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Accident du travail d’un travailleur du secteur public : rôle du MEDEX dans le cadre de l’arrêté royal du 13 juillet 1970

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 22 mars 2022, R.G. 2019/AL/338

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 22 mars 2022, R.G. 2019/AL/338

Terra Laboris

Si les compétences du MEDEX ont été élargies par l’arrêté royal du 8 mai 2014, l’article 8 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 ne prévoit, pour la Cour du travail de Liège (division Liège), statuant dans un arrêt du 22 mars 2022, de décision contraignante vis-à-vis des juridictions du travail qu’en matière de pourcentage d’incapacité permanente.

Les faits

Un travailleur du secteur public a été victime d’un accident du travail le 29 janvier 2015 (chute). Après une courte période d’incapacité temporaire (une semaine), les lésions ont été consolidées sans incapacité permanente. Après une reprise de travail pendant quelques jours, l’intéressé est parti aux sports d’hiver. A son retour, il a consulté son médecin-traitant, qui l’a placé en arrêt de travail pour un mois. L’assureur de son employeur (secteur public) a refusé la prise en charge, au motif d’absence de « rechute ». Il en fut de même pour les incapacités ultérieures, et ce au motif que la localisation des lésions était distincte de celle reprise sur le certificat de premier constat.

Une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), qui désigna un expert. Celui-ci conclut, dans son rapport d’expertise, à la consolidation après une dizaine de jours suite à l’accident, ainsi qu’à l’absence d’incapacité permanente.

Ce rapport fut entériné par jugement du tribunal du 8 mai 2019.

Appel fut interjeté par le demandeur originaire, qui demanda l’écartement du rapport d’expertise, au motif qu’il comportait des erreurs/imprécisions, que l’expert s’était borné à reproduire la position du médecin-conseil de l’employeur et qu’il n’aurait pas concrètement répondu à ses arguments, n’ayant in fine réservé aucune suite à un courrier adressé par le médecin de recours.

Les arrêts de la cour du travail

L’arrêt du 30 juillet 2020

La cour a rendu un premier arrêt le 30 juillet 2020, ordonnant une réouverture des débats aux fins de pouvoir prendre connaissance de courriers notifiant à l’intéressé diverses décisions (reconnaissance et, ensuite, refus de prise en charge).

Elle constate que, en outre, figure au dossier un courrier du MEDEX, daté du 2 octobre 2015, retenant des absences (ultérieures à celles admises par l’expert judiciaire) comme en lien avec l’accident. Un deuxième courrier fut également envoyé l’année suivante, admettant encore d’autres périodes ultérieures, considérant ainsi comme étant à charge de l’accident du 30 janvier 2015 une incapacité temporaire allant jusqu’au 4 mars 2016 (hors une brève période de reprise après l’accident).

La cour souligne l’article 8 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 (applicable à l’espèce), tel qu’adapté par l’arrêté royal du 8 mai 2014, disposition relative au rôle du service médical. Elle reprend la triple mission qui lui est confiée, étant (i) de vérifier le lien de causalité entre l’accident du travail et les lésions, (ii) d’établir le lien de causalité entre l’accident du travail et les périodes d’incapacité de travail et (iii) de fixer la date de consolidation, le pourcentage d’incapacité permanente et le pourcentage de l’aide de tiers.

La cour s’interroge ensuite sur le rôle du MEDEX dans le contexte de l’accident, étant de savoir s’il est intervenu en qualité de service médical au sens de l’arrêté royal du 13 juillet 1970. Elle pose dès lors diverses questions si l’on se trouve dans l’affirmative ou non, notamment quant à la valeur des constatations reprises dans les courriers envoyés à l’intéressé ainsi que la procédure exactement suivie.

L’arrêt du 22 mars 2022

La cour y reprend sommairement la position des parties dans le cadre de la réouverture des débats. Le texte applicable est effectivement l’arrêté royal du 13 juillet 1970. Les parties sont cependant en désaccord quant à la portée des articles 8 et 9 actuels (soit tels que modifiés par l’arrêté royal du 8 mai 2014).

Si, dans le cadre du régime antérieur, la Cour de cassation a considéré à diverses reprises que la décision du MEDEX n’était contraignante qu’en ce qui concerne le pourcentage de l’incapacité permanente (mais non pour la date de consolidation, la période d’incapacité temporaire totale et le lien causal entre l’accident et les lésions), la question se pose de la portée du texte actuel.

Pour le demandeur originaire, le MEDEX est également chargé – entre autres – d’établir le lien de causalité entre l’accident et les périodes d’incapacité de travail. Il y a lieu de considérer que sa décision s’impose également à l’employeur ainsi qu’aux juridictions du travail, l’employeur soulignant pour sa part l’absence de jurisprudence sur la question et concluant qu’il y a toujours lieu de retenir que la décision du MEDEX quant aux périodes et au taux d’I.T.T. ne lie ni les parties ni le juge.

C’est le nœud du litige et la cour entreprend dès lors le rappel des principes sur la question.

Après avoir confirmé l’applicabilité de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, et donc le fait que, dans le cadre de l’accident du travail, le MEDEX est intervenu en qualité de « service médical », elle rappelle le texte des articles 8 et 9 avant leur modification en 2014, ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation à l’époque. Pour ce qui est du texte actuel, qui figure également dans l’arrêt, la cour précise qu’à sa connaissance, la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ces dispositions et sur les éventuelles nouvelles interprétations susceptibles d’en découler quant au caractère contraignant (ou non) des décisions du service médical.

Tout en constatant que la doctrine est rare, la cour reprend deux contributions parues en 2015 dans le même ouvrage (F. LAMBRECHT, « La déclaration, la procédure administrative et la procédure en révision », Les accidents du travail dans le secteur public, 2015, Limal, Anthémis, p. 130 et S. REMOUCHAMPS, « Le rôle du MEDEX », Les accidents du travail dans le secteur public, 2015, Limal, Anthémis, p. 271).

Le dernier de ces auteurs considère que le raisonnement développé par la Cour de cassation dans son arrêt de principe du 7 février 2000 s’applique désormais à l’ensemble des aspects médicaux déférés au service. Si, par le passé, la Cour suprême a pu estimer que les aspects médicaux déférés au service médical étaient limités à l’incapacité permanente, la nouvelle formulation de l’article 8 ne prête plus à discussion. Le service médical est chargé de se prononcer sur les lésions qui donnent lieu à la réparation, l’imputabilité de l’incapacité permanente, la date de consolidation, le pourcentage de l’incapacité permanente et celui de l’aide de tiers. Sur l’ensemble de ces aspects, sa décision est contraignante.

Pour le premier de ces auteurs, la conclusion est identique, le texte prévoyant que le service médical notifie non plus son ‘appréciation’ mai ses ‘décisions’ à l’autorité, celui-ci considérant que la nouvelle formulation clôt la discussion : l’article 8 dispose expressément que l’ensemble des constatations du service médical constituent des ‘décisions’.

La cour précise qu’à son estime, l’arrêté royal du 8 mai 2014 constitue une « occasion manquée » pour le législateur de clarifier la force contraignante des diverses appréciations médicales du MEDEX.

Elle examine ensuite l’article 9 tel que modifié. Celui-ci dispose que le service médical notifie à l’autorité sa décision, qui consiste soit en l’attribution d’un pourcentage d’incapacité permanente, soit en une guérison sans incapacité permanente. Lorsque l’accident entraîne un pourcentage d’incapacité permanente, l’autorité vérifie si les conditions d’octroi des indemnités sont réunies. Elle examine les éléments du dommage subi, apprécie s’il y a lieu d’augmenter le pourcentage d’incapacité permanente fixé par le service médical et propose à la victime ou à ses ayants-droit le paiement d’une rente.

Pour la cour, seule est visée dans la disposition l’incapacité permanente (dont le pourcentage fixé par le MEDEX ne peut qu’être augmenté par l’employeur public). Si le MEDEX peut actuellement prendre des décisions dans d’autres aspects médicaux (lien de causalité entre l’accident et les lésions, entre l’accident et les périodes d’incapacité de travail, ainsi que date de consolidation et pourcentage de l’aide de tiers), il n’y a de décision contraignante qu’en matière de pourcentage d’incapacité permanente. L’appréciation du MEDEX ne lie pas le juge en ce qui concerne les périodes d’incapacité temporaire, d’autant que – comme le souligne l’arrêt – il a visé des absences ‘mises en rapport médical causal avec l’accident du travail’.

En conclusion, la cour ne se sent pas liée par le caractère contraignant de ces périodes. Elle examine dès lors le rapport d’expertise, dont elle admet les conclusions.

L’appel est en conséquence rejeté.

Intérêt de la décision

Ainsi qu’elle le met en exergue dans son arrêt, la Cour du travail de Liège a constaté l’absence de jurisprudence au niveau de la Cour de cassation sur la question visée. La jurisprudence existante concerne le texte avant sa modification de 2014. Rappelons qu’il s’agit essentiellement de trois décisions.

Dans son arrêt du 7 février 2000 (Cass., 7 février 2000, n° S.99.0122.N), la Cour a jugé que l’autorité ne peut qu’augmenter le pourcentage fixé par le service médical (et non le réduire) et qu’en conséquence, le juge saisi du litige ne peut accorder un pourcentage inférieur à celui qui a été reconnu par ce service.

Dans un arrêt plus récent (Cass., 7 mars 2016, n° S.15.0053.N –précédemment commenté), elle a statué (toujours dans le cadre de l’ancien texte) sur la date de consolidation, dont la fixation ne rentrait pas avant la modification de 2014 dans le champ de compétence du service médical.

Enfin, le 11 mai 2020 (Cass., 11 mai 2020, S.19.0045.N), statuant toujours dans le cadre de l’ancien texte et à propos du taux de l’incapacité permanente, elle a confirmé ses arrêts antérieurs.

Actuellement, les compétences du service médical sont élargies, comme on le sait. La Cour du travail de Liège a donné sa position quant à la portée du texte actuel. Cette position n’est cependant pas unanime.

Dans un jugement du 8 février 2022 (Trib. trav. Hainaut, div. Charleroi, 8 février 2022, R.G. 21/1.004/A), le Tribunal du travail du Hainaut a jugé que la décision du service médical MEDEX est contraignante vis-à-vis de l’employeur sur l’ensemble des aspects sur lesquels ce service est chargé de se prononcer, à savoir : les lésions qui donnent lieu à la réparation, l’imputabilité de l’incapacité temporaire, la date de consolidation, le pourcentage de l’incapacité permanente et celui de l’aide de tiers (renvoyant notamment à la doctrine de S. REMOUCHAMPS et à diverses décisions). En cas de désaccord de la victime, le jugement poursuit que celle-ci doit saisir les juridictions du travail, qui fixeront l’étendue de ses droits, sans pouvoir revenir sur le minimum que constituent les propositions de MEDEX.

Parmi les décisions auxquelles ce jugement renvoie figurent plusieurs arrêts de la Cour du travail de Mons (dont C. trav. Mons, 5 novembre 2019, R.G. 2018/AM/295 et C. trav. Mons, 15 janvier, R.G. 2018/AM/54 - inédits). Il cite encore une autre décision de la même cour (C. trav. Mons, 12 février 2019, R.G. 2017/AM/195 – statuant sur le pourcentage), dont il reprend un large extrait, soulignant que ‘la mission légale du MEDEX est essentiellement celle d’un expert médical chargé non pas de délivrer des avis en vue de conseiller l’employeur public, mais de statuer sur les aspects médicaux en des décisions qui lient celui-ci’.


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