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Formation préalable à l’embauche : existence d’un contrat de travail ?

Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2022


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 14 février 2022, R.G. 20/791/A

Terra Laboris

Par jugement du 14 février 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) conclut à l’absence de contrat de travail en cas de formation donnée à un candidat à une offre d’emploi, formation s’étendant sur plusieurs jours mais ne réunissant pas les exigences de la loi du 3 juillet 1978.

Les faits

Via un SMS reçu du FOREm, un bénéficiaire d’allocations de chômage prend connaissance d’une offre d’emploi. Il s’agit d’un poste de conseiller commercial pour une société active dans les secteurs des télécoms, énergie, sécurité et communication. Le poste concerne la vente externalisée pour des particuliers et sociétés.

Il répond à cette annonce, marquant son intérêt pour l’offre d’emploi. Un entretien est fixé et il est convoqué à un cycle de formation. L’intéressé marque accord pour suivre celle-ci et pose certaines questions sur l’offre d’emploi elle-même (contrat, véhicule, salaire, etc.).

Des précisions sont apportées quant aux propositions de la société. L’intéressé se rend dès lors à la formation, qui devait durer trois jours et, selon le demandeur, en durera quatre. Lors de celle-ci, des documents sont transmis (liste de prix de fournitures d’énergie, prospectus promotionnels, descriptif d’offres de packs de services, etc.).

A la fin de la formation, il se rend au siège aux fins de signer son contrat de travail et n’est pas engagé. Il adresse un courrier, s’interrogeant sur le revirement de la société. Considérant qu’il s’est tenu à la disposition de son « futur employeur » dans les locaux de celui-ci, il écrit qu’il y a « contrat d’emploi tacite » (sic). Il demande alors une indemnisation pour le travail effectué ainsi qu’une indemnité de préavis. Il ne sera pas répondu directement à cette lettre, non plus qu’à un rappel. La société le fera par voie de son conseil, qui conteste l’existence d’un contrat de travail.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, l’intéressé demandant de reconnaître l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée et de se voir allouer une rémunération et une indemnité de rupture selon les barèmes de la commission paritaire n° 200.

La société conclut au débouté pur et simple du demandeur. Celui-ci comparaît sans conseil.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend les éléments caractéristiques du contrat de travail, étant la prestation de travail, la rémunération et le pouvoir d’autorité, soulignant qu’il y a contrat lorsque les éléments précités sont réunis. Il n’y a pas contrat si l’un ou l’autre fait défaut.

Il rappelle que l’existence d’un contrat de travail est une question d’ordre public, étant l’exigence d’un travail exécuté contre rémunération dans le cadre d’un lien de subordination, cette règle déterminant l’ordre juridique de la société.

La question étant de savoir si un contrat a pu naître, le tribunal rappelle qu’une offre d’emploi exige essentiellement qu’une manifestation définitive de la volonté de l’une des parties soit acceptée par l’autre pour que le contrat prenne naissance, ce qui n’est pas le cas dans l’hypothèse de simples discussions, préliminaires ou propositions qui n’ont pas pour but la formation du contrat, mais qui visent uniquement à préparer ou faciliter celui-ci, ou encore à en examiner la possibilité. Il ne s’agit pas dans ce cas d’une offre d’emploi (renvoyant notamment à Cass., 1er février 1982, n° 79/28138).

Ainsi, il a été jugé que le passage d’épreuves ou de tests ne donne pas naissance au contrat de travail, même si ces épreuves se déroulent pendant plusieurs jours, lorsque le travail exécuté n’a aucune utilité pour l’employeur (le tribunal renvoyant notamment à C. trav. Bruxelles, 17 mars 1993, Chron. D. S., 1994, p. 261).

Pointant plus particulièrement un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 1er septembre 2008, R.G. 20.862), le tribunal admet que l’employeur peut, avant de procéder à l’engagement d’un travailleur, éprouver sa capacité en le soumettant à des examens ou à des épreuves, qui peuvent consister en un test pratique en entreprise. Sont susceptibles d’indiquer s’il y a contrat ou non des points tels que la finalité du test (la productivité devant demeurer aléatoire et ne pouvant constituer une activité rentable pour l’entreprise), l’absence de rémunération, la limitation de la durée des tests pratiques nécessaires à l’appréciation des capacités du candidat.

Il y a dès lors lieu de vérifier s’il y a eu une prestation de travail, une rémunération et l’existence d’un lien de subordination.

Aucune activité de prospection et de visite en clientèle n’a été effectuée, ce qui n’est pas contesté. Quant à l’objet de la formation, il s’agissait pour le demandeur de l’apprentissage des produits et des services de l’entreprise, des prix, de la manière de remplir les contrats, de « forcer les portes », etc. Pour la société, il s’agissait d’une formation intervenant dans le cadre d’un processus de sélection. Pour le tribunal, un « cycle de formation » de plusieurs jours s’inscrit difficilement dans un processus de sélection, s’agissant plus précisément de rendre les candidats directement opérationnels pour entamer une activité de visite et de prospection.

Aucune rémunération n’a cependant été convenue et le tribunal retient que l’échange de courriels en fait davantage état pour l’avenir que pour le présent. Il n’y a dès lors pas accord des parties sur le principe même du paiement d’une rémunération.

Quant au lien de subordination, le tribunal retient plutôt une démarche volontaire de la part des candidats, qui pouvaient abandonner la formation à n’importe quel moment, seuls deux d’entre eux étant encore présents à l’issue de celle-ci, par ailleurs.

Le contrat de travail n’est en conséquence pas retenu.

Le tribunal relève le manque de transparence de la société à l’égard des candidats, puisqu’est ainsi exigée une formation assez lourde et que l’attention des intéressés n’est pas attirée sur le fait que celle-ci ne s’inscrit pas dans le cadre d’un contrat de travail.

Le demandeur considérant qu’une telle formation ne pouvait pas être dispensée en-dehors d’un contrat de travail, ou encore qu’elle ne pouvait être organisée que dans le cadre d’un contrat de formation-insertion, et, enfin, qu’elle ne répond pas aux conditions du test préalable à l’embauche, le tribunal constate que rien n’interdit à une société de dispenser de telles formations en-dehors d’un contrat de travail ou d’un contrat de formation-insertion.

En ce qui concerne le test préalable à l’embauche, le tribunal rejette qu’il puisse s’agir du test prévu à l’article 16 de la C.C.T. n° 38 du 6 décembre 1983 concernant le recrutement et la sélection des travailleurs, qui dispose que, si la procédure de sélection comprend des travaux productifs au titre d’épreuve pratique, ceux-ci ne peuvent durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire pour tester les capacités du candidat. En effet, il n’y a pas en l’espèce eu de travaux productifs au titre d’épreuve pratique et il en aurait été autrement s’il avait été demandé à l’intéressé de se rendre sur le terrain et d’entamer un véritable travail de prospection au titre de test.

La demande est dès lors rejetée, dans toutes ses composantes, en ce compris pour ce qui est d’un remboursement de frais de déplacement (C.C.T. n° 38), qui vise précisément à indemniser des candidats pour les frais des épreuves et examens qui sont effectués dans le cadre d’une procédure de sélection (articles 3 et 17).

Intérêt de la décision

La C.C.T. n° 38 conclue au sein du C.N.T. concernant le recrutement et la sélection des travailleurs concerne les candidats au recrutement et à la sélection, à savoir les personnes physiques qui, à la suite d’une offre d’emploi, posent leur candidature en vue d’obtenir l’emploi visé dans l’offre.

Cette convention collective prévoit certaines obligations en matière d’information du candidat, celles-ci portant essentiellement sur l’emploi offert et concernant l’offre d’emploi elle-même. S’il n’est pas retenu, il doit également être informé par l’employeur dans un délai raisonnable et par écrit de la décision prise.

La C.C.T. est très vague en ce qui concerne d’abord la durée de la procédure de sélection (qui doit se dérouler « dans un délai raisonnable ») et, ensuite, sur le travail à l’essai (étant que, si la procédure de sélection comprend des travaux productifs au titre d’épreuve pratique, ceux-ci ne peuvent durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire pour tester les capacités du candidat). Sont également envisagés des frais de déplacement.

L’on notera qu’aucune infraction à la C.C.T. n° 38 ne peut être constatée en l’espèce, le « cycle de formation » n’ayant comporté ni travaux productifs destinés à tester les capacités du candidat ni épreuves pratiques.

Reste dès lors à vérifier si les composantes du contrat de travail sont présentes, le tribunal n’ayant pu que constater que tel n’était pas le cas, même s’il a brièvement envisagé que l’objet de la formation aurait pu être qualifié de « prestation de travail », s’agissant de la mise au courant du travailleur du contenu de la fonction.

Il n’en demeure pas moins que le procédé interpelle, d’autant que la longueur de la formation en elle-même ne s’inscrit pas dans un processus de sélection ou de recrutement d’un candidat mais a un contenu préparatoire à l’exécution des prestations de travail attendues.


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