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Conditions de l’octroi des allocations d’interruption (pour les enseignants) en cas d’exercice d’une autre activité

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 juin 2022, R.G. 2021/AL/452

Mis en ligne le dimanche 8 janvier 2023


Dans un arrêt du 9 juin 2022, la Cour du travail de Liège reprend l’interprétation à donner à l’article 6 de l’arrêté royal du 12 août 1991 en ce qui concerne les conditions de cumul des allocations d’interruption avec les revenus provenant d’une activité accessoire en tant que travailleur salarié.

Les faits

Un professeur de l’enseignement secondaire dépendant de la Communauté française bénéficie depuis le début de l’année scolaire 2017-2018 d’une mise en disponibilité pour convenance personnelle. Le 1er février 2018, il entre au service d’une A.S.B.L. en qualité d’employé à temps plein. Il introduit auprès de l’ONEm une première demande d’interruption de carrière pour son occupation au service de la Communauté française, et ce pour l’année scolaire suivante. Le P.O. donne son accord. L’intéressé déclare à ce moment une activité accessoire, à raison de 38 heures par semaine. L’ONEm lui octroie le bénéfice des allocations d’interruption pour l’année 2018-2019.

L’intéressé effectue deux journées de prestations de travail fin juin 2018 auprès de l’établissement d’enseignement et bénéficie ensuite de ses vacances annuelles.

En mai 2019, une nouvelle demande d’interruption de carrière sur les mêmes bases est sollicitée pour l’année scolaire 2019-2020 et la même déclaration est faite. L’ONEm octroie les allocations d’interruption.

Après une vérification, cependant, effectuée à la suite du croisement de données électroniques, l’ONEm le convoque au motif qu’en vertu des articles 6 et 7 de l’arrêté royal du 12 août 1991, le droit aux allocations d’interruption prend fin dès qu’une activité salariée auprès d’un autre employeur est entamée. L’intéressé fait valoir qu’il a pris ses renseignements dans une circulaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi que dans l’arrêté royal lui-même et qu’il n’y est pas question de cumul effectif mais d’exercice préalable de l’activité accessoire avant l’interruption, ce qui est, selon lui, le cas. Il s’agit en effet de deux temps pleins. Dès lors, la condition d’activité accessoire serait respectée.

L’ONEm lui notifie une décision dans laquelle il précise que le cumul avec l’activité salariée accessoire n’est autorisé que si celle-ci a été exercée en même temps que l’activité principale pendant la période de trois mois précédant le début du congé et que ceci n’est pas le cas. La récupération est annoncée pour ce qui est de l’indu. Celui-ci sera ultérieurement réclamé. Il est de l’ordre de 4.800 euros.

Une procédure judiciaire est introduite.

Entre-temps, une nouvelle demande a été faite, respectant la même procédure qu’antérieurement, pour l’année 2020-2021. Cette fois, l’ONEm invite l’intéressé à faire valoir ses observations, considérant que les heures de l’activité salariée sont supérieures à celles de l’activité principale.

Celui-ci fait valoir, via son conseil, que la fraction d’occupation d’activité accessoire ne dépasse pas la fraction d’occupation dans l’emploi dont l’exécution est suspendue, qu’il n’a jamais été contesté que sa charge d’enseignant était à temps plein et qu’il ne remplirait pas les conditions de l’article 6, § 2, de l’arrêté royal du 12 août 1991. Il fait également état d’une violation de la Charte de l’assuré social.

L’ONEm notifie ensuite une décision de refus, motivant celle-ci par la circonstance que l’activité salariée n’a pas été exercée trois mois avant l’interruption.

Le jugement a fait droit à la demande, disant pour droit que l’enseignant était dans les conditions pour pouvoir bénéficier des allocations d’interruption de carrière, et ce pour toute la période du 1er septembre 2018 au 31 août 2021. L’ONEm a été condamné au versement des allocations depuis la date de début, sous réserve des montants déjà payés.

L’ONEm interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’ONEm demande à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a reconnu le droit aux allocations et en ce qu’il le condamne à payer celles-ci.

Quant à l’intimé, il sollicite la confirmation du jugement, soulevant en premier lieu une question d’irrecevabilité, au motif que l’appel aurait été introduit plus d’un mois après la notification du jugement.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu la question de la recevabilité. Le débat porte sur le point de savoir si le délai d’appel devait courir à partir de la notification ou de la signification du jugement (celle-ci n’ayant pas eu lieu).

Elle reprend le Code judiciaire en son article 582, 5°, en vertu duquel les juridictions du travail sont compétentes pour les contestations à la section 5 du chapitre 4 de la loi de redressement du 22 janvier 1985. Ceci est le cas des litiges concernant l’arrêté royal du 12 août 1991 relatif à l’octroi d’allocations d’interruption aux membres du personnel de l’enseignement et des centres médico-sociaux, les dispositions litigieuses ayant été prises en exécution de cette loi.

Renvoyant à une abondante jurisprudence, la cour conclut que le litige n’est pas un litige dans le cadre duquel le jugement doit faire l’objet d’une notification par le greffe visée par l’article 792, alinéas 2 et 3, du Code judiciaire : pour faire courir le délai d’appel, le jugement doit être signifié.

Quant au fond, elle prononce la nullité de la décision administrative, au motif du non-respect de l’article 44, § 1er, de l’arrêté royal organique chômage, qui impose, avant toute décision de refus, d’exclusion ou de suspension du droit aux allocations prise en application de l’article 142, § 1er, ou de l’article 149, la convocation du travailleur aux fins de l’entendre dans ses moyens de défense. Or, l’intéressé a uniquement été invité à faire valoir ses observations et n’a pas été valablement entendu.

Renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 23 mai 2011, S.10.0064.F), la cour conclut l’examen de cette question en rappelant que l’absence d’audition préalable entraîne la nullité de la décision administrative mais qu’elle est tenue de se substituer à l’administration et de se prononcer sur le droit subjectif de l’intéressé.

Elle rappelle également, toujours avec renvoi à l’enseignement de la Cour de cassation (Cass., 24 juin 2019, n° S.18.0096.F), que la nullité ne s’étend ni aux pièces du dossier administratif constitué préalablement par l’ONEm ni aux pièces par lesquelles celui-ci complète ultérieurement le dossier.

Elle reprend la réglementation applicable, étant l’arrêté royal du 12 août 1991, et en reproduit les articles 1er, 6 et 7. Il en découle que le cumul de revenus issus d’une activité salariée avec le bénéfice des allocations d’interruption est possible à deux conditions, étant que (i) l’activité salariée ait été exercée avant l’interruption de carrière, et ce pendant une période de minimum trois mois précédant l’interruption, et (ii) que la fraction d’occupation de l’activité salariée n’excède pas celle de l’emploi dont l’exécution est suspendue.

Elle rappelle que l’esprit de la loi est d’assurer que le travailleur n’arrête pas sa carrière et qu’il ne perçoive donc pas une allocation dans le but de se lancer dans une nouvelle carrière de salarié. La première condition est remplie, étant que l’intéressé n’a pas sollicité l’octroi des allocations d’interruption de carrière dans le but de se lancer dans une nouvelle carrière. Par ailleurs, l’exercice effectif de l’activité suspendue simultanément avec l’activité salariée n’est exigé ni par le texte ni par l’esprit de l’arrêté royal.

Examinant enfin la circonstance que les deux activités sont exercées à temps plein, elle ne peut que conclure que la fraction de l’activité salariée n’excède pas celle de l’emploi dont l’exécution est suspendue. La seconde condition est ainsi remplie et la cour rejette l’appel, confirmant le jugement, mais en partie avec une autre motivation.

Intérêt de la décision

Deux points sont à relever, dans cette affaire.

Le premier concerne le délai d’appel, qui exige, pour commencer à courir, la signification du jugement, ce délai ne démarrant pas automatiquement à la notification visée à l’article 792 du Code judiciaire.

Le second, qui est la question de fond tranchée, est, par ailleurs, d’un intérêt évident. L’on notera que l’ONEm n’est pas suivi par la cour dans son interprétation de l’article 6 de l’arrêté royal.

La question du cumul des allocations d’interruption avec les revenus provenant d’une activité en tant que travailleur salarié figure au paragraphe 1er, celui-ci ajoutant la condition que cette activité ait été exercée avant l’interruption de carrière. L’alinéa 2 de ce paragraphe 1er en fixe la durée, étant qu’elle doit avoir été exercée durant au moins les trois mois qui précèdent le début de l’interruption de l’activité complète ou partielle.

Quant à la définition de l’activité accessoire au sens de cette disposition, le paragraphe 2 dispose qu’il faut entendre comme telle l’activité salariée dont la fraction d’occupation n’excède pas celle de l’emploi dont l’exécution est suspendue ou dans lequel les prestations de travail sont diminuées.

En l’espèce donc, l’enseignant prestait à raison d’un temps plein (20 heures par semaine) et a entamé une autre activité également à temps plein (38 heures par semaine). L’activité salariée a le caractère d’activité accessoire, dans la mesure où la fraction d’occupation n’est pas supérieure à l’activité d’enseignant, s’agissant dans les deux cas d’un temps plein.

Soulignons encore que la solution dégagée par la Cour du travail de Liège dans cet arrêt du 9 juin 2022 rejoint celle de la Cour du travail de Bruxelles, qui a abouti à la même conclusion dans un arrêt du 21 avril 2022 (C. trav. Bruxelles, 21 avril 2022, R.G. 2020/AB/558).


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