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Chômage temporaire et chômage économique : la Cour de cassation se prononce sur la condition de stage

Commentaire de Cass., 4 avril 2022, n° S.20.0047.F

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Cour de cassation, 4 avril 2022, n° S.20.0047.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 avril 2022, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 14 mai 2020 (R.G. 2018/AB/554), qui avait conclu à l’existence d’une discrimination entre bénéficiaires du chômage économique ou du chômage temporaire, seuls ces derniers étant automatiquement dispensés de la condition de stage les rendant admissibles aux allocations.

Bref rappel des faits

Un ouvrier a sollicité le bénéfice d’allocations de chômage pour cause économique. Cette demande a été refusée au motif qu’il ne réunissait pas la condition relative à l’exigence de trois-cent-douze jours de travail, les journées de travail effectif et les journées assimilées ne donnant qu’un total de cent-nonante-cinq.

Rétroactes de la procédure

Sur recours de l’intéressé, le tribunal du travail statua par jugement du 15 mai 2018. Il fit droit à la demande et annula la décision de l’ONEm, au motif que l’arrêté royal du 11 septembre 2016 modifiant les articles 40 et 42bis de l’arrêté royal organique du 25 novembre 1991 et relatif à l’accès aux allocations de chômage devait être écarté. Un traitement discriminatoire avait, selon le tribunal, en effet été introduit entre les travailleurs en chômage économique et les autres travailleurs en chômage temporaire.

Appel fut interjeté devant la Cour du travail de Bruxelles et celle-ci statua par arrêt du 14 mai 2020, étant celui soumis à la censure de la Cour de cassation.

Dans son rappel des principes, la cour reprit les dispositions visées, qui ont introduit un régime différent pour les chômeurs en chômage économique – qui ne peuvent être dispensés du stage que sous certaines conditions strictes – et les autres chômeurs en chômage temporaire – qui sont toujours dispensés du stage.

Pour la cour du travail, la question se posait ainsi de savoir si le principe d’égalité de traitement était ou non violé.

Les catégories de personnes étant considérées comparables (étant renvoyé notamment à l’arrêté royal du 30 mars 2020 visant à adapter les procédures dans le cadre du chômage temporaire dû au virus Covid-19, qui avait supprimé cette condition de stage – mesure valant jusqu’au 30 juin 2020), la cour considéra qu’aucun élément objectif n’était avancé par l’ONEm pour justifier l’économie budgétaire recherchée, pointant le fait que, vu la complexité administrative de la distinction, la mesure entraînerait des frais de fonctionnement accrus. Ceci pour le premier objectif avancé, d’économie.

En ce qui concerne le deuxième, qui était de freiner l’augmentation d’un usage « impropre » du chômage économique, la cour constata que les rapports publics de l’ONEm pour la période 2014 à 2017 montraient une diminution du nombre de jours indemnisés et qu’aucune explication n’était fournie à propos de fraudes éventuelles qui auraient profité aux travailleurs et aux entreprises, ou même à ces dernières uniquement.

Référence étant également faite aux « travailleurs étrangers », la cour releva à cet égard qu’un pourcentage très important d’entre eux était des citoyens européens et que la mesure heurtait le principe de la libre circulation.

Enfin, aucun argument n’était démontré quant à la difficulté des contrôles, l’ONEm n’établissant nullement l’existence d’abus qui auraient été constatés.

Le pourvoi

Un pourvoi a été introduit contre cet arrêt. Dans les moyens développés, il fait essentiellement valoir huit griefs.

Le premier porte sur l’article 10 de la Constitution et le principe de la non-discrimination dans la jouissance des droits et des libertés (article 11).

Le pourvoi aborde ensuite l’article 27, 2°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui définit le chômeur temporaire. Il rappelle qu’en vertu de l’article 30, le chômeur à temps plein doit avoir accompli un stage de trois-cent-douze jours au cours des vingt-et-un mois précédant la demande d’allocations s’il est âgé de moins de trente-six ans.

Il passe à l’article 42bis de l’arrêté royal avant sa modification par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, qui disposait que les chômeurs temporaires, par dérogation aux articles 30 et 31, étaient admis aux allocations de chômage avec dispense de stage.

Il aborde alors la loi du 3 juillet 1978 en ses dispositions relatives à la suspension de l’exécution du contrat, dont l’article 77/4, qui prévoit la faculté pour l’employeur d’instaurer, en cas de manque de travail résultant de causes économiques, une suspension totale de l’exécution du contrat ou un régime de travail à temps réduit comportant au moins deux jours de travail par semaine.

Ce après quoi, il renvoie à l’article 42bis nouveau, tel qu’introduit par l’arrêté royal du 11 septembre 2016, exposant que celui-ci oppose les cas de suspension du contrat de travail résultant d’une cause extérieure rendant temporairement impossible la poursuite de l’exécution du travail convenu et les cas de suspension à l’option de l’employeur lorsque le travail vient à manquer en raisons de circonstances économiques.

Pour le demandeur, alors que les articles 26, 49 et 50 de la loi du 3 juillet 1978 ne font qu’une application du droit commun de la force majeure, les articles 51 et 77/4 de la même loi tendent, par dérogation au droit commun, à alléger les charges d’une entreprise qui se trouve confrontée à des difficultés économiques. Ils constituent ainsi une alternative au licenciement et laissent à cet égard à l’employeur une marge d’appréciation tant en fonction de la politique sociale qu’il entend développer que quant à l’ampleur du manque de travail et aux circonstances économiques qui le causent.

Il s’agit de situations radicalement différentes de celles envisagées par l’article 1er de l’arrêté royal du 30 mars 2020 visant à adapter les procédures dans le cadre du chômage temporaire dû au virus Covid-19. Cet arrêté est en effet expressément justifié par le fait que beaucoup d’entreprises doivent fermer sur l’ordre des pouvoirs publics, situation qui entraîne un afflux massif de demandes de reconnaissance d’une situation de force majeure et d’allocations de chômage temporaire. Cette disposition est ainsi justifiée par le fait que les demandes de chômage temporaire pour cause de manque de travail résultant des circonstances économiques qu’il vise ne sont en réalité que la conséquence d’un fait du prince constitutif d’un cas de force majeure, lui-même causé par une pandémie.

Il s’ensuit que les travailleurs visés aux articles 26, 49 et 50 de la loi du 3 juillet 1978 sont dans une situation différente de ceux visés aux articles 51 et 77/4 de la même loi et qu’ils ne se trouvent dès lors pas dans une situation comparable.

En conséquence, le pourvoi conclut que l’arrêt de la cour du travail, en ce qu’il considère que les chômeurs temporaires en raison d’un manque de travail résultant d’une cause économique sont dans une situation comparable aux autres chômeurs temporaires visés par l’article 42bis de l’arrêté royal et que celui-ci, en les traitant différemment, est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, viole les dispositions constitutionnelles ainsi que les dispositions légales visées aux moyens.

La décision de la Cour

La Cour fait d’abord le point sur les diverses dispositions de la loi du 3 juillet 1978 relatives à la suspension du contrat de travail. Elle précise la portée de ces dispositions comme suit.

Les articles 49, 50, 51 et 77/4 sont inspirés par le mécanisme de la force majeure temporaire mais n’exigent pas que les circonstances qu’ils visent soient constitutives de force majeure. Ces événements de force majeure, accident technique, intempéries et manque de travail résultant de causes économiques suspendent l’obligation de l’employeur de faire exécuter le travail convenu, dans le but d’éviter la rupture de la relation de travail, sont en principe indépendants de la volonté de l’employeur et n’excluent pas toute appréciation.

S’agissant du chômage temporaire pour cause d’accident technique, d’intempéries ou économique, les articles 51, § 8, et 77/4, § 7, de la loi du 3 juillet 1978 chargent en principe l’employeur de payer au travailleur un supplément aux allocations de chômage, les articles 49, 50, 51 et 77/4 de la même loi chargent l’employeur de notifier immédiatement à l’ONEm le premier jour de chômage, l’article 71, alinéa 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage impose au chômeur d’être en possession d’une carte de contrôle à partir du premier jour de suspension effective de l’exécution du contrat de travail notifié par l’employeur à l’ONEm.

L’article 30quinquies de la loi du 3 juillet 1978 prévoit que la cause du manque de travail pour cause économique doit être indépendante de la volonté de l’employeur. En vertu de l’article 38, § 3sexies, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, les employeurs doivent payer une cotisation, dite « de responsabilisation pour cause de chômage économique », calculée sur une partie des jours de chômage temporaire déclarés pour les travailleurs manuels. Toutes ces dispositions ont pour but de lutter contre l’abus du chômage temporaire, les deux dernières visant spécialement le chômage économique.

Par ailleurs, dans le cadre de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, l’article 42bis traite de la situation du travailleur à temps plein qui est devenu chômeur temporaire, étant donné que ses prestations de travail sont temporairement réduites ou suspendues en application des articles 26, 49 ou 50 de la loi du 3 juillet 1978 : celui-ci est admis aux allocations de chômage sans devoir satisfaire aux conditions de stage. Lorsque la suspension ou réduction intervient en application des articles 51 ou 77/4, il est dispensé d’un nouveau stage, dans certaines conditions. Ces dispositions instaurent une différence de traitement en matière de droit aux allocations de chômage entre, d’une part, la catégorie des chômeurs pour cause économique, qui ne sont dispensés du stage que sous certaines conditions et, d’autre part, la catégorie des autres chômeurs temporaires, qui sont dispensés du stage sans condition.

La Cour conclut qu’il suit des caractéristiques et dispositions légales précitées, communes à ces deux catégories de travailleurs en chômage temporaire, que l’arrêt, qui considère que celles-ci sont comparables du point de vue de la lutte contre l’abus, fait une exacte application des articles 10 et 11 de la Constitution. Le moyen ne peut être accueilli.

Intérêt de la décision

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation confirme la position des deux juges du fond, qui ont conclu à l’existence de catégories comparables.

L’arrêt de la Cour de cassation vise uniquement ce point. Dans son arrêt (qui avait été précédemment commenté), la Cour du travail de Bruxelles avait relevé qu’avant l’arrêté royal du 11 septembre 2016, et ce depuis l’année 2003, le législateur avait appliqué un régime identique aux deux catégories de chômeurs. Il s’agissait dès lors de catégories comparables, une confirmation indirecte de cette conclusion résidant dans l’arrêté royal du 30 mars 2020 visant à adapter les procédures dans le cadre du chômage temporaire dû au virus Covid-19.

La cour du travail avait relevé que, suite à celui-ci, les chômeurs en chômage temporaire pour cause économique étaient à nouveau assimilés aux autres catégories de chômeurs temporaires, et ce pendant la période visée par l’arrêté royal, ne devant ainsi pas satisfaire aux conditions de stage. Il s’agissait en conséquence de traiter de la même façon les personnes en chômage temporaire à la suite d’un cas de force majeure (fermeture obligatoire de l’entreprise) et les personnes en chômage pour cause économique à la suite de la crise sanitaire, c’est-à-dire les travailleurs des entreprises qui n’avaient pas l’obligation de fermer mais qui avaient dû le faire ou limiter leur activité, ainsi vu notamment l’impossibilité d’obtenir des fournitures pour l’exercice de celle-ci.

L’équilibre est ainsi rétabli entre les deux catégories de chômeurs.


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