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Changement de commission paritaire : maintien des droits acquis

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 22 avril 2022, R.G. 21/246/A

Mis en ligne le vendredi 9 décembre 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 22 avril 2022, R.G. 21/246/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 22 avril 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle la théorie de l’incorporation dans le contrat de travail des clauses normatives individuelles d’une convention collective de travail.

Les faits

Un ouvrier, engagé par une société relevant de la commission paritaire n° 106.02 (industrie du béton), réclame à son employeur des arriérés de rémunération (salaire minimum de la catégorie correspondante dans la réglementation de cette commission paritaire) pour la période d’octobre 2014 à mars 2017.

La société change alors de commission paritaire à partir du 1er avril 2017 (dépendant à ce moment de la C.P. n° 116 – industrie chimique).

Ayant reçu le paiement des arriérés réclamés pour la période ci-dessus, l’intéressé contacte son organisation syndicale à propos de la période ultérieure, soit à partir du 1er avril 2017, pour laquelle il estime avoir encore droit à la même rémunération. L’organisation syndicale contacte l’employeur, qui conteste.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) en paiement de sommes. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 9.125 euros bruts.

Position des parties devant le tribunal

L’intéressé fait valoir, sur pied de l’article 23 de la loi du 5 décembre 1968, qu’il est en droit de continuer à percevoir le salaire de la commission paritaire n° 106.02, l’employeur devant appliquer, en cas de modification de commission paritaire, les barèmes les plus favorables.

Pour la société, il y a eu une « erreur historique », la plaçant dans le champ d’application de la commission paritaire compétente pour l’industrie du béton. Cette erreur a été corrigée à partir du 1er avril 2017 et l’intéressé n’aurait jamais dû se voir appliquer les barèmes d’une commission paritaire dont l’entreprise n’aurait jamais dû dépendre.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend l’article 23 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Cette disposition prévoit que le contrat de louage de travail individuel implicitement modifié par une convention collective de travail subsiste tel quel lorsque la convention cesse de produire ses effets, sauf clause contraire dans la convention elle-même.

Il résume l’esprit de cette décision comme étant de générer des droits et obligations dans la relation employeur-travailleur au-delà de la période de validité de la convention collective de travail qui est à leur source. Il y a incorporation dans le contrat de travail de dispositions normatives individuelles.

Le tribunal rappelle la définition de ces dispositions normatives individuelles de travail, étant toutes les dispositions qui déterminent la relation individuelle de travail.

Le contrat est amendé par celles-ci et il continuera à lier les parties après l’expiration de la convention collective de travail. Il s’agit d’une importante exception au droit civil, qui fait que les droits et obligations d’un instrument juridique expiré continuent à exister après la fin de validité de celui-ci. Il s’agit de maintenir les droits acquis. Le travailleur ne sera dès lors pas privé de ce droit par le simple fait de l’expiration ou de la dénonciation de la convention collective de travail.

Le jugement développe ensuite la théorie de l’incorporation des dispositions normatives individuelles d’une convention collective de travail dans le contrat de travail, qui est l’application automatique de l’article 23.

La doctrine (A. GUERIT et J.-Ph. CORDIER, « La convention collective de travail incorporée dans le contrat de travail », Organes et instruments de la Concertation sociale : Enjeux contemporains, Wolters Kluwer Belgium, 2020, pp. 115 et s.) souligne que, pour appuyer l’exercice de leurs droits et obligations, les travailleurs ne devront plus se référer à la convention collective mais bien à leur contrat de travail individuel.

Si, en cas de modification de commission paritaire due à un changement d’activité principale, l’entreprise ne voit plus s’appliquer les conventions collectives de travail en vigueur au sein de la commission paritaire initialement compétente, par la théorie de l’incorporation de l’article 23 le contrat de travail implicitement modifié subsiste tel quel. Ceci sauf clause contraire dans la convention elle-même. Une exception existe, étant que les dispositions du contrat de travail implicitement modifiées pourront être elles-mêmes modifiées au cas où celles des conventions collectives de travail de la nouvelle commission paritaire sont plus favorables aux travailleurs.

Le rappel est ici fait de la doctrine de M.-C. et B. PATERNOSTRE (M.-C. et B. PATERNOSTRE, « Persistance des effets de la convention collective de travail », Conventions collectives de travail : 50 ans d’applications jurisprudentielles, Wolters Kluwer Belgium, 2019, p. 84).

Le tribunal renvoie également, pour ce qui est du respect des obligations sectorielles « nouvelles » et le maintien des modifications précédemment intervenues et restées ancrées dans les contrats de travail, à la doctrine de G. GAILLET (G. GAILLET, « Le maintien des droits des travailleurs en cas de changement de commission paritaire par suite d’une modification d’activité de l’entreprise », J.L.M.B., 2018/14, pp. 665 et s.).

L’employeur n’établissant pas être dans un cas d’exception de l’article 23, il est fait droit à la demande.

Intérêt de la décision

Ce bref jugement rappelle la théorie de l’incorporation dans le contrat de travail des dispositions normatives individuelles d’une convention collective de travail.

L’article 23 de la loi du 5 décembre 1968 est bref, disposant que le contrat de louage de travail individuel implicitement modifié par une convention collective de travail subsiste tel quel lorsque la convention cesse de produire ses effets, sauf clause contraire dans la convention même. Sont visées non seulement la fin d’une convention collective à durée déterminée, mais également la dénonciation d’une convention à durée indéterminée.

La modification de la commission paritaire dont relève l’employeur intervient le plus souvent dans l’hypothèse d’un transfert d’entreprise, la situation examinée par le tribunal du travail dans ce jugement du 22 avril 2022 n’étant cependant pas celle-là, l’employeur ayant entendu corriger une « erreur historique ». La cause de la modification n’intervient dès lors pas pour l’application de l’article 23, cette disposition ne visant par ailleurs que les clauses normatives individuelles (et non les clauses normatives collectives).

L’intérêt de la disposition est de préserver les droits acquis du travailleur, à savoir lorsque les conditions de travail précédant la modification de la commission paritaire étaient plus favorables que celles régissant les relations de travail dans le cadre de la nouvelle.

L’on peut rappeler les règles de détermination de la commission paritaire compétente, étant qu’il faut examiner concrètement quelle est l’activité qui justifie l’existence de l’entreprise concernée, l’appréciation ne pouvant se faire in abstracto en tenant compte de l’objet social tel que défini dans l’acte constitutif de la société. Par ailleurs, la détermination de la commission paritaire compétente se fait au niveau de l’entreprise comme entité juridique et non au niveau du groupe auquel la société appartient. Cette activité peut différer des activités partielles dont la réunion conduit à l’exercice de l’activité elle-même. Il convient ainsi de s’attacher à la raison d’être de l’entreprise en distinguant celle-ci – qui définit son activité économique – des diverses « fonctions » qui y sont exercées et qui, quoiqu’elles contribuent toutes à la réalisation de cette activité, peuvent être regardées comme en étant l’accessoire. En synthèse, il s’agit de l’activité qui est exercée de manière à tendre vers la réalisation d’un profit dans une entreprise économique (C. trav. Liège, div. Liège, 28 octobre 2021, R.G. 2020/AL/257).

En cas de pluralité d’activités, le principe est l’appartenance à une seule commission paritaire. Le critère retenu est que l’accessoire suit le principal, l’activité principale de l’entreprise déterminant la commission paritaire compétente, à moins que l’arrêté royal qui a institué celle-ci n’ait retenu un autre critère. Est considérée comme activité principale celle qui suppose la mise à l’emploi la plus importante, et ce sur la base du temps de travail consacré à chaque activité. Le chiffre d’affaires n’est pas un critère adéquat. En cas de litige, le tribunal est seul compétent pour décider de la commission paritaire applicable à l’entreprise, n’étant pas lié par l’avis de l’administration (C. trav. Bruxelles, 21 janvier 2021, R.G. 2019/AB/60 – précédemment commenté).


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