au service d’un centre hospitalier, se tord la cheville en allant prendre son poste de travail. Une entorse est diagnostiquée et elle est mise en incapacité de travail. Une déclaration d’accident du travail est rédigée. L’accident est refusé, au motif d’absence d’événement soudain.

FEDRIS sollicite les pièces du dossier et demande au CHU de réexaminer sa position, étant que l’événement soudain ne peut être contesté. Les parties restent sur leur position. FEDRIS notifie alors à l’employeur, à la victime ainsi qu’à son organisme assureur AMI sa décision de porter le litige devant le tribunal du travail, ceci en application de l’article 20decies de la loi du 3 juillet 1967 applicable au secteur public.

La procédure est introduite, la victime et sa mutuelle ne s’y opposant pas, tandis que le CHU maintient sa position. FEDRIS se trouve ainsi demanderesse devant le tribunal. Elle sollicite que celui-ci déclare qu’il y a accident du travail devant être pris en charge, le jugement à intervenir devant être déclaré commun et opposable tant à la victime qu’à la mutuelle.

Position du CHU

Le CHU considère que la demande de FEDRIS est prescrite, en application de l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967. Il considère également que la demande est irrecevable à défaut d’intérêt né, actuel, effectif et non théorique à agir. Il estime que l’action de FEDRIS a pour seul objet de créer une jurisprudence et que ceci ne répond pas à la notion d’intérêt des articles 17 et 18 du Code judiciaire, et même serait contraire à l’article 6 du même Code.

A supposer que le tribunal écarte l’argument d’irrecevabilité, il demande que l’action soit considérée sans objet, vu l’absence de toute demande introduite par la victime. Enfin, il estime qu’il n’y a pas accident du travail, le législateur n’ayant pas voulu indemniser tout accident survenant au cours de l’exécution du contrat de travail mais uniquement le risque professionnel.

La décision du tribunal

Le tribunal règle d’abord le point relatif à la recevabilité de l’action, et ce eu égard aux textes. L’article 17, alinéa 1er, du Code judiciaire vise l’intérêt à agir et le tribunal rappelle que cet intérêt doit être effectif et non théorique, ainsi que direct et personnel. Certaines exceptions existent mais sont d’interprétation stricte, celles-ci concernant certaines personnes morales, autorisées par le législateur dans le cadre de certaines lois à introduire une action collective.

L’article 20decies de la loi du 20 juillet 1967 autorise par ailleurs FEDRIS à introduire une action en justice. Cette disposition prévoit qu’en cas de contestation entre une administration, un service, un organisme, un établissement ou une personne auxquels la loi s’applique et FEDRIS en ce qui concerne la prise en charge de l’accident ainsi que du maintien du refus de l’autorité, FEDRIS peut porter le litige devant le tribunal du travail. La procédure est prévue, étant l’information par voie recommandée à l’autorité ainsi qu’à la victime (ou à ses ayants-droit) et, également, pour les contractuels, à l’organisme assureur. Dans un délai de trois mois, ceux-ci peuvent manifester leur opposition à l’introduction de cette action, auquel cas elle est abandonnée. Lorsque l’action est introduite, la victime (ou ses ayants-droit) ainsi que son organisme assureur sont appelés à la cause et le jugement à intervenir leur sera opposable.

Le tribunal renvoie aux travaux préparatoires (Doc. n° 54/2064/001, www.lachambre.be), pour ce qui est des motifs de cette disposition. Celle-ci a été introduite par une loi du 11 décembre 2016 portant diverses dispositions en matière de fonction publique. Elle a pour objet de renforcer la mission de contrôle de FEDRIS, qui est compétente depuis le 1er juillet 2007 pour la surveillance et l’application de la loi ainsi que de ses arrêtés et règlements d’application. Un article 20decies est dès lors ajouté, permettant au Fonds des Accidents du Travail (à l’époque) de saisir le tribunal du travail en cas de maintien par l’autorité d’une décision de refus qu’elle juge injustifiée.

Il s’agit ici de renvoyer au mécanisme existant dans le secteur privé (étant la loi du 10 avril 1971, modifiée par celle du 21 décembre 2013), qui prévoit une possibilité du même ordre à son article 63, § 1er, alinéa 3.

Le tribunal rappelle longuement les travaux préparatoires, étant qu’avait été constatée une augmentation sensible du nombre d’accidents du travail refusés par le secteur ainsi que des différences marquantes en ce qui concerne les taux de refus enregistrés par les entreprises d’assurances, différences qui ne pouvaient entièrement être interprétées par d’éventuelles différences au sein des populations assurées et qui étaient considérées comme probablement aussi dues à leur politique d’acceptation. Les travaux préparatoires soulignent que cette situation risquait de compromettre le principe d’égalité de traitement des victimes ainsi que la sauvegarde de leurs droits.

Etait également constatée une limitation importante du Fonds en ce qui concerne son intervention dans les dossiers qui avaient manifestement été refusés à tort. Octroyer un outil supplémentaire à cette institution permettrait un meilleur contrôle de la branche tout en conciliant les divers objectifs du législateur, à savoir faciliter la réparation du dommage, mais aussi conserver un lien indispensable avec la notion de risque professionnel. C’est sur ces bases qu’avait été proposé l’ajout d’un alinéa à l’article 63, § 1er, de la loi du 10 avril 1971. En prévoyant une telle possibilité d’action pour le FAT, le législateur avait considéré que ce dernier pouvait ainsi exercer son rôle de gardien de l’intérêt collectif et de la bonne application de la loi. Une disposition analogue au nouvel alinéa de l’article 63 de la loi relative aux accidents du travail fut ainsi insérée dans le chapitre IVbis de la loi du 3 juillet 1967, qui attribue une mission de surveillance à FEDRIS en ce qui concerne le secteur public.

Pour le tribunal, l’article 20decies de la loi du 3 juillet 1967 et les travaux parlementaires ci-dessus indiquent que le législateur a eu l’intention d’autoriser FEDRIS à agir en justice pour faire reconnaître un accident du travail contesté, et ce pour autant que ni la victime ni sa mutuelle ne s’y opposent, sans qu’il faille justifier d’un intérêt au sens des articles 17 et 18 du Code judiciaire.

Par l’adoption de cette disposition, le législateur a considéré que FEDRIS dispose d’un intérêt direct, personnel, né et actuel, concret et non théorique à l’introduction de la procédure, étant ainsi dérogé aux conditions de l’article 17 du Code judiciaire.

Les autres arguments du CHU sont rejetés, la disposition légale n’exigeant aucune condition relative à une demande de la victime de se voir indemniser et cette circonstance n’étant pas de nature à rendre irrecevable la demande introduite. Il n’y a dès lors pas lieu de se prononcer sur la prescription de l’action, argument tiré du fait que l’intéressée n’a pas sollicité dans le délai l’indemnisation de son accident.

Quant à la question de savoir si la demande est devenue sans objet, le tribunal estime qu’admettre cette thèse reviendrait à considérer que les seules conséquences de la reconnaissance d’un accident résident dans l’indemnisation de la victime alors que la volonté du législateur a été de tendre vers l’application la plus uniforme possible des lois sur les accidents du travail, la réduction du nombre de cas refusés par les assureurs ou les employeurs dont les travaux parlementaires ont relevé l’augmentation, etc.

Parmi les conséquences plus concrètes envisageables, le tribunal cite (i) l’assimilation de jours d’absence à des jours travaillés, (ii) le nombre d’accidents du travail enregistrés par tel ou tel employeur et (iii) la mise en place d’une politique de prévention particulière.

Il en vient au fondement de la demande, étant de savoir si un événement soudain existe. Il reprend diverses décisions de jurisprudence ainsi que de la doctrine sur les principes en la matière, pointant plus précisément un arrêt de la Cour du travail de Liège du 8 février 2013 (C. trav. Liège, 8 février 2013, R.G. 2012/AL/485), qui a retenu que l’événement soudain peut être un geste banal, un geste qui peut également être réalisé dans le cadre de la vie courante, pour autant qu’il soit bien défini.

En l’espèce, l’événement soudain est admis.

Reste la question de savoir si le tribunal peut condamner le CHU à indemniser l’intéressée. Le tribunal conclut ici par la négative, l’article 20decies autorisant FEDRIS à agir pour trancher le litige relatif à la prise en charge de l’accident. Ceci ne signifie pas qu’il peut, dans le cadre de cette procédure, condamner le CHU à payer à la victime ou à la mutuelle des indemnités que celles-ci ne réclament pas. Il renvoie encore au caractère d’ordre public de la législation.

En l’espèce, il relève que, s’il est étonnant que ni la victime ni sa mutuelle ne sont intervenues à la cause, ceci peut s’expliquer par le caractère très limité des conséquences de l’accident (dix jours d’incapacité).

Le tribunal fait dès lors droit à la demande, disant pour droit, dans son dispositif, que l’intéressée a été victime d’un accident du travail alors qu’elle était au service du CHU et que le jugement est opposable à elle-même ainsi qu’à son organisme assureur AMI.

Intérêt de la décision

Ce jugement rappelle un des pouvoirs de FEDRIS, dans sa mission de contrôle et de surveillance du respect de la loi.

L’article 63 de la loi du 10 avril 1971 avait été modifié par la loi du 21 décembre 2013 portant des dispositions diverses urgentes en matière de législation sociale afin d’introduire un nouvel alinéa à l’article 63, § 1er. Selon cette disposition nouvelle, en cas de contestation entre l’entreprise d’assurances et FEDRIS au sujet de la prise en charge de l’accident du travail et du maintien du refus de l’entreprise d’assurances de prendre le cas en charge, FEDRIS peut porter le litige devant la juridiction compétente. La procédure à suivre est prévue dans la suite du texte.

Il s’agit dès lors bien de viser uniquement la prise en charge de l’accident (et le maintien du refus de cette prise en charge).

La disposition adoptée quelques années plus tard par la loi du 11 décembre 2016 a la même portée : la décision du Tribunal du travail du Liège du 22 avril 2022 ne peut que constater que ses effets sont limités. Il ne s’agit pas, dans le cadre de cette disposition, d’organiser un recours permettant l’indemnisation de la victime, la limite de la mission de FEDRIS et de son pouvoir d’ester en justice portant sur reconnaissance elle-même.


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