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Paiement à l’O.N.S.S. effectué sous réserve : droit aux intérêts ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 juin 2022, R.G. 2021/AB/250

Mis en ligne le jeudi 12 janvier 2023


Dans un arrêt du 16 juin 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les intérêts moratoires (et les intérêts judiciaires qui en sont le prolongement) ne sont dus que si la créance est exigible.

Les faits

Lors d’un contrôle O.N.S.S. auprès d’une société à propos des déclarations des travailleurs prépensionnés, il est constaté que fait défaut l’attestation du S.P.F. Emploi reconnaissant celle-ci comme entreprise en difficulté. Le secrétariat social demande – en vain – cette attestation au S.P.F. Suite au contrôle, intervenu en 2006, portant sur les années 2003 à 2005, l’employeur se voit notifier que, l’attestation faisant défaut, les cotisations spéciales sur la prépension conventionnelle sont dues.

Une demande circonstanciée est alors introduite auprès du S.P.F., sollicitant la reconnaissance comme entreprise en difficulté, et ce avec effet rétroactif. L’O.N.S.S. procède entre-temps à la régularisation de la déclaration des travailleurs prépensionnés. Suite à cette notification, la société paie sous toute réserve le montant réclamé, de l’ordre de 14.600 euros, et introduit, le 8 février 2011, une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, dans laquelle elle demande le remboursement du montant payé.

En 2020, la société est cependant reconnue comme entreprise en difficulté pour les années concernées. L’O.N.S.S. rembourse quelques mois plus tard le montant en cause.

Par jugement du 12 février 2021, le tribunal du travail décide dès lors de déclarer sans objet la demande relative au remboursement du montant en principal. Il condamne l’O.N.S.S. aux intérêts de retard ainsi qu’aux intérêts légaux et délaisse à chacune des parties leurs dépens.

La société interjette appel.

Position des parties devant la cour

La partie appelante sollicite la réformation du jugement, demandant à titre principal de condamner l’O.N.S.S. aux intérêts de retard capitalisés depuis le paiement jusqu’à la citation, et de même ensuite pour les intérêts judiciaires. Subsidiairement, elle sollicite sa condamnation à la capitalisation des intérêts judiciaires. Elle considère qu’il y a un paiement indu et que les intérêts sont dus à partir de la date de celui-ci ou, à tout le moins, à partir de la mise en demeure, à savoir la citation. Elle demande que le taux d’intérêt soit fixé conformément à l’intérêt en matière sociale. Elle explique avoir rempli, depuis l’année 2003, en ce compris jusqu’à 2006, les conditions pour être reconnue comme entreprise en difficulté.

Quant à l’O.N.S.S., il demande que l’appel soit déclaré non fondé et que la société soit condamnée aux dépens. Il considère que la dispense ou la diminution des cotisations employeur en matière de prépension conventionnelle pour les entreprises en difficulté n’était possible qu’à partir du moment où la société avait été reconnue comme telle par le S.P.F., ce qui n’est intervenu qu’en avril 2020, les montants ayant été remboursés en novembre de la même année. L’article 1378 de l’ancien Code civil ne peut dès lors trouver application, la capitalisation des intérêts n’étant par ailleurs possible qu’à partir de l’exigibilité d’une créance et après mise en demeure.

La décision de la cour

La cour reprend la loi du 29 décembre 1990 portant des dispositions sociales, dont l’article 141 règle le point relatif à la cotisation spéciale mensuelle à charge de l’employeur sur les prépensions conventionnelles accordées en vertu d’une convention collective de travail ou d’un accord collectif dans le cadre de la législation sur la prépension conventionnelle. Cette cotisation spéciale peut faire l’objet d’une dispense par le Roi (celui-ci pouvant également prévoir une cotisation de remplacement non périodique), notamment pour les entreprises qui ont été reconnues par le ministre de l’emploi et du travail comme étant en difficulté au sens de la législation sur la prépension conventionnelle, pendant la période de la reconnaissance en tant qu’entreprise en difficulté.

La cour renvoie également à l’arrêté royal d’exécution du 5 août 1991 ainsi qu’à celui du 7 décembre 1992, relatif à l’octroi d’allocations de chômage en cas de prépension conventionnelle. Pour elle, il résulte de ces deux textes que les dispositions prévues (dispense ou diminution des cotisations spéciales) ne peuvent être appliquées que pour les entreprises qui sont effectivement reconnues par le ministre de l’emploi et du travail comme entreprises en difficulté. Ceci doit dès lors faire l’objet d’une attestation du S.P.F., confirmant qu’il est satisfait aux conditions légales. L’O.N.S.S. ne peut en conséquence opérer une dispense ou une réduction des cotisations sur la base de la seule demande introduite, la réglementation exigeant une reconnaissance effective.

En l’espèce, si la société a, en janvier 2007, fait une demande motivée auprès du S.P.F. afin de se voir reconnaître la qualité d’entreprise en difficulté, avec effet rétroactif pour les années 2003 à 2005, c’est à bon droit que l’O.N.S.S. a entre-temps procédé à la régularisation.

La cour constate que la société sollicite le paiement d’intérêts de retard, ceux-ci étant selon elle dus à partir de la date du paiement effectué sous réserve jusqu’à la date de la citation (avec capitalisation annuelle), ainsi que les intérêts judiciaires depuis la citation jusqu’au jour du remboursement (également avec capitalisation).

Elle examine dès lors séparément la question des intérêts de retard et celle des intérêts judiciaires.

L’intérêt de retard est l’intérêt dû en cas de retard dans l’exécution d’une obligation ayant pour objet une somme d’argent. Il est destiné à réparer la perte ou le dommage subi par le créancier eu égard au paiement tardif de la somme due. Cet intérêt n’est dû que lorsque l’obligation de payer une somme d’argent déterminée est exécutée avec retard. Tant que la créance n’est pas exigible, il ne peut être question de retard de paiement et aucun intérêt de retard n’est dû (avec renvoi à divers arrêts de la Cour de cassation, dont Cass., 7 mars 1994, n° S.93.0103.N). Tant que la dette n’est pas exigible, l’obligation de paiement ne peut subir de retard (Cass., 14 septembre 1995, n° C.93.0307.N).

Quant à l’intérêt judiciaire, il consiste – dans l’hypothèse visée – dans le prolongement de l’intérêt de retard à partir de l’acte introductif d’instance. La cour rappelle la doctrine de J. PETIT (J. PETIT, Interest, Kluwer, Anvers, 1995, p. 172), selon lequel l’intérêt judiciaire est destiné à indemniser le dommage subi du fait que la somme d’argent n’a pas été reçue par le créancier, pour la période entre l’introduction de l’instance et le prononcé de la décision.

Reprenant les diverses étapes de l’évolution du dossier, la cour conclut que le montant payé sous réserve en juin 2008 à l’O.N.S.S. n’est devenu exigible qu’à partir de la décision du ministre, celle-ci étant intervenue le 7 avril 2020. Il ne pourrait dès lors être question d’un paiement indu qu’à partir de cette date, la société ne répondant pas, pour la période antérieure, aux conditions légales lui permettant d’être dispensée des cotisations patronales et étant obligée de verser celles-ci. L’O.N.S.S. ne peut dès lors être considéré comme étant de mauvaise foi au sens de l’article 1378 de l’ancien Code civil, selon lequel, s’il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui a reçu, il est tenu de restituer tant le capital que les intérêts ou les fruits du jour du paiement.

La décision du S.P.F. étant intervenue le 7 avril 2020 et la restitution ayant été faite le 4 novembre 2020, soit en cours d’instance, l’O.N.S.S. est tenu au paiement des intérêts judiciaires pour cette période uniquement. L’intérêt est dû conformément au taux prévu à l’article 2, § 3, de la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt, étant de 7%.

Enfin, sur la capitalisation, celle-ci est rejetée, dans la mesure où elle ne peut être demandée qu’à partir du moment où l’intérêt a couru pendant une année entière, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Intérêt de la décision

La question des intérêts sur des sommes payées sous réserve n’est pas négligeable.

En l’espèce, la société réclamait un montant important, s’agissant d’une part d’une période de plus de dix ans et d’autre part de l’application du taux de 7%, prévu par la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt.

La cour a repris dans cet arrêt la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question de l’intérêt de retard, celui-ci ayant un caractère réparateur : il s’agit d’indemniser le créancier qui n’a pas pu percevoir le montant de sa créance suite à un retard de paiement de la part du débiteur et qui a dès lors été privé de l’usage de la somme.

La loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt dispose, depuis une loi du 8 juin 2008 (loi-programme), que le taux d’intérêt légal en matière sociale est fixé à 7% même si les dispositions sociales renvoient au taux d’intérêt légal en matière civile et pour autant qu’il n’y soit pas explicitement dérogé dans des dispositions sociales, notamment dans la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.

L’on peut citer sur la question de l’intérêt légal en matière sociale un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 26 mai 2016 (C. trav. Bruxelles, 26 mai 2016, R.G. 2014/AB/69 – précédemment commenté), selon lequel, si la demande porte sur des dommages et intérêts, il n’y a pas lieu à application de l’article 2, § 3, de la loi du 5 mai 1865 sur le prêt à intérêt, dans la mesure où une telle demande n’est pas visée par la loi. L’arrêt rappelle également les difficultés intervenues suite à la loi-programme du 27 décembre 2006, qui n’avait pas défini le taux d’intérêt légal en sécurité sociale. La chose a été corrigée par la loi-programme du 8 juin 2008.


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