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Personnel de HR Rail : règlement d’un accident du travail

Commentaire de Cass., 27 juin 2022, n° S.20.0035.F

Mis en ligne le jeudi 1er décembre 2022


Cour de cassation, 27 juin 2022, n° S.20.0035.F

Terra Laboris

Par arrêt du 27 juin 2022, la Cour de cassation rappelle que, pour la personnel de HR Rail, le texte applicable en matière d’accident du travail est le Fascicule 572 du R.G.P.S., règlement général arrêté par la commission paritaire nationale, dans le cadre du pouvoir normatif lui conféré par la loi du 23 juillet 1926. L’accident du travail a la même définition dans le R.G.P.S. que dans la loi du 3 juillet 1967.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre cinq arrêts rendus par la Cour du travail de Bruxelles dans la même affaire.

Les faits

Un agent statutaire de la S.N.C.B., commis aux écritures et délégué syndical principal (membre du Conseil syndical régional et membre effectif du C.P.P.T.) a eu un accident du travail le 22 juin 2009 sur son lieu de travail : pendant qu’il parlait avec ses collègues, il a soudainement ressenti une douleur fulgurante à la tête, il est tombé sur les genoux et s’est effondré. Il est resté inconscient jusqu’à l’arrivée des secours. Apparemment, il y a eu lésion cérébrale : hémorragie suggérant l’hypothèse d’une rupture d’anévrisme.

L’accident a été refusé par la S.N.C.B. Une requête a été déposée devant le Tribunal du travail de Nivelles le 13 octobre 2010, le demandeur étant débouté par jugement du 3 novembre 2011.

Il a dès lors interjeté appel.

Dans un premier arrêt du 18 décembre 2013, la cour du travail a admis l’événement soudain et a désigné un expert.

Dans un deuxième arrêt du 15 février 2016, une reprise d’instance par la S.A. de droit public S.N.C.B. Holding a été actée et le rapport de l’expert a été entériné.

Un troisième arrêt, du 17 octobre 2016, a condamné HR Rail à rembourser des frais médicaux, évalués provisoirement pour une période du 9 décembre 2014 au 17 mars 2016 et a confié à l’expert une mission complémentaire. La cour a encore demandé aux parties de s’expliquer sur la rémunération de base.

Celle-ci a été fixée dans un quatrième arrêt du 3 décembre 2018, la cour ayant en sus déterminé provisionnellement le montant de l’indemnité additionnelle pour aide de tiers et rouvert les débats aux fins de fixer celle-ci définitivement. Dans un dernier arrêt du 16 juin 2019, ceci a été fait et la société a été condamnée aux dépens.

Le pourvoi en cassation

La société développe un moyen unique de cassation, basé sur la circonstance que le cour du travail a fait application de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public et a condamné la demanderesse à indemniser l’agent conformément à cette loi.

La société fait valoir qu’en l’absence d’arrêté royal rendant la loi du 3 juillet 1967 applicable aux membres du personnel, la cour du travail ne pouvait imposer son application en vertu d’une « hiérarchie des sources ».

Sur la question de l’accident du travail, le pourvoi fait grief à la cour du travail d’avoir observé que les dispositions prévues par le Fascicule 572 du R.G.P.S. ne dérogent pas quant à la notion d’accident du travail à celle de l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967 et que, ce faisant, elle méconnaît la foi due à cet acte car elle donne au Fascicule 572 du R.G.P.S., et notamment à certaines de ses dispositions, une interprétation inconciliable avec leurs termes et viole les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil, ainsi que l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967.

La décision de la Cour de cassation

Sur la violation de la foi due aux actes, la Cour de cassation rappelle que le Fascicule 572 a été adopté par la commission paritaire nationale à laquelle l’article 13 de la loi du 23 juillet 1926 attribue un pouvoir normatif en matière de réparation des dommages résultant des accidents du travail, les règles de droit abstraites y contenues revêtant le caractère de généralité propre à la loi. Ces règles ont été édictées et approuvées conformément aux dispositions légales applicables. Ces dispositions constituent des lois au sens de l’article 608 du Code judiciaire, dont la violation ne constitue pas une méconnaissance de la foi due aux actes. Le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Elle en vient ensuite à la définition de l’accident du travail. Aux termes du § 3 du Fascicule 572 du R.G.P.S., le cours de l’exécution du service comprend le temps consacré par l’agent qui accomplit une mission syndicale comme délégué permanent ou occasionnel. Dès lors que la cour a constaté une lésion, un événement soudain, survenant sur l’heure de midi alors que l’intéressé accomplissait une mission syndicale comme délégué ou comme représentant du personnel reconnu en cette qualité par l’autorité, elle a pu conclure que l’événement soudain était survenu dans le cours de l’exécution des fonctions. Dès lors que cette décision demeure légalement justifiée au regard du § 3 du Fascicule 572 du R.G.P.S. qui aurait dû être appliqué, le moyen qui fait grief à l’arrêt d’appliquer les dispositions de la loi du 3 juillet 1967 est irrecevable à défaut d’intérêt, ne pouvant entraîner la cassation.

Le motif que les dispositions du Fascicule 572 du R.G.P.S. ne dérogent pas à la définition de l’accident du travail de la loi du 3 juillet 1967 suffit à fonder la décision du juge du fond, selon laquelle l’accident du travail se définit comme l’accident survenu dans le cours et par le fait de l’exercice des fonctions et qui produit une lésion, étant entendu par ailleurs que la loi présume, jusqu’à preuve du contraire, que l’accident survenu dans le cours de l’exercice des fonctions l’est par le fait de cet exercice et que, lorsque la victime ou ses ayant-droits établissent, outre l’existence d’une lésion, celle d’un événement soudain, la loi présume jusqu’à preuve du contraire que la lésion trouve son origine dans l’accident. La preuve contraire peut être apportée par l’expertise.

La Cour va cependant casser partiellement l’arrêt du 15 février 2016, considérant qu’il ne peut condamner la demanderesse à indemniser sur la base de la loi du 3 juillet 1967. La cassation partielle de cet arrêt entraîne l’annulation des quatre arrêts suivants.

La cause est renvoyée devant la Cour du travail de Bruxelles autrement composée.

Intérêt de la décision

Le personnel statutaire de HR Rail n’est pas soumis à la loi du 3 juillet 1967. La loi du 25 décembre 2016 a introduit dans la loi un article 1er/1, qui prévoit qu’elle n’est pas applicable aux membres du personnel de HR Rail, mis ou non à la disposition de la S.N.C.B. ou d’Infrabel, qu’ils soient dans un lien statutaire avec HR Rail ou engagés par contrat de travail. Pour la situation antérieure, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 10 décembre 2018 (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0057.F), qu’il ne se déduit pas de la loi du 25 décembre 2016, qui a inséré l’article ci-dessus avec effet au 1er janvier 2014, que la loi était applicable aux membres du personnel jusqu’au 31 décembre 2013, aucun arrêté royal délibéré en Conseil des ministres n’étant en effet intervenu. Dans son arrêt du 10 décembre 2018, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour du travail de Liège du 17 novembre 2017, qui avait admis l’application de la loi pour un accident survenu avant l’entrée en vigueur de la loi du 25 décembre 2016.

La Cour constitutionnelle est également intervenue dans un arrêt du 4 octobre 2018 (C. const., 4 octobre 2018, n° 125/2018), celle-ci ayant considéré que l’article 21 de la loi du 25 décembre 2016 portant des dispositions diverses en matière sociale, qui a inséré un article 1/1 dans la loi du 3 juillet 1967 précisant que la loi n’est pas applicable aux membres du personnel de HR Rail mis ou non à la disposition de la S.N.C.B. ou d’Infrabel (qu’ils soient dans un lien statutaire avec HR Rail ou engagés par contrat de travail), n’a pas pour objet de soustraire les membres du personnel statutaire de HR Rail à tout régime légalement institué en matière d’accidents du travail et d’accidents survenus sur le chemin du travail, et plus précisément au champ d’application de la loi du 3 juillet 1967. Ceux-ci l’étaient déjà avant les dispositions attaquées (avec renvoi aux travaux préparatoires de la loi du 4 juillet 1962 et 3 juillet 1967). Le législateur a voulu faire disparaître tout doute quant au non-assujettissement des membres du personnel statutaire, doute qui a pu naître en raison de la formulation de l’article 2bis de l’arrêté royal du 12 juin 1970 (qui dispose que les personnes morales de droit public dont la création est postérieure au 31 décembre 2004 – sauf dispositions contraires – sont automatiquement soumises à la loi du 3 juillet 1967, et en raison de la création de HR Rail par l’arrêté royal du 11 décembre 2013).

Par ailleurs, s’il y avait une différence de traitement entre les membres du personnel statutaire (qui ne pourraient plus se fonder sur la définition de l’accident du travail contenue dans la loi du 3 juillet 1967 ni sur celle prévue par la loi du 10 avril 1971, qui s’applique aux membres du personnel contractuel), cette différence de traitement proviendrait de ce que le Fascicule 572 du R.G.P.S. leur est applicable alors qu’il ne l’est pas au personnel contractuel.

L’on notera sur ce point la confirmation de la similitude de définitions de l’accident du travail dans la loi du 3 juillet 1967 et dans le Fascicule 572 du R.G.P.S.


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