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Dégâts à un véhicule de société et responsabilité du travailleur

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 11 mars 2022, R.G. 20/1.750/A

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 11 mars 2022, R.G. 20/1.750/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 11 mars 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) reprend les règles de l’immunité du travailleur telles qu’organisées à l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et souligne que toute clause conventionnelle adaptant les conditions de mise en cause de cette responsabilité doit être conforme à la disposition légale.

Les faits

Une société active dans les travaux routiers a engagé un technicien attaché à la gestion de certains chantiers en 1997. Celui-ci exerce la fonction de conseiller en prévention à partir de 2009.

Des difficultés interviennent entre parties dans le courant de l’année 2019, l’intéressé constatant la dégradation des relations de travail à partir de ce moment. Celles-ci sont en grande partie liées aux conditions d’exercice de la fonction ainsi qu’à l’organisation des réunions du C.P.P.T. Suite à l’existence de tensions de plus en plus importantes, une tentative de conciliation intervient en février 2020 et il est alors fait appel aux services du S.E.P.P.T. Cohezio afin de réaliser une mission d’analyse portant sur les relations au sein de la société et, plus précisément, avec l’intéressé.

L’employé est en chômage Corona en mai 2020. Le 3 juin, il est déclaré inapte à exercer la fonction pendant une période de deux mois, au motif d’inaptitude temporaire « suite à des conditions de travail inadéquates ». Le médecin du travail précisera, à la demande de l’employeur, que l’inaptitude temporaire concerne tant le poste de conseiller en prévention qu’un autre poste éventuel. Celui-ci est dès lors placé en chômage temporaire suite à la recommandation du médecin du travail. Il deviendra inapte définitivement suite à une décision du 2 juillet 2020.

Sept semaines plus tard, la société invite l’intéressé à restituer sans délai le véhicule de société, conformément à la car policy. Quinze jours plus tard, celui-ci informe la société qu’il a été engagé au service d’une autre société, et ce un mois après la déclaration d’inaptitude définitive.

Lui est alors demandé de restituer le véhicule de société. Il déclare la chose impossible au motif d’absence de contrôle technique. Il précise que ce véhicule est à disposition de son employeur chez lui. Le véhicule sera retiré, en présence d’un huissier. Un montant de l’ordre de 8.600 euros est réclamé, correspondant au coût des réparations de dégâts à celui-ci.

L’employé introduit une procédure devant le tribunal du travail, demandant la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de la société, avec paiement de dommages et intérêts correspondant à l’indemnité compensatoire de préavis. Il sollicite également le paiement de l’indemnité de protection prévue à l’article 10 de la loi du 20 décembre 2002, ainsi que la réparation d’autres dommages.

La société demande pour sa part la condamnation de l’intéressé à l’indemniser du préjudice matériel et moral subi du fait de la violation par lui des obligations contractuelles et légales souscrites et réclame le remboursement du coût des réparations au véhicule.

La décision du tribunal

Sur la résolution judiciaire, dont le tribunal rappelle les règles, le demandeur est débouté de son action, le jugement concluant, après un exposé des faits très détaillé, que celui-ci reste en défaut de prouver des manquements graves dans le chef de la société justifiant la résolution judiciaire du contrat à ses torts.

L’action reconventionnelle de la société porte également sur une demande de résolution judiciaire, le demandeur originaire ayant pour elle fait preuve d’insubordination, de concurrence déloyale et de manquement à son obligation de loyauté. Sur cette question, le tribunal – qui rappelle l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978, 3°, relatif à l’interdiction pour le travailleur de faire, tant au cours du contrat qu’après la cessation de celui-ci, tout acte de concurrence déloyale – considère ne pas être suffisamment informé pour apprécier un éventuel comportement fautif de l’intéressé. Il rouvre les débats sur ce point.

Il statue cependant sur la question du véhicule de la société, rappelant pour ce l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, dont il souligne que cette disposition n’atténue la responsabilité civile du travailleur que pour les actes commis dans l’exécution du contrat.

Pour la Cour de cassation, ces termes doivent recevoir une acception particulièrement large, le tribunal revenant sur l’arrêt du 24 décembre 1980 (Cass., 24 décembre 1980, Pas., 1981, I, p. 467) et la doctrine de M. VERWILGHEN et de Ch.-E. CLESSE (M. VERWILGHEN et Ch.-E. CLESSE, « La responsabilité du travailleur », La responsabilité du travailleur et de l’employeur, Kluwer, 2021, p. 23), selon lesquels il suffit que l’acte illicite entre dans les fonctions du préposé, que cet acte ait été accompli pendant la durée des fonctions et soit, fût-ce indirectement ou occasionnellement, en relation avec celles-ci.

Le tribunal reprend ensuite la définition du dol, de la faute lourde et de la faute légère habituelle, relevant que seule une convention collective de travail rendue obligatoire par arrêté royal peut déroger à l’immunité de l’article 18. En conséquence, une clause figurant dans tout autre document, fût-ce un contrat de travail, rend une telle dérogation nulle. Pour ce qui est de l’usage de la voiture de société, il ne peut donc être mis à charge du travailleur une responsabilité plus lourde que celle prévue à l’article 18 (le tribunal renvoyant à C. trav. Bruxelles, 28 mai 2008, R.G. 50.049).

Il rappelle encore que le travailleur n’est responsable ni des détériorations ni de l’usure dues à l’usage normal de la chose, non plus que de sa perte par cas fortuit. L’employeur ne peut dès lors postuler l’indemnisation de dégâts à une voiture de société résultant de son usage normal. Il doit en conséquence prouver – outre la réalité des dommages survenus – que ceux-ci ne résultent pas de l’usage normal du véhicule ou d’une faute légère occasionnelle, mais bien du dol, de la faute lourde, ou encore de la faute légère habituelle du travailleur.

Un dernier renvoi est fait à la jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 25 avril 2017, J.T.T., 2017, p. 305), pour rappeler que, si le dommage causé par le travailleur dans l’exécution du contrat de travail constitue une usure due à l’usage normal, ce dernier n’est pas tenu de le réparer. L’usage d’un véhicule ne pouvant se faire sans le risque de petits dégâts sur la carrosserie, il est donc normal que le véhicule utilisé par un travailleur pendant plusieurs années présente des traces d’usure normale pour lesquelles il n’est pas responsable, en l’espèce.

En l’occurrence, le tribunal constate que la car policy contient des clauses spécifiques relatives à la remise du véhicule mis à disposition du travailleur et, particulièrement, qu’en cas de refus de restitution, l’utilisateur se rend coupable d’une détention illégale d’un bien d’autrui. La police précise qu’en conséquence, il est d’office tenu responsable des dégâts qui pourraient être occasionnés au véhicule et supportera la charge financière des réparations qui en résultent.

Si, en l’espèce, il n’est pas contesté que le travailleur n’a pas spontanément remis le véhicule, le tribunal retient que c’était son obligation à lui de procéder au contrôle technique. Il est dès lors responsable, conformément à la police, des dégâts occasionnés au véhicule et doit en supporter la charge financière pour ce qui est des réparations.

Cependant, la disposition ne peut être prise en compte qu’en tenant compte de l’article 18 de la loi relative aux contrats de travail. La sanction figurant dans cette police ne peut dès lors concerner que la période pendant laquelle le véhicule est resté à disposition du travailleur après son refus de restitution. La clause ne peut ainsi concerner l’ensemble des dégâts constatés sur celui-ci. La société étant en défaut de préciser les dégâts constatés sur le véhicule et causés postérieurement à la date de demande de restitution, il n’est pas établi que ceux-ci sont survenus en dehors du contrat de travail. Il est encore relevé que, dans sa pratique quotidienne, l’intéressé se rendait essentiellement sur des chantiers, le long de voies ferrées et dans d’autres endroits divers sur des chemins carrossables mais peu entretenus.

La société est dès lors déboutée de ce chef de demande.

Intérêt de la décision

C’est sur les contours de l’immunité du travailleur que cette décision nous paraît essentiellement intéressante.

Le tribunal y a rappelé que toute dérogation à l’immunité légale ne peut intervenir que par convention collective de travail rendue obligatoire par le Roi, et ce uniquement en ce qui concerne la responsabilité à l’égard de l’employeur. Dès lors qu’une car policy conventionnelle a été signée par les parties, celle-ci ne peut déroger à la limitation de responsabilité prévue à l’article 18, étant, notamment, que le travailleur ne peut voir celle-ci engagée pour les actes commis dans l’exécution de son contrat.

Si la notion est comprise largement, et ce tant dans la jurisprudence de la Cour de cassation qu’en doctrine, il est clair que la preuve de la survenance du dommage en dehors de l’exécution du contrat doit être apportée par l’employeur. A défaut, l’immunité joue.

Sur les critères à prendre en compte pour la mise en cause de la responsabilité du travailleur, renvoyons à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 22 septembre 2017 (C. trav. Bruxelles, 22 septembre 2017, R.G. 2016/AB/899 – précédemment commenté), qui a rappelé qu’en vertu de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, en cas de dommage causé à l’employeur ou à des tiers, le travailleur n’est responsable que de son dol, de sa faute lourde ou de sa faute légère habituelle. Dans l’appréciation de cette notion, il faut tenir compte de la fonction du travailleur, de ses capacités et de ses responsabilités, de l’activité et du profil de l’entreprise ainsi que des circonstances dans lesquelles la faute a été commise. Le critère est ainsi triple : il s’agit d’éléments relatifs au travailleur ainsi qu’à l’employeur, et, enfin, des circonstances, c’est-à-dire du contexte de la relation de travail dans lesquelles la faute a été commise.


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