Terralaboris asbl

Le Tribunal du travail est-il lié par l’autorité de la chose jugée au pénal sur l’existence d’un contrat de travail ?

Commentaire de Trib. trav. Mons, 23 octobre 2006, R.G. 15.256/05/M

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Mons, 23 octobre 2006, R.G. 15.256/05/M

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Les faits

M. M.G. a été occupé par une asbl, comme consultant salarié, du 3 mars au 3 octobre 1995, date à laquelle il a été licencié avec effet immédiat.

M. M.G. a assigné son ancien employeur en paiement d’un arriéré de rémunération (sous déduction de deux mois de salaire payés en avril et mai 1995), un pécule de vacances anticipé et d’une indemnité de rupture.

L’employeur a introduit une demande reconventionnelle, visant à entendre condamner l’employé à lui payer des dommages et intérêts pour procès téméraire et vexatoire et un indu correspondant en réalité à des paiements qui auraient été qualifiés à tort de salaire.

L’employeur (association en liquidation) a ensuite assigné en intervention forcée et garantie, M. G.H. qui, en sa qualité d’administrateur délégué, avait signé le contrat de travail litigieux avec l’employé.

L’ONSS est ensuite intervenu volontairement à la cause pour que le jugement à intervenir lui soit opposable (s’agissant d’une contestation sur la qualité de travailleur salarié de l’employé).

L’employeur en liquidation a encore, par l’intermédiaire de son liquidateur, déposé une plainte avec constitution de partie civile entre les mains d’un juge d’instruction non seulement contre l’employé mais également contre son propre administrateur délégué du chef de faux, usage de faux, escroquerie et tentative d’escroquerie.

Il leur est en effet reproché par l’employeur en liquidation d’avoir rédigé ou fait rédiger un faux contrat de travail entre l’employé et l’association en liquidation, représentée lors de la signature du contrat par l’administrateur délégué.

L’employeur reproche en effet à M. M.G. de s’être attribué une fausse qualité de travailleur salarié et d’avoir rédigé une fausse confirmation de fin de contrat, ceci pour lui permettre d’obtenir une rémunération et des avantages sans lien avec ses prestations de travail ainsi qu’une indemnité de préavis.

Vu la plainte déposée avec constitution de partie civile, le tribunal du travail a suspendu la procédure selon le principe « le criminel tient le civil en état ».

Le tribunal correctionnel de Mons a acquitté les prévenus de toutes les prétentions mises à leur charge et s’est dès lors déclaré incompétent pour connaître de la constitution de partie civile.

Sur appel des liquidateurs, la Cour d’appel de Mons s’est à nouveau déclarée sans compétence pour statuer sur l’action de la partie civile et a confirmé le jugement entrepris.

Le tribunal du travail de Mons a ensuite ordonné la poursuite de la procédure civile.

Les positions des parties

M. M.G. soutient que, vu le jugement d’acquittement, il ne peut plus être contesté qu’un contrat de travail a effectivement été conclu entre lui-même et l’association en liquidation représentée par son liquidateur.

Il s’agit en effet d’une vérité judiciaire qui s’impose au tribunal selon le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal.

Subsidiairement, M. M.G. relève toute une série d’indices probatoires qui confortent la réalité du contrat de travail.

Il précise encore que le contrat de travail est valable, l’employeur ayant été valablement engagé par la signature de l’administrateur délégué.

Il estime que durant la période litigieuse il a mis l’intégralité de son temps au service de l’objet social de l’employeur en liquidation et a reçu des instructions soit de l’administrateur, soit du conseil d’administration de l’employeur, lors des réunions auxquelles il assistait.

Il conteste toute volonté de faire déclarer le contrat de travail nul en raison de l’illégalité de sa cause pour le motif qu’avec la complicité de deux administrateurs, il se serait rendu coupable du détournement à leur profit de subsides obtenus par l’employeur.

L’administrateur mis à la cause partage la thèse soutenue par M. M.G..

L’ONSS demande au tribunal de reconnaître l’existence d’un contrat de travail entre M. M.G. et l’employeur en liquidation.

L’asbl en liquidation conteste tout d’abord que l’administrateur ayant signé le contrat de travail dispose d’une compétence pour engager seul et au nom de l’asbl les membres du personnel, dont M. M.G.

Elle maintient donc que le contrat de travail signé est un faux parce que l’administrateur a outrepassé ses pouvoirs mais également parce qu’on ne peut pas déterminer avec précision la période et la durée au cours de laquelle M. M.G. aurait été engagé.

Pour l’employeur, la simulation du contrat de travail a pour but de permettre à M. M.G. de percevoir un salaire non mérité après avoir mis fin à son assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs indépendants.

L’employeur considère que les prestations de M. M.G. sont fictives, les relevés de prestations rentrés par le secrétariat social ne correspondant pas à la réalité.

La décision du tribunal

Se prononçant tout d’abord sur la demande principale, le tribunal examine préalablement la portée exacte de l’arrêt définitif coulé en force de chose jugée de la Cour d’appel de Mons.

Rappelant la doctrine et les arrêts de la Cour de cassation, le tribunal du travail considère tout d’abord que l’autorité de la chose jugée au pénal est en principe absolue et s’attache donc tant au dispositif de la décision qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire.

Le tribunal en déduit que les faits relevés par la Cour d’appel de Mons ne peuvent plus être contestés par une partie ou par des tiers au cours d’une contestation civile ultérieure.

En effet, le juge pénal est saisi de faits et non de leur qualification, en sorte que l’autorité de la décision d’acquittement couvre toutes les qualifications - qu’elles soient explicites ou non.

Bien que la Cour d’appel de Mons ne devait pas se prononcer sur la validité du contrat de travail et sur ses conséquences au regard de la législation sociale, elle l’a fait, ayant conclu à l’absence des éléments constitutifs des infractions de faux, usage de faux, escroquerie et tentative d’escroquerie :

(1) Elle a tout d’abord rappelé les conditions essentielles pour la validité d’une convention selon l’article 1108 du code civil :

  • le consentement de la partie qui s’oblige
  • sa capacité de contracter
  • un objet certain qui forme la matière de l’engagement
  • une cause licite dans l’obligation

(2) Elle a également précisé que les parties au contrat litigieux ont accepté toutes deux librement et sans contrainte de signer le contrat de travail du 3 mars 1995, s’agissant d’un contrat conclu pour une durée déterminée mais néanmoins qualifié par les parties de contrat à durée indéterminée, faute d’en avoir respecté le terme convenu (4 septembre 1995).

(3) Elle a ensuite reconnu qu’il n’est pas démontré que l’administrateur n’avait pas le pouvoir d’engager du personnel et a donc admis que l’administrateur incriminé avait bien la capacité d’engager l’employeur en signant en son nom et pour son compte le contrat litigieux.

(4) Elle a aussi rappelé que le contrat de travail avait bien pour objet essentiel la fourniture d’une prestation de travail déterminable et le paiement d’une rémunération également déterminable, la prestation de travail n’étant pas contraire à la loi, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

(5) Elle va également souligner le caractère incontestable des prestations effectuées par l’employé, celles-ci étant attestées par des procès-verbaux figurant au dossier.

Ce sont ces considérations et constatations qui ont conduit la cour d’appel à conclure que la fausseté du contrat de travail du 3 mai 1995 n’est pas rapportée et que la fausseté de la confirmation de fin de contrat n’est pas davantage démontrée, en sorte qu’à défaut de faux et donc d’usage de faux, l’escroquerie et la tentative d’escroquerie ne sont pas non plus établies.

Le tribunal du travail de Mons considère qu’il est tenu juridiquement de faire siennes les conclusions de la cour d’appel de Mons et donc de reconnaître la validité du contrat litigieux signé le 3 mars 1995. A partir du moment où il doit être tenu pour vérité judiciaire que M. M.G. est lié par un contrat de travail dûment formé avec son employeur actuellement en liquidation, il est en droit de solliciter la condamnation dudit employeur à lui verser les rémunérations ordinaires dues, le pécule de vacances anticipé et l’indemnité de rupture, le tout majoré des intérêts moratoires au taux légal ainsi que les intérêts judiciaires.

Le tribunal rejette ensuite la demande reconventionnelle introduite par l’employeur et considère qu’il n’y plus lieu de rencontrer la demande en intervention et garantie dirigée contre l’administrateur, celui-ci ayant régulièrement agi dans les limites de son mandat pour signer le contrat litigieux.

Enfin, le tribunal considère la requête en intervention volontaire de l’ONSS fondée, le jugement admettant la validité du contrat de travail devant lui être déclaré opposable.

L’intérêt de la décision

La Cour de cassation décide de manière constante qu’en vertu du principe général du droit de l’autorité « erga omnes » de la chose jugée au pénal, la décision du juge pénal acquiert l’autorité de la chose jugée à l’égard du juge civil tant en ce qui concerne les faits que, dans les limites de la mission légale, le juge pénal a déclaré certainement et nécessairement établis à charge du prévenu qu’en ce qui concerne les motifs fondant nécessairement la décision (voyez notamment Cass, 24 janvier 1997,Pas. I., 1997,p.105).

Ce n’est donc pas parce que le juge répressif a pour mission de déterminer l’existence ou non des éléments constitutifs de faits infractionnels (faux, usage de faux, escroquerie et tentative d’escroquerie) que le juge civil ne doit pas vérifier si, pour déterminer l’existence ou non des éléments constitutifs des faits infractionnels, le juge répressif ne s’est pas prononcé en l’espèce sur la validité du contrat de travail litigieux.

Si tel est le cas, ce que le juge répressif a constaté et décidé dans le cadre de sa mission ne peut plus être ultérieurement remis en cause.

Le tribunal du travail de Mons considère que ceci vaut tant pour les parties que pour des tiers.

Il convient toutefois de rappeler que, vis-à-vis des tiers, le droit de chacun à un procès équitable, garanti par l’article 6, §1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales commande que l’autorité de la chose jugée en matière répressive n’est opposable aux tiers qui ne sont pas parties au procès pénal que sous réserve de la preuve contraire des éléments de fait apportés à la cause (Cass., 15/02/1991, Pas., I., n° 322 ; Cass., 06/05/1991, J.L.M.B. 1992, p. 1127 ; Cass. 14/04/1994, JLMB 1994, p. 1132 et B. CEULEMANS, « Vers la suppression du caractère absolu de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le procès civil ultérieur », obs. sous Cass. 02/11/2001, J.L.M.B. 2002, p.683).


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