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Associé actif : travailleur indépendant ou salarié ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Binche), 20 décembre 2021, R.G. 20/1.279/A

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Binche), 20 décembre 2021, R.G. 20/1.279/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 20 décembre 2021, le Tribunal du travail du Hainaut (division Binche) confirme l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés de neuf travailleurs engagés par une société avec le statut d’associé actif et la qualité d’indépendant.

Les faits

Suite à une information émanant de l’ONEm concernant l’occupation de « faux indépendants », une enquête sociale a été ouverte auprès d’une société exploitant une boulangerie. Il en ressort que certains travailleurs, déjà salariés, sont devenus associés actifs. Il s’agit de trois personnes au départ. Par la suite, entre 2016 et 2019, il est constaté que douze autres personnes ont signé une convention de cession de parts sociales, pour devenir associés actifs de la société. La majorité de celles-ci sont auditionnées.

L’O.N.S.S. considère, à l’examen du dossier, qu’existent des preuves suffisantes permettant de conclure à l’existence de contrats de travail. Il décide dès lors de procéder à l’assujettissement de treize associés actifs.

Sa décision est motivée par de nombreux éléments de fait, étant, d’abord, que le choix de ce statut n’a pas été librement consenti, celui-ci leur étant présenté comme la seule possibilité pour eux d’être engagés. Par ailleurs, est constatée l’absence totale d’« affectio societatis », au vu du nombre minime de parts sociales attribuées, l’absence d’investissement personnel, l’absence de risque financier (vu la perception d’une rémunération fixe) et d’autres éléments tels que l’absence d’accès au compte bancaire de la société, le manque de liberté dans l’organisation du travail, etc. Est encore exposé le fait que le gérant les surveillait de manière régulière à l’aide de caméras de surveillance et qu’il exerçait une autorité sur eux, avec menaces de sanction.

La société introduit une procédure, contestant l’assujettissement au régime général de la sécurité sociale des travailleurs salariés. L’O.N.S.S. introduit dans le cours de la procédure, par voie de conclusions, une demande reconventionnelle en vue d’obtenir la condamnation de la société à plus de 227.000 euros de cotisations, à majorer des intérêts légaux et des dépens.

La décision du tribunal

Le tribunal est saisi, outre de la question de l’assujettissement, d’une exception de prescription. Celle-ci porte sur les cotisations antérieures au 10 juin 2017. Un courrier recommandé a en effet été envoyé le 5 avril 2019, mais la société conteste qu’il puisse avoir un effet interruptif, ne précisant ni les travailleurs visés ni le montant réclamé.

Renvoyant à la disposition légale (article 42 de la loi du 27 juin 1969), le tribunal conclut à l’absence de prescription. Les modes d’interruption y sont en effet énumérés et, parmi ceux-ci, figure la lettre recommandée de l’O.N.S.S. La jurisprudence (C. trav. Mons, 12 mars 2015, J.L.M.B., 2015 (som.), liv. 36, p. 1731 ; C. trav. Bruxelles, 9 juin 2016, R.G. 2014/AB/525 et C. trav. Liège, div. Namur, 5 juillet 2018, R.G. 2017/AN/12, notamment) a précisé les exigences légales, étant que, pour qu’il y ait effet interruptif, le titulaire du droit doit manifester de manière non ambiguë sa volonté d’exercer son droit et d’en obtenir le bénéfice. Dès lors que l’objet des courriers est clairement mentionné, que les trimestres concernés sont clairement indiqués et que la sommation vise un paiement de sommes (même réduites à un euro provisionnel), les conditions légales sont remplies, la Cour du travail de Liège précisant dans son arrêt du 5 juillet 2018 que la lettre recommandée ne doit remplir aucune condition de forme particulière mais doit constituer la manifestation de la volonté du créancier, qui relève de la teneur de l’acte plutôt que de sa simple existence, d’exercer son droit à l’égard de l’employeur et d’obtenir le paiement d’une créance suffisamment identifiée pour qu’il puisse être vérifié qu’il s’agit de la même que celle qui fait l’objet de la procédure ultérieure.

Examinant la lettre de l’O.N.S.S., le tribunal conclut qu’elle rencontre les exigences requises pour interrompre la prescription.

En ce qui concerne le fond du litige, il aborde successivement la question de l’assujettissement d’office et, ensuite, celle du statut d’associé actif.

Sur la première question, il reprend les conditions d’existence du contrat de travail et rappelle que la subordination juridique ne peut se confondre avec la dépendance économique.

Quant au statut d’associé actif, renvoyant à la doctrine (Ch.-E. CLESSE et J.-F. DIZIER, Dirigeant d’entreprise, un métier sous haute surveillance, Kluwer, 2010, p. 55), il rappelle que celui-ci non seulement possède une part du capital et en recueille les fruits, mais encore qu’il exerce au sein de la société une activité non salariée dans le but de faire fructifier le capital qui lui appartient en partie. En tant que tel, il est soumis au statut social des travailleurs indépendants sans qu’il soit requis qu’il ait perçu des bénéfices ni que l’activité exercée ait la nature d’une gestion ou d’une direction au sens étroit de ces termes. Il est admis en jurisprudence qu’un travailleur qui ne participe ni au bénéfice ni à la charge du risque de l’entreprise peut se trouver dans un lien de subordination (jurisprudence citée par la même doctrine).

Le tribunal réexamine, dans le cadre de ces principes, les auditions des travailleurs, qui ont confirmé que leur statut d’associé actif leur a été imposé, sans qu’ils en connaissent les implications fiscales et sociales. Ils ont précisé que les parts sociales n’avaient pas été payées, qu’ils ne participaient pas aux assemblées générales et n’avaient pas accès au compte bancaire, les cotisations sociales étant payées par la société.

D’autres éléments ont encore été confirmés, à savoir le caractère fixe de la rémunération, celle-ci étant déterminée par le « patron », et d’autres éléments confirmant le lien de subordination, dont la surveillance par caméras et une « forte autorité » de l’employeur. Les personnes entendues ont encore précisé qu’en cas de maladie, un certificat médical devait être remis et que la plupart des travailleurs étaient rémunérés et percevaient en outre une prime de fin d’année.

La conclusion du tribunal est que, pour les travailleurs qui ont été auditionnés, la décision administrative doit être confirmée, à la différence de la situation des travailleurs qui n’ont pas été entendus.

Le tribunal accueille dès lors la demande reconventionnelle de l’O.N.S.S., à concurrence d’un euro provisionnel, les calculs devant être refaits par l’Office.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement, le Tribunal du travail du Hainaut (division Binche) aboutit à la conclusion que la qualité des travailleurs occupés devait faire l’objet d’une requalification au niveau de la sécurité sociale, les modalités d’exécution de la relation de travail impliquant une subordination juridique certaine.

La particularité du dossier est le recours de la société au statut, pour ceux-ci, d’associé actif. Celui-ci ne peut, bien évidemment, faire obstacle à la reconnaissance du contrat de travail, dans les conditions telles qu’exposées : statut imposé par la société, nombre de parts tout à fait insignifiant (en principe deux), recours à ce statut pour l’ensemble des travailleurs et non-respect de la législation commerciale quant à ceux-ci (accès au compte, participation à l’assemblée générale, etc.).

Le contentieux relatif au statut d’associé actif se meut généralement dans le contexte de l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants. Cet aspect cède cependant la place dès lors que l’existence d’un contrat de travail est admise et que l’associé actif se révèle être un « faux indépendant ».

Sur le plan du statut social, il peut être rappelé à ce propos qu’aucune présomption légale d’exercice d’une activité n’existe pour l’associé actif et que c’est à la caisse qu’il incombe d’établir l’exercice réel d’une activité susceptible d’entraîner son assujettissement au statut social (voir notamment à cet égard C. trav. Bruxelles, 9 décembre 2016, R.G. 2015/AB/853 – précédemment commenté). Cette jurisprudence est constante (voir également C. trav. Bruxelles, 10 août 2018, R.G. 2017/AB/834).

Relevons également que le statut de l’associé actif n’est pas expressément visé à l’arrêté royal n° 38. Le tribunal renvoie, dès lors, à l’apport de la jurisprudence sur la question, dont l’arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 1987, qui en a apporté la définition : c’est celui qui, non seulement, détient une part du capital et en recueille les fruits, mais qui encore exerce au sein de la société une activité non salariée dans le but de faire fructifier ce capital, qui lui appartient en partie. Il est en tant que tel soumis au statut sans qu’il soit requis qu’il ait perçu des bénéfices et que l’activité exercée au service de la société ait la nature d’une gestion ou d’une direction au sens étroit de ces termes (Trib. trav. Liège (div. Verviers), 5 avril 2019, R.G. 18/337/A – également précédemment commenté).


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