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Rupture pour force majeure et respect du plan de réintégration

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 11 janvier 2022, R.G. 19/824/A

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2022


Tribunal du travail de Liège (division Namur), 11 janvier 2022, R.G. 19/824/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 11 janvier 2022, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) rappelle les diverses étapes de la procédure de réintégration régie par l’article I.4-74 du Code du bien-être au travail, ainsi que la sanction en cas de non-respect.

Les faits

Une société active dans le secteur de la construction et de l’ingénierie civile occupait un travailleur depuis le 1er septembre 2011, en qualité de conducteur d’installations. La médecine du travail fut amenée à établir un formulaire d’évaluation le 16 mai 2018, dans le cadre de son incapacité de travail. Elle concluait à la possibilité d’une reprise du travail avec des restrictions (pas de port de charges lourdes ou répété, pas de travail en hauteur ni de conduite de véhicule ou d’engin lourd).

Sont alors envisagées les possibilités de réintégration et, dans un formulaire d’évaluation de réintégration, la médecine du travail constate, le 13 juillet 2018, une inaptitude définitive à la reprise du travail convenu et la possibilité d’un travail adapté ou un autre travail avec des recommandations (en gros, celles-ci-dessus).

Aucun recours n’a été introduit par l’intéressé contre cette décision.

L’employeur constate ensuite, le 5 octobre 2018, la rupture du contrat pour force majeure médicale. Pour lui, aucune réintégration n’est possible. Le travailleur considère de son côté que tel n’est pas le cas et il conteste la rupture pour force majeure.

Une procédure a alors été initiée devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur), demandant paiement d’une indemnité de rupture (35 jours + 15 semaines), à majorer des intérêts et des dépens.

Les jugements du tribunal du travail

Le jugement du 8 juin 2021

Le tribunal a rendu un premier jugement le 8 juin 2021, ordonnant une réouverture des débats. Il a en effet constaté qu’aucune des parties ne s’était prononcée sur le respect de la procédure ayant mené au constat de force majeure.

Deux questions étaient posées, à savoir d’abord si celle-ci avait été respectée et ensuite, si elle ne l’avait pas été, quelles étaient les conséquences de ce non-respect.

Le jugement du 11 janvier 2022

Le tribunal statue, dans ce jugement, sur le fond du litige.

Il rappelle les dispositions applicables. L’article 34 de la loi du 3 juillet 1978 vise l’hypothèse de la rupture pour force majeure en cas d’incapacité de travail qui empêche définitivement le travailleur d’effectuer le travail convenu. Cette force majeure peut être invoquée uniquement au terme du trajet de réintégration du travailleur, l’inaptitude définitive devant être établie conformément à la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail.

Actuellement, c’est le Code du bien-être au travail qui prévoit cette procédure, en son article I.4-74, étant notamment que l’employeur doit établir un plan de réintégration en concertation avec le travailleur, le conseiller en prévention-médecin du travail et, le cas échéant, d’autres personnes pouvant contribuer à la réussite de la réintégration. Des précisions sont apportées par le texte pour l’établissement de ce plan de réintégration. Le Code prévoit que, si, après cette concertation, l’employeur n’établit pas de plan parce qu’il estime que cela est techniquement ou objectivement impossible ou que cela ne peut être exigé par des motifs dûment justifiés, il doit rédiger un rapport justifiant sa position. Celui-ci doit être remis au travailleur et au conseiller en prévention-médecin du travail dans des délais déterminés (identiques à ceux de l’établissement du plan de réintégration). Le rapport doit également être tenu à disposition des fonctionnaires chargés de la surveillance.

Le tribunal constate en l’espèce que la phase de concertation a été menée uniquement avec le conseiller en prévention, le travailleur étant écarté.

A l’employeur, qui plaide que la concertation n’avait pas lieu d’être vu que la réintégration était techniquement ou objectivement impossible, le tribunal rappelle les phases de la procédure, étant que l’impossibilité de réintégration ne peut être constatée qu’au terme (le tribunal souligne) de la procédure de concertation. Le constat d’impossibilité de réintégration ne dispense pas l’employeur du respect de cette procédure.

Le tribunal précise encore que concertation ne signifie pas accord, l’objectif du législateur étant d’associer le travailleur au processus. Si le travailleur venait à poser son veto à sa réintégration, rendant son reclassement impossible, l’employeur pourrait, dans une telle hypothèse, constater un cas de force majeure dans son chef.

La procédure n’ayant pas été respectée, alors qu’il s’agit d’un préalable obligatoire, se pose la question des conséquences à donner de son non-respect. Reprenant encore les dispositions ci-dessus, le tribunal conclut que le Code du bien-être, en organisant le trajet de réintégration, suppose que la procédure mise en place ait été respectée et la loi du 3 juillet 1978 autorisant alors, à l’issue de ce trajet, la rupture pour force majeure.

L’employeur plaidant que, la sanction du non-respect de la procédure étant la nullité du constat de la force majeure, soit l’absence de rupture du contrat, le jugement précise encore que, après avoir irrégulièrement constaté la force majeure, elle a alors remis au travailleur son C4 et a clôturé la Dimona, ce qui implique une manifestation claire de son souhait définitif de rupture.

Il ne peut dès lors être conclu à la nullité du constat de force majeure et à la possibilité de régulariser la situation par le biais d’une nouvelle procédure de concertation.

Il est renvoyé à la doctrine de A. MORTIER (A. MORTIER, « Vers une (ré)activation des personnes en incapacité de travail ? », in J. CLESSE et H. MORMONT (dir.), Actualités et innovations en droit social, Anthémis, 2018, p. 165), qui rappelle les travaux préparatoires, selon lesquels ce n’est qu’après le respect de la procédure de l’arrêté royal du 28 mai 2003 que l’employeur peut se prévaloir de la force majeure, cette possibilité étant subordonnée à deux conditions cumulatives, à savoir (i) l’existence d’une incapacité définitive de travail constitutive de force majeure et (ii) l’aboutissement du trajet de réintégration. Pour cette doctrine, si l’une de ces conditions n’est pas respectée, il y a ouverture du droit au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.

Le tribunal alloue donc celle-ci, conformément aux principes dégagés ci-dessus.

Intérêt de la décision

La chronologie des mesures à prendre lorsque la rupture du contrat de travail pour inaptitude physique définitive est envisagée est clairement rappelée dans ce bref jugement du Tribunal du travail de Liège (division Namur). Il y a lieu, dans un premier temps, pour l’employeur de se conformer à l’article I.4-74 du Code du bien-être au travail du 28 avril 2017, la première phase étant l’obligation d’établir un plan de réintégration, dont les conditions sont précisées, s’agissant notamment d’associer le travailleur à celui-ci.

Ce n’est qu’après que la procédure de concertation telle qu’organisée par le Code est terminée que l’employeur peut ne pas établir de plan de réintégration lorsqu’il estime que cela est techniquement ou objectivement impossible ou que cela ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés. Ceci doit être motivé dans un rapport.

Dans un jugement du 26 mars 2020 (Trib. trav. Gand, div. Gand, 26 mars 2020, R.G. 19/358/A), le Tribunal du travail de Gand a jugé en conséquence qu’il découle de cette disposition qu’avant que l’employeur n’invoque l’impossibilité technique ou objective d’établir le plan de réintégration, l’entretien tel que prévu à l’article I.4-74, § 1er, doit avoir eu lieu, en présence de l’employeur, du conseiller en prévention-médecin du travail et, le cas échéant, d’autres personnes qui peuvent contribuer à la réussite de la réintégration. Il appartient à l’employeur d’établir que cette concertation a eu lieu. La force majeure médicale ne peut être invoquée que lorsque la totalité du trajet de réintégration est terminée.

Dans un arrêt du 28 octobre 2020 (C. trav. Mons, 28 octobre 2020, R.G. 2019/AM/311), la Cour du travail de Mons s’est prononcée quant à elle sur l’impossibilité technique ou objective visée par la loi pour l’employeur de soumettre un plan de réintégration. Elle a considéré que l’article I.4-74, § 4, du Code du Bien-être, qui régit le cas du refus de l’employeur de soumettre un plan de réintégration, signifie que celui-ci n’établit pas le plan parce qu’il estime que cela est techniquement ou objectivement impossible, ou que cela ne peut être exigé pour des motifs dûment justifiés. Quant au contrôle de la preuve de l’impossibilité (technique ou objective) ou de motifs justifiés, il ne s’agit pas de vérifier si une justification peut être présentée ex post dans le cadre du débat judiciaire, mais si une recherche effective, substantielle et appropriée a bien été menée in tempore et qu’elle a abouti à un constat rationnel d’impossibilité. L’impossibilité alléguée doit donc être effectivement démontrée, être cohérente au regard de l’ensemble des éléments du dossier et du contexte et, enfin, ressortir d’une recherche (substantielle et sérieuse) menée effectivement au moment des faits.

Relevons encore que ni le Code du bien-être ni le Code pénal social ne prévoient de sanction à l’égard de l’employeur qui n’a pas remis le plan de réintégration dans le délai prévu par l’article I.4-74, § 3, du Code du bien-être au travail. Si la demande est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, il appartient à l’intéressé d’établir le dommage et le lien de causalité avec la faute (Trib. trav. Liège, div. Verviers, 3 février 2021, R.G. 20/78/A – précédemment commenté).


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