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Infractions au droit pénal social : fixation de l’amende administrative

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 janvier 2022, R.G. 2020/AB/753

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 20 janvier 2022, R.G. 2020/AB/753

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 janvier 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la distinction à faire entre le concours matériel d’infractions et le concours d’infractions par unité d’intention, notions de droit pénal social qui vont déterminer l’amende administrative à appliquer en cas d’infractions à la réglementation sociale.

Les faits

Lors d’un contrôle social dans une pizzeria, il est constaté que des personnes sont occupées alors qu’il n’y a pas pour elles de Dimona et que d’autres travaillent (sans dérogation écrite) en-dehors de leur horaire normal de travail à temps partiel.

Des infractions ont dès lors été constatées, à savoir de ne pas avoir procédé à la déclaration immédiate de l’emploi pour certains travailleurs (violation des articles 4 à 8 de l’arrêté royal du 5 novembre 2002 et 181, § 1er, 1°, C.P.S.) et d’avoir occupé des travailleurs à temps partiel en-dehors de l’horaire ayant fait l’objet d’une publicité (violation des articles 160 de la loi-programme du 22 décembre 1989 et 152, alinéa 1er, 1°, C.P.S.).

Une amende administrative de 12.000 euros est notifiée, l’auditeur du travail ayant pour sa part renoncé à intenter des poursuites pénales.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 10 novembre 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a confirmé la décision administrative et a ramené l’amende à 10.800 euros, en vertu de l’article 113 C.P.S.

L’appel

La société interjette appel, demandant de mettre le jugement à néant en ce qu’il a statué sur l’amende administrative. A titre subsidiaire, elle sollicite l’exclusion de celle-ci pour l’occupation d’un travailleur (contestant cette occupation elle-même) et la réduction de l’amende en-dessous du minimum ou l’octroi d’un sursis.

Le SPF demande confirmation de sa décision administrative, en ce compris sur le montant de l’amende.

La décision de la cour

La cour examine d’abord l’existence des infractions. Celles-ci sont confirmées, en ce compris pour ce qui est de la contestation relative à une personne occupée.

Elle se penche ensuite sur l’amende, s’agissant de vérifier le concours d’infractions d’abord et d’apprécier le montant de l’amende ensuite.

Elle estime ne pas pouvoir suivre le tribunal, qui a retenu le concours d’infractions, étant que les différentes infractions commises étaient liées par une unité d’intention et que, dès lors, seule l’amende la plus forte devait être appliquée.

Pour la cour, cette position n’est pas correcte. Elle rappelle que, lorsque la même infraction est commise à l’égard de plusieurs travailleurs, l’amende doit être multipliée par le nombre de travailleurs concernés (article 181, § 2, alinéa 3, C.P.S. en cas d’absence de Dimona et article 151, alinéa 3, C.P.S. pour l’absence de mesures de publicité de l’horaire à temps partiel).

Reprenant la doctrine de M. DE RUE (M. DE RUE, Le Code pénal social. Analyse des lois des 2 et 6 juin 2010, Larcier, 2012, p. 92), la cour rappelle qu’en cas de concours de plusieurs infractions, les montants des amendes administratives sont cumulés sans qu’ils ne puissent excéder le montant du maximum de l’amende la plus élevée. C’est l’article 112 C.P.S. Il s’agit du concours matériel d’infractions, c’est-à-dire lorsque plusieurs infractions distinctes sont commises qui n’ont pas de lien particulier entre elles.

Lorsqu’un même fait constitue plusieurs infractions ou si différentes infractions sont commises simultanément, il y a manifestation successive et continue de la même intention délictueuse. Dans ce cas, l’amende administrative la plus forte est la seule infligée. Il s’agit du concours d’infractions par unité d’intention.

En l’espèce, des infractions distinctes ont été commises. Celles-ci ne requièrent pas d’intention frauduleuse. Ce sont des infractions matérielles.

Renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 avril 2018 (Cass., 25 avril 2018, n° P.17.0559.F), la cour poursuit que l’élément moral s’en déduit du non-respect par l’employeur du prescrit légal sans qu’il puisse invoquer de manière suffisamment plausible une cause de justification ou de non-imputabilité.

Elle conclut à l’absence d’unité d’intention en fait. A supposer même que cette commune intention ait été d’éluder les cotisations sociales, il s’agit, selon les termes de l’arrêt, d’un « mobile abstrait commun à un très grand nombre d’infractions en matière sociale ». C’est concrètement qu’il faut vérifier si les actes constituent la manifestation successive et continue d’une même intention délictueuse.

Pour la cour, le seul point commun est d’avoir été commis par le même employeur, dans le même établissement et au même moment, mais ceci ne permet pas de retenir l’unité d’intention de l’article 113 C.P.S. La cour fait ici la distinction avec la solution retenue dans un arrêt du 2 mai 2013 (C. trav. Bruxelles, 2 mai 2013, R.G. 2012/AB/1.018), qui concernait des infractions différentes commises à l’égard des mêmes travailleurs.

La situation concerne ici cinq travailleurs différents, à savoir trois pour l’une et deux pour l’autre. Retenir une unité d’intention conduirait à ne sanctionner qu’une infraction (l’absence de Dimona) et non l’autre (infraction de travail à temps partiel). Et la cour de conclure sur cette question qu’il n’est pas justifié de traiter plus favorablement l’employeur qui a commis des infractions différentes à l’égard de plusieurs travailleurs que l’employeur qui a commis vis-à-vis de ceux-ci la même infraction.

Il y a concours matériel d’infractions et non concours d’infractions par unité d’intention.

Il faut dès lors se référer à l’article 112 C.P.S., qui règle la question du cumul des amendes (avec une maximum) et non de l’article 113, alinéa 1er (qui dispose que seule l’amende la plus forte est infligée).

La cour en vient alors au montant de l’amende, rappelant qu’en cas d’absence de Dimona, l’infraction est une sanction de niveau 4. Elle est passible d’une amende de 2.400 à 24.000 euros, multipliée par le nombre de travailleurs, après application des décimes additionnels. Quant à l’amende pour occupation de travailleurs à temps partiel en-dehors de l’horaire, elle est passible d’une sanction de niveau 3, ce qui représente une amende de 400 à 4.000 euros.

Elle retient que l’amende calculée par le SPF est proportionnée, tenant compte de faits similaires à l’encontre d’un des cogérants de la société pour des faits commis un an et demi avant ceux examinés. L’intéressé avait à l’époque fait l’objet de poursuites pénales et avait obtenu la clémence du tribunal correctionnel au motif de « regrets apparemment sincères ». La cour ne peut que constater que ces regrets et les promesses tenues à l’époque étaient manifestement mensongers. Elle ne retient dès lors pas la bonne foi dans le chef de la société.

En conséquence, elle admet la majoration modérée de l’amende au-dessus du montant minimum et refuse les circonstances atténuantes ainsi que le sursis et les paiements échelonnés demandés. Sur ce dernier point, elle fait grief à la société de ne pas démontrer ses difficultés économiques.

Intérêt de la décision

Le point de droit mis en exergue par la cour dans cet arrêt est une question de droit pénal social. La cour y fait, en effet, avec la doctrine la plus autorisée sur la question (M. DE RUE – cité), le point sur la distinction entre le concours matériel d’infractions et le concours d’infractions par unité d’intention.

Renvoi est fait à un arrêt de la même cour du 2 mai 2013 (C. trav. Bruxelles, 2 mai 2013, R.G. 2012/AB/1.018 – précédemment commenté). Il s’agissait d’infractions aux articles 181 (Dimona), 175 (occupation de main-d’œuvre étrangère) et 187 (compte individuel) C.P.S. En l’espèce, les comportements incriminés avaient été considérés comme constituant la manifestation successive et continue d’une même intention délictueuse, les diverses infractions ayant été commises à l’égard des mêmes travailleurs – ce que rappelle la cour du travail dans l’arrêt annoté, où il s’agit de travailleurs différents pour l’absence de Dimona et le non-respect de la législation en matière d’occupation à temps partiel.

La cour avait rappelé dans cet arrêt du 2 mai 2013 que les amendes administratives n’étaient pas soumises aux décimes additionnels avant l’entrée en vigueur du Code pénal social. Elle y avait examiné des circonstances atténuantes, circonstances qui n’ont pu – pour des raisons évidentes – être retenues dans l’arrêt du 20 janvier 2022.


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