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Statut social des travailleurs indépendants : la situation du mandataire de société

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 mai 2022, R.G. 2021/AB/179

Mis en ligne le mardi 29 novembre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 13 mai 2022, R.G. 2021/AB/179

Terra Laboris

Dans un arrêt du 13 mai 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’obligation pour un mandataire de société de s’affilier au statut social des travailleurs indépendants, sauf absence de caractère habituel de son activité ou exercice de celle-ci sans but de lucre.

Les faits

Un contrôle est effectué par l’Inspection sociale dans un magasin d’habillement exploité par une société familiale. La question se pose du mandat du gérant (gérant unique). Ni les statuts de la société ni les extraits de l’assemblée générale ne mentionnent en effet que le mandat est gratuit. Lors de son audition, celui-ci expose que la gratuité a été convenue avec son comptable, dans la mesure où il serait gérant administratif. Il confirme qu’il n’y a pas d’affiliation à l’I.N.A.S.T.I., dans la mesure où ses tâches étaient réduites, celui-ci exposant qu’il devait « simplement (s’)occuper de l’administratif ».

L’I.N.A.S.T.I. invite l’intéressé à s’affilier à une caisse d’assurances sociales. Ceci n’ayant pas été fait, il y a affiliation d’office à la Caisse nationale auxiliaire.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celui-ci l’accueille partiellement, le demandeur étant cependant condamné à verser un montant de l’ordre de 10.000 euros réclamé par l’I.N.A.S.T.I.

L’Institut interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’I.N.A.S.T.I. demande à la cour de faire droit à sa demande en totalité, étant réclamé un montant de l’ordre de 24.000 euros, à majorer des intérêts judiciaires depuis la date du dépôt de ses conclusions contenant sa demande reconventionnelle. Il sollicite également la confirmation des décisions administratives prises (deux décisions).

Quant à l’intimé, il sollicite la mise à néant d’une de ces deux décisions, ainsi que du décompte y annexé. Il demande pour autant que de besoin à la cour de dire pour droit qu’il n’y a pas lieu pour la caisse de réclamer des arriérés de cotisations. Il développe également une argumentation à titre subsidiaire sur les montants.

La décision de la cour

La cour reprend les règles en matière d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants. Elle passe en revue la définition de l’activité professionnelle au sens de l’arrêté royal n° 38 ainsi que la présomption fiscale reprise dans ce texte.

Pour ce qui est des mandataires de société (se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif), elle rappelle également la présomption réfragable d’exercice d’une activité professionnelle au sens de la réglementation.

Les modalités de renversement de la présomption sont reprises, étant que le mandataire peut établir soit que l’activité de mandataire n’est pas habituelle (ainsi si la société n’a plus d’activité), soit que cette activité est exercée sans but de lucre, étant entendu qu’il y a lieu pour lui d’établir à la fois la gratuité en droit (étant que le mandat n’était pas susceptible d’être rémunéré) et la gratuité en fait (étant qu’il ne l’a effectivement pas été).

Il est admis que la preuve de la gratuité peut être apportée par une disposition statutaire ou, à défaut, par une décision de l’organe compétent pour fixer les rémunérations des mandataires, possibilité prévue à l’article 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 tel qu’applicable depuis le 1er juillet 2014.

La réglementation prévoit également la date de prise de cours des effets de la disposition statutaire ou de la décision ci-dessus, étant que celle-ci intervient au plus tôt à partir du douzième mois qui précède le mois de la publication aux annexes au Moniteur belge ou le mois de la communication de la disposition ou de la décision en cause à la caisse d’assurances sociales ou, à défaut, à l’I.N.A.S.T.I. lui-même.

La cour examine ensuite la question de la gratuité du mandat, constatant qu’il y a eu en l’espèce gratuité en fait mais non gratuité en droit. Sur cette question, elle renvoie à une décision de la Cour du travail de Bruxelles du 9 décembre 2016 (R.G. non précisé – arrêt déposé par l’I.N.A.S.T.I.), selon laquelle il ne suffit pas de démontrer a posteriori l’absence de rémunération pour démontrer l’absence de but de lucre, mais il faut établir que la gratuité a été prévue dès l’origine.

L’intimé invoquant l’article 1986 du Code civil (qui dispose : « Le mandat est gratuit, s’il n’y a convention contraire »), la cour rejette que cette disposition puisse s’appliquer, renvoyant ici à une autre décision de la Cour du travail de Bruxelles du 11 décembre 2015 (R.G. non précisé – arrêt déposé par l’I.N.A.S.T.I.), selon laquelle, eu égard au fait qu’une société commerciale poursuit un but de lucre, le législateur a considéré que les mandats sociaux sont en principe rémunérés. La prétendue présomption de gratuité que la société entend déduire de l’article 1986 du Code civil a donc été écartée de manière certaine par la disposition particulière que constitue l’article 3, § 1er, alinéa 4, de l’arrêté royal n° 38.

La cour rejette une exception d’illégalité soulevée par la même partie à propos de l’article 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui autorise la preuve de la gratuité du mandat par une disposition statutaire. Elle rappelle que cette disposition est une mesure d’exécution de l’article 3 de l’arrêté royal n° 38 et ne déroge en rien à l’article 1986 du Code civil. La dérogation réside dans l’article 3, § 1er, alinéa 4, de l’arrêté royal n° 38 et la cour renvoie ici à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004 (arrêt n° 176/2004), selon lequel cette disposition a fait l’objet d’une confirmation législative et est ainsi de nature législative et non réglementaire.

Elle rejette également des explications de fait données par le gérant, qui minimise ses tâches (signature des comptes qui lui étaient présentés, etc.). Elle conclut qu’aucune preuve de l’absence d’activité professionnelle n’est apportée et que la présomption n’est dès lors pas renversée.

La cour aborde encore un moyen tiré d’un manque de diligence de l’I.N.A.S.T.I., l’intéressé lui reprochant d’être resté passif pendant une période de neuf ans, considérant que, si l’Institut avait agi avec une diligence normale, les actionnaires auraient pu prendre des dispositions, telles qu’une modification des statuts ou une décision de l’assemblée générale, et que lui-même aurait pu solliciter une dispense de cotisations, qu’il aurait très certainement obtenue.

La cour rappelle que la désignation du demandeur originaire en tant que gérant en 2009 n’entraînait aucune obligation pour l’I.N.A.S.T.I. de diligenter une enquête à l’époque, l’obligation pour un travailleur indépendant de s’affilier à une caisse d’assurances sociales existant indépendamment de toute enquête de l’I.N.A.S.T.I. et de la diligence avec laquelle celle-ci est menée. Elle conclut à l’absence de faute dans le chef de l’Institut, même si elle note que l’on ne peut que s’étonner du temps écoulé entre un contrôle survenu en 2014 et une mise en demeure adressée en 2018.

L’I.N.A.S.T.I. n’ayant pas commis de faute, la cour estime ne pas devoir faire droit à une demande de limitation des cotisations réclamées en principal. Elle rappelle à l’intéressé qu’il peut s’adresser directement à l’I.N.A.S.T.I. pour obtenir une renonciation aux majorations et qu’il peut également négocier un plan de paiement.

Intérêt de la décision

Les principes rappelés par la Cour du travail de Bruxelles dans cet arrêt du 13 mai 2022 sont connus, l’évolution législative depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004 (arrêt n° 176/2004) l’étant également. La présomption de l’article 3, § 1er, alinéa 4, de l’arrêté royal n° 38 avait en effet à l’origine un caractère irréfragable et la cour a admis que celui-ci était source de discrimination, la Cour de Justice de l’Union européenne ayant elle-même dû intervenir, dans un arrêt célèbre du 27 septembre 2012 (Aff. n° C-137/11) « Les Tartes de Chaumont-Gistoux ».

Rappelons que, dans cette décision de la Cour de Justice, était en cause la résidence d’un gérant dans un autre Etat de l’Union européenne, la gestion étant effectuée à partir de cette résidence elle-même. La Cour a conclu à l’absence de présomption irréfragable dans cette hypothèse également, jugeant en l’espèce les faits dans le cadre du Règlement n° 1408/71 (articles 13 et 14quater).

L’intérêt particulier de l’arrêt commenté est d’avoir répondu à un argument de la partie intimée (le gérant), qui invoquait le Code civil, dont l’article 1986 pose les principes de la gratuité du mandat en l’absence de convention contraire. La cour rappelle – ainsi que ceci figure déjà dans sa jurisprudence – que la présomption de gratuité du Code civil est écartée de manière certaine par la disposition particulière que constitue l’article 3, § 1er, alinéa 4, de l’arrêté royal n° 38.


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