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Remboursement d’indu de prestations de sécurité sociale : rétroactivité ou non ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 4 mars 2022, R.G. 20/224/A

Mis en ligne le lundi 31 octobre 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), 4 mars 2022, R.G. 20/224/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 mars 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) examine les conditions de remboursement d’un indu et précise quelques éléments d’appréciation, s’agissant d’une erreur d’une institution de sécurité sociale (organisme assureur AMI).

Les faits

Un assuré social a été indemnisé par son organisme assureur pendant une période de quatre mois. Il lui est notifié qu’une partie des indemnités doit être remboursée, vu qu’il aurait bénéficié d’un salaire garanti. En outre, il est précisé que le taux journalier doit être revu. L’indu réclamé est supérieur à 3.000 euros. L’intéressé signe une reconnaissance de dette et marque accord pour un remboursement échelonné. Celui-ci n’étant pas respecté, une procédure est introduite en remboursement.

Position des parties devant le tribunal

L’intéressé conteste devoir rembourser, exposant que l’indu trouve son origine dans une erreur commise par son organisme assureur.

Celui-ci considère pour sa part que l’affilié savait ou devait savoir qu’il n’avait pas droit aux indemnités versées, ce qui entraîne la récupération, en application de l’article 17, alinéa 3, de la Charte de l’assuré social.

La décision du tribunal

Le tribunal examine ainsi les dispositions applicables, étant, pour ce qui est de la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance soins de santé et indemnités, ses articles 164, alinéa 1er, et 174, 5°. Il reprend également les dispositions de la Charte de l’assuré social ainsi que l’article 1er de l’arrêté royal du 31 mai 1933 concernant les déclarations à faire en matière de subventions et allocations.

En vertu de ces textes, en cas d’erreur ou de fraude, le bénéficiaire de prestations ayant perçu un montant indu est tenu d’en rembourser la valeur à l’organisme assureur qui l’a octroyé (article 164 de la loi du 14 juillet 1994), l’action en récupération de la valeur des prestations indûment octroyées se prescrivant par deux ans à compter de la fin du mois au cours duquel le paiement a été effectué (article 174, 5°, de la même loi).

Après avoir repris le texte de l’article 17 de la Charte de l’assuré social, le tribunal souligne un extrait des travaux préparatoires (Projet de loi modifiant la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l’assuré social – Doc. Parl., Ch., 1996-1997, 907/1, p. 15), selon lequel l’article 17 vise uniquement les cas où, lors de la fixation des droits de l’assuré social, une erreur est intervenue et que celle-ci est imputable à l’institution de sécurité sociale. Cette disposition n’est pas applicable en cas de dol ou de fraude (ou de manières frauduleuses, ou encore d’omission par l’assuré social de faire une déclaration prescrite par un texte ou qui découle d’un engagement antérieur).

Enfin, le tribunal rappelle qu’en vertu de l’article 1er de l’arrêté royal du 31 mai 1933, toute personne qui sait ou qui devait savoir n’avoir plus droit à l’intégralité d’une subvention, indemnité ou allocation, est tenue d’en faire la déclaration.

Se pose, en l’espèce, d’abord l’examen de l’incidence de la reconnaissance de dette signée par l’intéressé. Le tribunal rappelle le caractère d’ordre public de la réglementation et renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 23 janvier 1998, Chron. D. S., 1998, p. 540), qui a jugé que, si une telle reconnaissance de dette est contraire à une disposition d’ordre public, elle ne peut être prise en considération. Il faut dès lors vérifier prioritairement le caractère indu des indemnités.

Pour ce qui est du salaire garanti, le tribunal conclut rapidement qu’il y a lieu d’appliquer l’article 17, alinéa 3, de la Charte et que le remboursement doit intervenir.

Cependant, pour ce qui est de la récupération d’un indu suite à la révision du taux journalier, il n’est pas établi que l’intéressé aurait fait des déclarations incorrectes ou incomplètes. L’existence d’un indu résultant du paiement d’indemnités trop élevées est le fruit d’une erreur de l’organisme assureur.

Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 12 décembre 2005, n° S.04.0172.F), qui a cassé une décision de fond ayant considéré qu’un bénéficiaire de prestations ne peut se retrancher derrière son ignorance des dispositions applicables au motif qu’il est censé connaître les lois en vertu de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi », la Cour suprême exigeant que soit examiné si les circonstances propres à la cause établissent qu’il savait ou devait savoir ne plus avoir droit à la pension de survie (prestations perçues en l’espèce) dont il bénéficiait.

La doctrine (Ch.-E. CLESSE, « Révision des décisions : application de la Charte de l’assuré social aux institutions coopérantes de sécurité sociale », Les grands arrêts de la Cour constitutionnelle en droit social, Larcier, 2010, pp. 885-896) a souligné, à propos de la condition selon laquelle l’assuré social « savait ou devait savoir » qu’une prestation indue lui était accordée, qu’il faut tenir compte de la complexité de la législation ainsi que de l’éventuelle mauvaise foi de l’intéressé. En outre, elle souligne que l’on admet que, dans certaines circonstances, l’assuré social doit signaler en temps utile les « fautes manifestes des institutions », et ce même si l’obligation de déclarer les prestations indues requiert la preuve de la connaissance par l’intéressé qu’il ne remplit plus les conditions d’octroi.

En l’espèce, aucun des éléments ne permet d’effectuer ces vérifications et le tribunal conclut que l’intéressé ne savait pas qu’il n’avait pas droit à l’intégralité des indemnités. Il tient également compte du fait que le montant n’étant pas « largement supérieur » au salaire de référence et que l’incidence du précompte peut également avoir joué, l’intéressé ayant pu croire qu’une imposition trop peu importante avait été pratiquée.

Enfin, il rappelle que le calcul des taux et montant des prestations implique l’application de règles techniques et que le demandeur, qui ne s’était pas trouvé dans cette situation précédemment, ne connaissait pas les montants devant lui revenir.

La demande est dès lors déclarée non fondée.

Intérêt de la décision

L’article 17 de la Charte de l’assuré social est régulièrement invoqué en cas de demande de restitution d’indu. Cette disposition protectrice des droits des assurés sociaux contient en effet une règle permettant la non-rétroactivité des effets d’une décision (défavorable en ce qui concerne le montant de l’octroi de la prestation notamment), étant qu’elle ne vaut que pour l’avenir en cas d’erreur de l’institution de sécurité sociale. Cette disposition a donné lieu à une abondante jurisprudence, sur la notion d’erreur d’abord et sur la portée de son alinéa 3 ensuite, qui contient une exception à cette règle, étant que la non-rétroactivité ne joue pas si l’assuré social sait ou devait savoir qu’il n’avait plus droit à l’intégralité de la prestation, l’exception renvoyant aux conditions de l’arrêté royal du 31 mai 1933 concernant les déclarations à faire en matière de subventions, indemnités et allocations.

Sur la notion d’erreur, il est bien acquis que la disposition ne vaut pas s’il y a également une erreur dans le chef de l’assuré social, l’erreur de l’institution de sécurité sociale devant être seule à l’origine de l’indu.

Quant à la portée de l’expression « savait ou devait savoir », rien ne figure dans le texte et les critères à prendre en compte sont repris dans le jugement commenté, avec l’important arrêt de la Cour de cassation rendu le 12 décembre 2005 à propos de l’article 38 de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967. Cette disposition renvoie à l’arrêté royal du 31 mai 1933 pour ce qui est des déclarations à faire en ce qui concerne les prestations qu’il prévoit. Ainsi, toute personne qui sait n’avoir plus droit à l’intégralité d’une subvention, indemnité ou allocation est tenue d’en faire la déclaration. Cette obligation a, suite à la loi du 7 juin 1994, été étendue à la personne qui devait savoir n’avoir plus droit à la prestation dont elle bénéficiait. La Cour de cassation a précisé que l’application de cette disposition (dans ses deux versions) requiert la preuve de la connaissance par la personne qui bénéficie de la prestation qu’elle ne remplit plus les conditions d’octroi.


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