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Transfert d’entreprise : pouvoir du juge des référés

Commentaire de C. trav. Bruxelles (réf.), 3 février 2022, R.G. 2021/CB/4

Mis en ligne le mardi 13 septembre 2022


Cour du travail de Bruxelles (réf.), 3 février 2022, R.G. 2021/CB/4

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 février 2022, la Cour du travail de Bruxelles confirme une ordonnance de la Présidente du Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui impose, dans le cadre d’un licenciement collectif, de donner aux représentants du personnel des informations précises relatives à un projet de transfert conventionnel d’entreprise entraînant un licenciement collectif.

Les faits

Une société exploitant un hôtel haut de gamme à Bruxelles informe, en juin 2021, son conseil d’entreprise d’un projet de licenciement collectif, motivé par des pertes d’exploitation significatives dues à la crise sanitaire. Elle envisage de recourir à une société externe pour certaines activités (nettoyage et plonge) et d’implanter un restaurant gastronomique géré par un tiers. Le projet implique le licenciement de près de la moitié du personnel.

Une organisation syndicale conteste le projet, qu’elle considère en infraction avec la réglementation en matière de transferts conventionnels d’entreprise. La société conteste celui-ci. La procédure de consultation démarre avec les représentants du personnel.

Une citation est, parallèlement, lancée en référé, une procédure au fond étant également introduite, contestant le non-respect de la C.C.T. n° 32bis. Il est également demandé d’interdire à la société de poursuivre la procédure sans intégrer les obligations incombant au cédant et au cessionnaire, en application des règles en matière de transfert.

Parallèlement à la procédure, les réunions se poursuivent au sein du conseil d’entreprise.

L’ordonnance de référé est prononcée le 3 décembre 2021.

Objet de la demande devant la présidente du tribunal

La demande introduite (par deux organisations syndicales et quatre travailleurs) a pour objet de solliciter l’interdiction de clôturer la phase I de la procédure de licenciement collectif sans donner des explications sur des points listés (identité des exploitants et/ou candidats-exploitants futurs des activités visées, date de début de celles-ci, présentation des conséquences juridiques, économiques et sociales du transfert et/ou de la sous-traitance, incidence sur les emplois, etc.). Les demandeurs sollicitent également qu’avant que la phase I ne soit clôturée, il soit dit pour droit que la société doit procéder en temps utile à des consultations sur ces mesures en vue d’aboutir à un accord.

Par ordonnance du 3 décembre 2021, il est fait droit à la demande, la société devant procéder en temps utile à des consultations avec les représentants des travailleurs sur les mesures visées. Un calendrier est arrêté en ce qui concerne les opérations d’information et de consultation. Des astreintes sont prononcées.

La société interjette appel, contestant l’intérêt légitime à l’action dans le chef des demandeurs originaires. Elle demande en outre qu’il soit dit pour droit que les conditions du référé (étant l’urgence et le provisoire) ne sont pas remplies.

Elle développe une thèse subsidiaire, dans laquelle elle estime avoir déjà fourni les informations demandées, plaidant également que, prima facie, il n’y a pas de transfert d’entreprise et qu’en tout état de cause, il n’y a pas lieu d’interdire la poursuite de la procédure de licenciement collectif dans l’attente de la décision du juge du fond.

Un appel incident est interjeté en ce qui concerne la date de fin de l’applicabilité de la mesure, étant sollicité que l’ordonnance reste en vigueur tant que le tribunal n’aura pas prononcé son jugement définitif.

La décision de la cour

La cour examine la recevabilité des demandes originaires, à laquelle elle conclut (hors un travailleur). Il s’agit de l’intérêt à agir, qui est admis, conformément à l’article 17 du Code judiciaire, l’intérêt étant jugé né et actuel au sens de l’article 18, alinéa 1er, du même Code. Par ailleurs, il est légitime, s’agissant de la mise en œuvre effective des obligations d’information et de consultation de l’employeur au cours de la phase I de la procédure de licenciement collectif. Elle retient que les demandes d’information au sein du conseil d’entreprise n’ont pas été satisfaites par la société au motif qu’aucun transfert de personnel n’était envisagé.

Elle conclut également que la condition d’urgence est remplie, relevant qu’au moment de la citation en référé, les demandeurs originaires n’avaient reçu que très peu d’informations, l’identité des prestataires n’étant pas connue, non plus que les conditions dans lesquelles ils fourniraient leurs prestations. Elle rappelle que les questions d’information et de consultation des représentants des travailleurs préalablement à un licenciement collectif sont imposées par des dispositions d’ordre public et que l’intervention effective du juge doit être rendue possible lorsque des mesures destinées à garantir ces droits sont demandées.

Elle en vient ainsi à l’examen des mesures demandées et sollicitées et va confirmer celles-ci. Faisant un bref rappel des principes en matière de procédure préalable au licenciement collectif ainsi que de transfert conventionnel d’entreprise, elle retient qu’au moment de la citation en référé, la phase I était en cours depuis près de quatre mois et que certaines informations n’avaient pas été communiquées, étant notamment l’identité des « partenaires externes » à qui la société projetait de confier les activités en cause. Par ailleurs, les représentants du personnel n’avaient pas reçu d’informations (ou très peu) au sujet de questions importantes, à savoir le transfert ou non d’éléments corporels, la valeur des éléments incorporels, le transfert ou non de la clientèle, le degré de similarité des activités, etc.

La cour rappelle que ce sont ces constatations de fait qui vont permettre de décider s’il y a transfert d’entreprise ou non au sens de la C.C.T. n° 32bis et que les représentants du personnel étaient de ce fait dans l’impossibilité d’évaluer sérieusement l’existence de celui-ci.

Elle reprend encore les obligations de l’employeur dans le cadre de la C.C.T. n° 24 et de la loi « Renault », étant que celui-ci doit permettre aux représentants non seulement de poser des questions, mais également de formuler des arguments et de faire des contre-propositions. Ceci suppose qu’ils soient en mesure d’évaluer dans quel contexte juridique s’inscrit l’opération envisagée.

La cour conclut que les informations communiquées avant la date de la citation étaient à première vue insuffisantes et que c’est à juste titre que les mesures ont été ordonnées par la présidente du tribunal afin de rendre effective la consultation des représentants du travailleur.

Répondant à un dernier argument de la société, elle considère que les mesures sont appropriées et proportionnées à l’objectif et qu’elles restent nécessaires. Elles ne portent pas une atteinte excessive à la liberté de la société de diriger son entreprise, mais concilient avec justesse celle-ci avec les droits apparents des représentants du personnel. Elle confirme la date du 30 avril 2022.

Enfin, elle aborde brièvement la question du provisoire, constatant que cette condition est respectée dans l’ordonnance.

Intérêt de la décision

La cour confirme dans cet arrêt le pouvoir d’injonction du juge des référés en la matière. Après avoir constaté l’intérêt à agir, né et actuel, ainsi que légitime, et avoir examiné également la question de l’urgence, elle affirme le rôle du juge dans le cadre d’une procédure de transfert conventionnel, liée en l’espèce à un projet de licenciement collectif.

Sur cette jurisprudence, l’on peut renvoyer à un arrêt précédent du 7 décembre 2017 (C. trav. Bruxelles (réf.), 7 décembre 2017, R.G. 2017/CB/12 – précédemment commenté). La cour y avait jugé qu’en cas de transfert d’entreprise, dès lors que les obligations d’information préalable ainsi que de consultation sont manifestement violées, le juge des référés peut, en vertu de son pouvoir d’injonction, ordonner que celles-ci soient respectées, les informations devant notamment porter sur le motif du transfert (y compris les facteurs économiques, financiers ou techniques le justifiant), l’évolution récente et les perspectives relatives à la situation économique de l’entreprise, le budget d’investissement, le budget d’exploitation, les modes de financement de celle-ci, ainsi que les prévisions d’emploi et d’organisation du travail.

Le juge dispose en effet d’un pouvoir d’injonction, lui permettant de contrôler le respect des obligations d’information et de consultation. Relevons que, dans cet arrêt, un calendrier judiciaire contraignant avait été arrêté, la cour ayant ordonné une réouverture des débats à l’issue des étapes qu’elle avait imposées.


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