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Abandon d’emploi en vue d’exercer une activité indépendante

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 4 février 2022, R.G. 20/1.716/A

Mis en ligne le lundi 31 octobre 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 4 février 2022, R.G. 20/1.716/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 février 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) conclut qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la « période de carence » de six mois à un travailleur qui a renoncé volontairement à son emploi salarié en vue d’exercer une activité indépendante mais en a été empêché pour raison de force majeure (pandémie Covid-19).

Les faits

Suite à son licenciement par le C.P.A.S. pour lequel il prestait dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, un employé remet un contre-préavis de quatre semaines, ayant l’opportunité d’ouvrir un établissement Horeca. Une rupture d’un commun accord est décidée ensuite. A cette époque (mars 2020), intervient la décision gouvernementale de confinement généralisé et de fermeture de tous les établissements (publics et privés). Le projet de l’intéressé avorte donc.

Il contacte sa caisse de paiement fin mars et demande à bénéficier des allocations de chômage à partir du 16 du même mois. Ceci lui sera accordé par l’ONEm le 20 mai. Il est ensuite informé par son organisme de paiement du montant de ses allocations.

Dans le même temps, une vérification intervient au niveau de l’ONEm quant aux circonstances de la perte de l’emploi. Le C.P.A.S., interrogé, donne les explications voulues, exposant les motifs à la base du licenciement, étant une question de compétences par rapport aux impératifs de la fonction. L’ONEm demande ensuite à l’intéressé ses explications eu égard à un « abandon d’emploi ». Celui-ci répond, donnant les précisions ci-dessus.

Une décision administrative intervient immédiatement, l’excluant du droit aux allocations pendant une période de six mois, parce qu’il aurait abandonné son emploi pour exercer une profession qui ne l’assujettit pas à la sécurité sociale, secteur chômage (article 55 de l’arrêté royal organique), avec récupération des allocations perçues, soit un montant de l’ordre de 10.000 euros.

Un recours est introduit.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend le texte de l’article 55 de l’arrêté royal organique et, ensuite, celui des articles 51 et 52.

Ces dispositions prévoient que, lorsqu’un travailleur abandonne son emploi salarié pour devenir travailleur indépendant, il doit subir une « période de carence ». Ceci signifie qu’il n’a pas droit aux allocations pendant six mois. L’article 55 de l’arrêté royal prévoit en effet qu’aucune allocation n’est accordée en cas d’abandon d’un emploi salarié pour exercer une profession qui n’assujettit pas le travailleur à la sécurité sociale, secteur chômage, pendant l’exercice de cette profession, et en tout cas pendant six mois au moins à compter de l’abandon d’emploi (2°).

Le tribunal renvoie aux instructions de l’ONEm (site ONEMTECH, RIODOC, instruction 070514, p. 59), qui précisent à ce sujet que cette disposition n’est pas appliquée en cas d’abandon d’emploi en vue d’une occupation statutaire dans un service public et qu’elle ne vise donc que l’activité indépendante. La « période de carence » a pour but d’éviter que des travailleurs n’abandonnent un emploi salarié « pour se lancer de manière irréfléchie » dans l’exercice d’une activité indépendante. La disposition est supposée s’appliquer dès lors s’il y abandon d’emploi dans l’intention (le tribunal souligne) d’entamer l’exercice d’une activité indépendante, même si, par la suite, elle ne sera pas exercée.

A l’issue de la « période de carence », le chômeur ne subit pas d’exclusion du bénéfice des allocations du fait de son abandon d’emploi s’il a exercé l’activité indépendante pendant six mois au moins et s’il peut établir que son ancien employeur n’est pas disposé à le réengager.

Cependant, il pourra faire l’objet d’une sanction d’exclusion du droit aux allocations pendant une période de quatre à cinquante-deux semaines s’il ne se trouve pas dans la situation ci-dessus. L’article 52bis de l’arrêté royal dispose en effet que le travailleur peut être exclu du bénéfice des allocations pendant quatre semaines au moins et cinquante-deux semaines au plus s’il est ou s’il devient chômeur à la suite d’un abandon d’emploi (1°).

En l’espèce, le tribunal constate sur le plan des faits que, si l’intention du travailleur ne s’est pas concrétisée, c’est en raison de la survenance, le 16 mars 2020, d’un cas de force majeure (pandémie Covid-19). Il note que le travailleur ne s’est pas inscrit à une caisse d’assurances sociales, son projet n’étant en fin de compte qu’à l’étude, son plan financier n’ayant par ailleurs pas encore été rédigé. En conséquence, le tribunal considère que l’ONEm ne pouvait faire application de l’article 55 de l’arrêté royal organique.

Il y voit deux motifs.

Le premier est que l’objectif de cette disposition est d’éviter que les travailleurs n’abandonnent leur emploi pour se lancer dans une activité indépendante sans trop y réfléchir, y renoncent par la suite – après l’avoir exercée ou non – et viennent solliciter le bénéfice des allocations de chômage. Ce n’est pas le cas en l’espèce : le demandeur n’a pas renoncé volontairement à exercer cette activité, dans la mesure où il a été empêché de l’entamer en raison d’un cas de force majeure.

Ensuite, pour le tribunal, l’élargissement de la notion de profession indépendante à l’intention d’exercer une telle profession n’est pas explicitement prévu par le texte de la disposition. Il ajoute que sonder les intentions est d’ailleurs un exercice arbitraire (8e feuillet). Dans la documentation de l’ONEm, cet élargissement n’apparaît nullement dans les feuilles d’informations destinées aux travailleurs.

Il n’y a dès lors pas lieu d’appliquer l’article 55 et le tribunal annule la décision administrative. Il constate qu’il peut, dans cette hypothèse, se substituer à l’autorité administrative et prendre la décision en appliquant correctement les dispositions légales concernant les faits litigieux (ceci étant la doctrine de J.-Fr. NEVEN, « Les principes de bonne administration, la Charte de l’assuré social et la réglementation du chômage », La réglementation du chômage : 20 ans d’application de l’A.R. du 25 novembre 1991, Kluwer, coll. Etudes pratiques de droit social, 2011, pp. 602 et s.).

Le tribunal passe ensuite à la question de la gestion du dossier, dans la mesure où le demandeur a été admis mais où l’ONEm n’est revenu sur cette admission que six mois plus tard, le mettant dans une situation d’endettement grave, alors que, si l’admission avait été refusée, il aurait pu bénéficier de l’aide du C.P.A.S.

Enfin, statuant sur les articles 51 et 52 ou 52bis de l’arrêté royal, le tribunal conclut qu’en l’absence d’éléments apportés par l’ONEm permettant de justifier une sanction, celle-ci doit être annulée.

Intérêt de la décision

La question tranchée par le tribunal dans ce jugement du 4 février 2022 vise l’abandon d’emploi en vue de l’exercice d’une activité indépendante. Le tribunal a interprété de manière stricte les termes de l’arrêté royal, étant que le travailleur n’a pas renoncé à exercer cette activité indépendante, mais qu’il a été empêché de l’entamer en raison d’un cas de force majeur et que, par ailleurs, le texte ne vise pas « l’intention » d’exercer cette profession indépendante. Il s’agirait, pour le tribunal, d’un élargissement de la disposition légale, que rien n’autorise, même pas les explications de l’ONEm dans ses feuilles d’informations.

L’abandon d’emploi (sans motif légitime) peut donner lieu à un avertissement ou à une exclusion du droit aux allocations (de quatre à cinquante-deux semaines), un sursis total ou partiel pouvant être accordé.

La situation de l’abandon d’emploi en vue de l’exercice d’une activité indépendante est spécifique, le législateur social ayant prévu que cet exercice peut, s’il a une durée minimum de six mois, donner lieu à une demande d’allocations, à la condition que le travailleur apporte la preuve que son précédent employeur n’est pas disposé à l’occuper à nouveau, et ce sans exclusion. Suit la même règle l’hypothèse d’un abandon d’emploi pour éduquer un enfant.

Relevons qu’en cas d’abandon d’emploi, les allocations pourront de nouveau être demandées, sans exclusion, à la condition que le travailleur ait repris un travail salarié pendant treize semaines au moins.


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