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Licenciement pour nécessités de fonctionnement de l’entreprise et abus de droit

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 24 janvier 2022, R.G. 20/680/A

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2022


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 24 janvier 2022, R.G. 20/680/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 24 janvier 2022, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) accueille une demande de réparation d’un abus de droit suite à un licenciement invoqué dans un contexte de difficultés économiques. Pour le tribunal, le fait de choisir de licencier un membre du personnel qui ne travaille qu’à mi-temps alors que ce licenciement lui occasionne un préjudice important est constitutif d’une faute, qu’il y a lieu de réparer.

Les faits

Une organisation syndicale, active dans la région du Borinage, a licencié une employée le 5 septembre 2019, avec paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Celle-ci a demandé à connaître les motifs du licenciement, conformément à la procédure prévue par la C.C.T. n° 109.

Aucune suite n’a été réservée à sa demande dans le délai légal.

L’intéressée a dès lors contacté l’employeur via un avocat et celui-ci a mis l’organisation syndicale en demeure, contestant le motif du licenciement et réclamant par ailleurs l’amende civile due vu l’absence de réponse.

Aucune suite n’a de nouveau été réservée et la procédure a été introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons).

Le jugement du tribunal

Le tribunal, saisi de plusieurs chefs de demande, examine en premier lieu la question de l’amende civile et y fait droit, précisant que la communication du C4, sur lequel figure le « motif précis du chômage » ne répond pas au prescrit de l’article 6 de la C.C.T. n° 109 et ne permet dès lors pas de considérer que l’employeur a communiqué d’initiative les motifs du licenciement. Outre que le certificat C4 de chômage est destiné à l’ONEm, le tribunal relève que le motif du chômage repris sur celui-ci est « restructuration dans le cadre d’une reconnaissance comme entreprise en difficulté », motif imprécis, impersonnel et non contextualisé.

Le tribunal aborde ensuite une demande de dommages et intérêts pour licenciement fondé sur des motifs de discrimination au sens de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. Il reprend la Directive européenne du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, sa transposition en droit belge et l’enseignement de la Cour constitutionnelle, en son arrêt du 12 février 2009 (C. const., 12 février 2009, n° 17/2.009). La haute cour y a précisé que la victime d’une discrimination doit démontrer que le défendeur a commis des actes ou a donné des instructions qui pourraient, de prime abord, être discriminatoires et que les faits avancés doivent être suffisamment graves et pertinents. Il ne suffit pas qu’une personne prouve qu’elle a fait l’objet d’un traitement qui lui est défavorable, encore doit-elle prouver les faits qui semblent indiquer que ce traitement défavorable a été dicté par des motifs illicites.

Le tribunal relève également que, pour la Cour constitutionnelle, les faits allégués par la personne qui s’estime victime d’une discrimination ne bénéficient pas par eux-mêmes d’une force probante particulière.

En l’espèce, le critère visé est double : état de santé ou handicap.

Au moment du licenciement, elle se trouvait en effet en état d’invalidité, celui-ci étant reconnu jusque l’âge de la pension, et prestait dans le cadre d’un mi-temps médical depuis six années.

Le tribunal relève que l’intéressée a été licenciée dans un contexte de difficultés économiques ayant amené l’organisation à solliciter sa reconnaissance en tant qu’entreprise en difficulté, ce qu’elle obtint pour une période d’un an (1er juillet 2019 – 30 juin 2020). Si, pour le tribunal, le contexte de difficultés économiques avérées au moment du licenciement n’exclut pas l’existence d’une discrimination, la demanderesse doit satisfaire à l’obligation de preuve dans son chef, étant non seulement qu’elle a fait l’objet d’un traitement défavorable, mais qu’existent en outre des faits qui semblent indiquer que ce traitement a été dicté par des motifs illicites, sachant que ces faits ne bénéficieront pas par eux-mêmes d’une force probante particulière.

Pour le tribunal, le licenciement est intervenu en même temps que celui de plusieurs collègues, dans le contexte ci-dessus, et ce alors qu’elle prestait depuis six ans dans le cadre d’un mi-temps médical en raison de son invalidité, sans que ceci n’ait généré des remarques ou des difficultés entre les parties. Rien n’établit dès lors qu’elle a été licenciée en raison de son état de santé ou de son handicap. Le traitement défavorable n’est pas prouvé et la demanderesse ne rapporte pas davantage la preuve de faits semblant indiquer qu’un tel traitement aurait été dicté par des motifs illicites.

Sur le licenciement manifestement déraisonnable lui-même, le tribunal reprend très longuement les principes, retenant dans ce rappel la règle selon laquelle le contrôle du caractère déraisonnable du licenciement ne porte pas sur les circonstances de celui-ci mais sur la question de savoir si les motifs sont admis ou non. Il souligne également qu’en outre, l’exercice du droit de licencier est contrôlé à la lumière de ce que serait l’exercice de ce droit par un employeur normal et raisonnable.

Le motif invoqué étant d’ordre économique, le tribunal entreprend de vérifier la réalité de celui-ci et d’apprécier si la décision de licenciement aurait pu être prise par un employeur normal et raisonnable.

Suite à l’examen du dossier, le tribunal retient l’existence réelle des difficultés vantées ainsi que le lien de causalité entre ces difficultés et le licenciement. La décision prise est considérée – dans le cadre du contrôle marginal du juge – comme normale et raisonnable, ayant pu être prise par tout employeur qui se serait trouvé confronté à de telles difficultés. Il est renvoyé au commentaire de l’article 8 de la C.C.T. n° 109, dans lequel les partenaires sociaux ont précisé que n’était pas visée l’opportunité de la gestion de l’employeur, c’est-à-dire son choix entre les différentes alternatives de gestion raisonnables dont il dispose.

Le licenciement est donc fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise et aurait pu être décidé par un employeur normal et raisonnable.

Enfin, des dommages et intérêts sont réclamés pour abus de droit. La demanderesse fait valoir qu’ayant été licenciée, tout espoir de retrouver un travail est définitivement ruiné et que l’économie peu importante que représente son salaire mi-temps est sans commune mesure avec le préjudice qu’elle subit, ne percevant plus que les indemnités d’incapacité de travail, sans avoir la possibilité de travailler dans le cadre d’un temps plein ou d’un mi-temps médical.

Renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 9 avril 2019, R.G. 2018/AM/125), le tribunal rappelle que le fait pour l’employeur de retirer du licenciement un avantage disproportionné par rapport à la charge corrélative pour le travailleur est constitutif d’abus de droit. Vu la situation économique, le fait de choisir de licencier la demanderesse (qui ne percevait qu’un petit salaire), alors que ce licenciement lui occasionne un préjudice important, ainsi qu’elle l’expose, est constitutif d’une faute. Le préjudice particulier consécutif à celle-ci est distinct de celui réparé par l’indemnité compensatoire de préavis.

La demanderesse sollicitant un euro provisionnel à ce titre, le tribunal condamne l’employeur à cet euro provisionnel, réservant à statuer sur le montant définitivement dû au titre de dommages et intérêts.

Intérêt de la décision

Le tribunal du travail a appliqué dans ce jugement à lettre l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 12 février 2009, rappelant successivement les conditions mises par la haute cour sur le plan de la preuve.

Y est précisé que, pour le demandeur, la preuve doit être apportée d’abord du traitement défavorable et, ensuite, de l’existence de faits qui semblent indiquer que celui-ci a été dicté par des motifs illicites. Ces faits ne bénéficient par ailleurs pas par eux-mêmes d’une force probante particulière.

La demanderesse a échoué, dans la présente espèce, à satisfaire à la première condition, étant qu’elle a bénéficié d’un traitement défavorable. Si le licenciement est effectivement intervenu, il n’est pas en soi un traitement défavorable, s’agissant de procéder à la comparaison avec d’autres personnes de référence. Le tribunal a constaté qu’était dûment établi le licenciement de quatre autres employés, de telle sorte que, par rapport à ceux-ci, la demanderesse n’a pas été particulièrement préjudiciée, ayant subi les effets d’une mesure identique.

Cependant, sur le plan de l’abus de droit, le tribunal accueille la demande formée dans le cadre de la théorie générale. La demanderesse a renvoyé à un cas spécifique de la théorie, étant celui de la disproportion entre l’avantage retiré d’un acte par une partie et l’inconvénient causé par l’exercice du droit à son co-contractant.

A juste titre, la demanderesse a soumis au tribunal la question de la disproportion entre l’économie qu’a ainsi réalisée son employeur (un mi-temps) alors qu’il justifie le licenciement pour des motifs économiques. Ce point mérite sans doute d’être approfondi, s’agissant de vérifier dans quelle mesure existe une disproportion entre les effets du licenciement pour chacune des deux parties, la question de savoir si cette disproportion existe (soit un manque de proportionnalité) étant une question de fait laissée à l’appréciation du juge du fond. Le jugement a conclu dans la présente espèce par l’affirmative.


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