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Recours contre une décision de mutuelle : condition du maintien du droit aux allocations de chômage provisoires

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 février 2022, R.G. 2021/AL/233

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 21 février 2022, R.G. 2021/AL/233

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 février 2022, la Cour du travail de Liège, saisie d’une affaire où le demandeur avait lui-même sollicité la radiation d’un recours introduit contre la mutuelle et avait ensuite été exclu par l’ONEm du bénéfice des allocations de chômage, rappelle les effets de la radiation : ce n’est pas une décision judiciaire et la procédure peut être reprise.

Les faits

Une requête a été introduite par un assuré social contre une décision de fin d’incapacité prise par sa mutuelle en 2015. Un recours a été introduit par l’intéressé devant le tribunal du travail (sans l’assistance d’un avocat ou d’une organisation syndicale). Parallèlement, il s’est adressé à l’ONEm aux fins d’obtenir les allocations de chômage à titre provisoire, conformément à l’article 62 de l’arrêté royal organique. Quelques mois plus tard, il a rempli un formulaire de demande de radiation de la cause et un jugement actant celle-ci est intervenu le 20 octobre 2016.

L’intéressé a été reconnu en tant que personne handicapée, avec effet au 1er janvier 2017. Il a alors repris le travail (sans date connue) et est retombé en incapacité de travail le 6 décembre 2017. Entre-temps, l’ONEm s’étant enquis de l’issue de la procédure, le jugement de radiation a été transmis.

L’ONEm a alors décidé, le 18 janvier 2018, d’exclure l’intéressé des allocations à partir du 4 mars 2016, étant la date à laquelle le formulaire de demande de radiation a été signé. Il a également décidé de la récupération (les allocations avoisinant les 22.500 euros) et excluant l’intéressé du droit aux allocations pour une période de treize semaines. Cette (première) décision était motivée par le fait qu’il avait renoncé au recours introduit contre la mutuelle et que, lors de son audition, il avait déclaré ne pas être apte au travail.

Dans le même temps, l’employeur mit un terme au contrat de travail pour force majeure médicale.

Un recours a été introduit contre la décision de l’ONEm. La mutuelle refusa alors de l’indemniser en raison de son incapacité de travail au motif qu’il ne remplissait pas la condition de stage, ne totalisant pas au moins cent-quatre-vingt jours de travail ou journées assimilées pendant la période de référence. Un second recours fut introduit.

Les deux actions ont été jointes par jugement du 24 mars 2021. Le recours dirigé contre l’ONEm a mis à néant la première décision. L’action introduite contre la mutuelle a également été accueillie. Un expert a été désigné.

Appel est interjeté par l’ONEm. La mutuelle forme un appel incident.

Position des parties devant la cour

L’ONEm demande de rétablir sa décision administrative en toutes ses dispositions et de condamner l’intéressé au remboursement d’allocations indûment perçues.

La mutuelle demande également la réformation du jugement et sollicite que l’intéressé soit débouté de ses demandes.

Ce dernier sollicite pour sa part la confirmation en tous points du jugement dont appel, avec la condamnation des institutions aux dépens.

Position du Ministère public

Sur le plan de la recevabilité, le Ministère public conclut que le litige n’est pas indivisible et que, si l’appel de l’ONEm est recevable, celui de la mutuelle ne l’est pas.

Sur le fond, il considère que l’on ne peut exclure un chômeur rétroactivement pour absence de disposition au travail. En outre, le bénéfice des allocations de chômage à titre provisoire est lié à l’introduction du recours et celles-ci sont dues jusqu’au prononcé de la décision judiciaire définitive. Il rappelle qu’il y a une grande souplesse en jurisprudence si un recours est déclaré irrecevable parce que tardif, s’il y a désistement, ou encore si le recours n’est pas diligenté. L’absence de communication de la décision de mettre un terme à la procédure ou de la décision de rejet n’est par ailleurs pas sanctionnée par les textes. Le droit aux allocations de chômage était dès lors ouvert et la sanction n’est pas justifiée.

M. l’Avocat général demande dès lors la confirmation du jugement.

La décision de la cour

La cour examine la question de la recevabilité de l’appel de la mutuelle, soulignant que, s’il était requalifié en appel principal, il serait tardif et, partant, irrecevable. Elle examine dès lors la question sous l’angle de l’appel incident. Or, l’ONEm a introduit sa requête contre l’assuré social « en présence de la mutuelle » sans formuler la moindre demande à l’égard de celle-ci ni même de prétentions de nature à porter atteinte à ses intérêts. Il a ainsi fait de la mutuelle une partie en cause, afin que l’arrêt à intervenir lui soit opposable, mais non une partie intimée. La cour souligne qu’il en va d’autant plus ainsi que les deux institutions n’avaient pas de lien d’instance devant le tribunal.

L’appel incident est dès lors irrecevable.

Quant au fondement, la cour commence par poser la question suivante : si un travailleur indemnisé par sa mutuelle ne peut bénéficier d’allocations de chômage, qu’en est-il lorsque, comme en l’espèce, un travailleur est jugé apte au travail par sa mutuelle mais estime pour sa part que ce n’est pas le cas ?

Elle renvoie à l’article 62, § 2, de l’arrêté royal organique, qui règle la question de l’octroi d’allocations provisoires en cas de recours judiciaire introduit contre la décision de remise au travail, allocations accordées aussi longtemps que le recours reste pendant devant les juridictions du travail.

Le problème en cause est la radiation de l’affaire, sollicitée par le demandeur.

La cour envisage ainsi la notion de radiation, qui, selon l’article 730 du Code judiciaire, éteint l’instance mais est « éminemment réversible », puisqu’une citation nouvelle peut ramener celle-ci au rôle général, sauf droit des parties de comparaître volontairement. Il ne s’agit pas d’une décision au sens judiciaire, et la cour relève d’ailleurs qu’une radiation ne donne pas lieu à des dépens.

La procédure contre la mutuelle n’est ainsi pas clôturée. Elle connaît, selon la cour, « une longue pause », celle-ci espérant que l’intéressé va, actuellement, via son conseil, rapidement relancer l’ancienne procédure. Elle précise encore qu’à défaut de comparution volontaire de la mutuelle, l’intéressé a les moyens de l’y contraindre. Il s’en déduit que celui-ci est resté considéré comme apte et qu’il doit bénéficier des allocations provisoires aussi longtemps que les juridictions compétentes n’en auront pas décidé autrement.

Si l’on ne peut admettre, comme le précise l’arrêt, que des recours soient indéfiniment prolongés de façon artificielle par un assuré social qui voudrait de la sorte abuser d’une position avantageuse, tel n’est pas le cas en l’espèce, vu les circonstances de fait : recours radié en dépit du bon sens par un assuré social peu instruit, dont le français n’est pas la langue maternelle, manifestement dépassé par les arcanes du système judiciaire et n’ayant pas bénéficié au moment crucial de l’assistance de son avocat ou de son syndicat et ayant transmis en toute innocence à l’ONEm le jugement qui allait causer ses ennuis (12e feuillet de l’arrêt).

La prémisse de la décision de l’ONEm selon laquelle l’intéressé a volontairement mis un terme à la procédure l’opposant à la mutuelle est erronée, vu qu’il ne s’agit que d’une simple interruption.

Le jugement est dès lors confirmé, mais pour d’autres motifs.

Intérêt de la décision

Très intéressant est le rappel fait par la cour sur les effets de la radiation, qui, si elle éteint l’instance, n’est pas une décision au sens judiciaire, la procédure pouvant être reprise.

Sur le droit aux allocations de chômage à titre provisoire, la Cour du travail de Mons a rendu, le 11 juin 2020, un arrêt important (C. trav. Mons, 11 juin 2020, R.G. 2019/AM/271 – précédemment commenté) concernant l’hypothèse où la demanderesse avait renoncé à introduire une action contre son ex-employeur. La cour a jugé que l’article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (relatif à l’octroi des allocations provisoires) résulte de la transposition partielle dans celui-ci de l’article 7, § 12, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs. Il s’est agi, par cette modification de la disposition introduite par la loi-programme du 30 décembre 1988, de donner une base légale à la pratique administrative en vertu de laquelle les allocations étaient accordées à titre provisoire aux travailleurs qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, n’avaient pas perçu l’indemnité de rupture ou les dommages et intérêts auxquels ils avaient droit suite à la rupture.

Par ailleurs, ainsi que confirmé dans un arrêt de la Cour du travail de Liège du 26 mai 2020 (C. trav. Liège, div. Liège, R.G. 2019/AL/5 – également précédemment commenté), si, suite à la notification d’une décision de fin d’incapacité, l’assuré social conteste et introduit une procédure devant le tribunal du travail, sollicitant parallèlement le bénéfice des allocations de chômage (qui lui sont accordées à titre provisoire, dans l’attente de l’issue de la procédure contre l’organisme assureur) et que cette procédure aboutit à la reconnaissance rétroactive de l’incapacité de travail, il peut être référé en cas de demande de remboursement par l’ONEm à l’instruction ONEm RioDoc n° 061236/2 en matière de récupération d’allocations provisoires, qui permet la limitation de la récupération d’allocations de chômage au montant des indemnités AMI.

Une précision avait encore été apportée dans un précédent arrêt du 21 février 2020 (C. trav. Liège, div. Liège, 21 février 2020, R.G. 2018/AL/455 – également précédemment commenté), étant que l’article 47 de l’arrêté royal organique chômage impose au bénéficiaire d’allocations provisionnelles d’introduire une action en justice dans l’année de la rupture, quelles que soient les chances de succès de celle-ci. L’issue de l’action est sans incidence, puisque l’article 47 de l’arrêté royal ne prévoit pas de sanction si une action est introduite mais qu’elle n’a pas débouché sur une condamnation de l’employeur. Il n’y a, dans cette hypothèse, pas lieu de rembourser les allocations provisoires, dans la mesure où la procédure a été entamée, l’obligation en cause étant une obligation de moyen.


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