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Droit au R.I.S. et disposition au travail des étudiants

Commentaire de Cass., 27 juin 2022, n° S.21.0054.F

Mis en ligne le vendredi 9 décembre 2022


Cour de cassation, 27 juin 2022, n° S.21.0054.F

Terra Laboris

Par arrêt du 27 juin 2022, la Cour de cassation rappelle que, pour les étudiants de moins de vingt-cinq ans suivant des études (répondant aux conditions légales), un projet individualisé d’intégration sociale doit être établi et que c’est à la lumière de celui-ci que s’apprécie la disposition au travail.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt (inédit) rendu par la Cour du travail de Liège (division Liège) le 23 avril 2021 (R.G. 2020/AL/213).

Les faits

Une étudiante, née en 2000, introduisit une demande de revenu d’intégration sociale à sa majorité en 2018. Quelques mois plus tard, en octobre de la même année, le C.P.A.S. refusa le R.I.S. au taux cohabitant pour défaut de collaboration, celle-ci n’ayant pas fourni les documents demandés (grille budgétaire et preuve des montants y mentionnés). Une nouvelle décision de refus intervint en mai 2019, ainsi encore qu’une autre en août. Le C.P.A.S. accorda finalement le R.I.S. en octobre 2019.

Restait en suspens la période du 10 avril 2018 au 8 août 2019.

La décision de la cour du travail

Par arrêt du 23 avril 2021, la cour du travail constata qu’elle devait statuer sur la condition d’absence de ressources suffisantes, rappelant que celle-ci devait être examinée conformément à l’article 16 de la loi du 26 mai 2002, qui prévoit que toutes les ressources dont dispose le demandeur sont prises en considération et que peuvent également l’être celles des personnes avec lesquelles il cohabite, l’arrêté royal du 11 juillet 2002 visant à cet égard les ascendants et les descendants majeurs du premier degré du demandeur, dans la mesure de la partie de ces ressources qui excède le taux cohabitant que chacun d’entre eux doit se voir fictivement attribuer.

Le dossier administratif avait en l’espèce révélé que le C.P.A.S. tenait compte des revenus des parents, étant les allocations de chômage du père et les allocations familiales payées à la mère, rappelant que l’exonération de celles-ci ne vaut que pour celles pour lesquelles la personne qui demande à bénéficier du droit a la qualité d’allocataire en faveur d’enfants (pour autant qu’elle les élève et en ait la charge totale ou partielle). Examinant la situation familiale, la cour conclut que la condition d’absence de ressources suffisantes était remplie.

Pour ce qui était de la disposition au travail – également contestée –, elle souligna qu’il s’agit d’une condition directement liée à l’objectif d’insertion socio-professionnelle poursuivi par la loi dont la charge incombe au demandeur, mais qu’il n’y a pas une obligation de résultat, sinon de moyens, qui consiste à adopter un comportement de nature à permettre au demandeur de subvenir à ses besoins par son travail.

Existait en l’espèce un raison d’équité, étant les études suivies par l’intéressée, la nature de celles-ci étant par ailleurs de nature à améliorer grandement ses chances d’insertion socio-professionnelle. Par contre, était reprochée à l’intéressée une absence de disposition partielle au travail, vu qu’elle aurait dû accepter des jobs d’étudiant durant l’année, et particulièrement durant les congés scolaires. A cet égard, la cour lui reprochait de n’avoir fait aucune recherche d’un tel job d’étudiant, l’intéressée ayant par ailleurs confirmé à l’audience n’avoir jamais travaillé. La cour l’avait en conséquence déboutée de sa demande.

Le pourvoi

Un pourvoi a été introduit contre cet arrêt, contenant un moyen unique de cassation. Celui-ci est fondé sur la loi du 26 mai 2002 (articles 2, 3, 5°, 6, §§ 1er et 2, 9, §§ 1er et 2, 10, 11, spécialement § 2, et 17 de la loi du 26 mai 2002, article 21 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002, articles M.1.3 et M.1.4 de la circulaire du 3 août 2004, ainsi qu’article 3 de la Charte de l’assuré social).

Le pourvoi fait essentiellement grief à l’arrêt de la cour du travail d’avoir exigé une disposition partielle au travail. Il considère qu’il n’existe pas en soi, dans le chef de la personne qui prétend au bénéfice du droit à l’intégration sociale et qui poursuit des études secondaires ou universitaires de plein exercice, d’obligation de faire montre d’une telle disposition, tout dépendant des circonstances appréciées in concreto.

Il considère également qu’il n’est pas exact que la disposition au travail est une condition dont la charge de la preuve incombe au demandeur, dans la mesure où, s’il appartient certes à ce dernier de démontrer qu’il remplit les conditions d’octroi (article 3 de la loi), il n’en reste pas moins que le C.P.A.S. doit, en application de l’article 17, collaborer activement à la charge de cette preuve lorsqu’est en jeu la condition de l’article 3, 5°, ce dont, selon le moyen, il résulte que la considération de l’arrêt suivant laquelle la demanderesse (qui établissait s’être inscrite dans une agence d’intérim) ne démontre aucune recherche de job d’étudiant ne suffit pas à justifier légalement la décision qu’il ne peut être fait droit à sa demande.

Le pourvoi fait enfin grief à la cour du travail de ne pas avoir constaté que le C.P.A.S. aurait proposé un projet individualisé d’intégration sociale, ni même qu’il aurait fourni à l’intéressée la moindre information, la moindre aide ou le moindre soutien quant à la recherche, qu’il prétendait attendre d’elle, d’un emploi à temps partiel compatible avec ses études.

La décision de la Cour

La Cour de cassation reprend les dispositions pertinentes de la loi du 26 mai 2002 visées par le pourvoi.

Elle relève que, selon l’arrêt de la cour du travail, il a été constaté que l’intéressée avait sollicité le droit à l’intégration sociale le 10 avril 2018 alors qu’elle vivait chez ses parents et suivait la dernière année de cours de l’enseignement secondaire, qu’un premier refus était intervenu eu égard aux ressources des parents, qu’ensuite l’intéressée avait entamé des études universitaires et que deux refus étaient intervenus pendant la première année de cours en raison des ressources, qu’ensuite encore une décision avait octroyé le droit, que l’intéressée avait réussi deux années d’études et suivait sa troisième année et qu’elle n’avait ni travaillé ni recherché d’emploi autrement qu’en s’inscrivant dans un bureau d’intérim.

Selon les autres constatations de l’arrêt de la cour du travail, la Cour de cassation constate que la demanderesse, âgée de moins de vingt-cinq ans, satisfaisait aux conditions du droit à l’intégration sociale autres que la disposition au travail et qu’elle a entrepris des études de plein exercice dans un établissement d’enseignement agréé, organisé ou subventionné par les Communautés, études qu’elle est apte à réussir et qui augmentent ses possibilités d’insertion professionnelle.

Pour la Cour de cassation, la cour du travail ne pouvait apprécier si et dans quelle mesure ses études empêchaient en équité l’intéressée d’être disposée à travailler sans prendre en considération la circonstance que le projet individualisé d’intégration sociale, qui devait obligatoirement formuler des exigences négociées et adaptées à sa situation personnelle et à ses capacités, n’avait pas été établi.

Il y a violation de l’article 11, § 2, alinéa 1er, a), de la loi du 26 mai 2002, disposition qui prévoit qu’un projet individualisé d’intégration sociale est obligatoire lorsque l’assuré social est âgé de moins de vingt-cinq ans et que le C.P.A.S. accepte, sur la base de motif d’équité, qu’en vue d’une augmentation de ses possibilités d’insertion professionnelle, il entame, reprenne ou continue des études de plein exercice dans un établissement d’enseignement agréé, organisé ou subventionné par les Communautés.

L’arrêt est dès lors cassé et l’affaire renvoyée à la Cour du travail de Mons.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de cassation contient un enseignement important en ce qui concerne la disposition au travail des étudiants.

La cour du travail avait retenu l’exigence d’une « disposition partielle au travail » « dans une mesure compatible avec les études entreprises » et, constatant l’absence de prestations réelles de travail pendant les périodes de l’année non soumises à l’obligation scolaire et l’absence de jobs d’étudiant, avait rejeté la demande. Ceci en l’absence de projet individualisé d’intégration sociale.

Dans l’arrêt du 27 juin 2022, la Cour de cassation conclut cependant qu’il y a lieu d’examiner cette obligation de disposition au travail dans le chef d’un jeune de moins de vingt-cinq ans à l’aune des exigences de ce projet individualisé d’intégration sociale.

En l’espèce, celui-ci n’avait pas été établi.

Or, il est obligatoire lorsque (i) l’assuré social est âgé de moins de vingt-cinq ans et (ii) que le C.P.A.S. accepte, sur la base de motif d’équité, qu’en vue d’augmenter ses possibilités d’insertion professionnelle, le jeune suive des études (répondant aux conditions légales). Ce projet s’appuie sur les aspirations, les aptitudes, les qualifications et les besoins de l’assuré social et les possibilités du Centre et, dans son élaboration, celui-ci veille à respecter une juste proportionnalité entre les exigences formulées à l’égard de l’assuré social et l’aide octroyée. Ce projet – obligatoire en cas d’études de plein exercice – va contenir les exigences négociées et adaptées à la situation personnelle et aux capacités de l’étudiant et va permettre d’apprécier en équité si et dans quelle mesure il est empêché d’être disposé à travailler. C’est dès lors à l’aune de celui-ci que doit s’apprécier la condition de la disposition et non sur la base de critères de fait extérieurs.

Relevons sur la question un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 6 mai 2020 (R.G. 2018/AB/773), qui a jugé que, dès lors que le projet individualisé d’intégration sociale n’impose de recherche d’emploi que dans un domaine déterminé, sans prévoir que le bénéficiaire doit, en outre, être disposé à travailler en dehors de celui-ci, il ne peut être brutalement mis fin à l’octroi du revenu d’intégration au motif qu’il aurait circonscrit ses recherches à ce seul domaine. Il appartient au C.P.A.S., qui vient à estimer que l’intéressé doit, à l’avenir, élargir son champ de recherche, de l’en avertir et d’en fixer les nouveaux contours, le cas échéant dans le cadre de la conclusion d’un nouveau projet.


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