Terralaboris asbl

Des chiens renifleurs peuvent être des instruments de travail

Commentaire de Prés. Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi) (réf.), 4 mars 2022, R.G. 22/1/C

Mis en ligne le lundi 12 septembre 2022


Président du Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) (référé), 4 mars 2022, R.G. 22/1/C

Terra Laboris

Dans une ordonnance rendue le 4 mars 2022, la Présidente du Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), statuant sur la base de l’apparence du droit de propriété, fait injonction à une employée de restituer des chiens spécialisés qu’elle utilisait dans le cadre de ses fonctions de maître-chien, ceux-ci n’étant pas transférés à une société cessionnaire qui a repris un contrat dont le propriétaire apparent a été évincé.

Les faits

Une société de sécurité, active notamment dans des aéroports, avait engagé, en septembre 2018, une employée maître-chien, dont les fonctions consistent à détecter la présence d’explosifs dans les bagages, le fret et les véhicules, et ce à l’aide de chiens spécialisés. L’employée s’était vu mettre à disposition deux chiens, étant deux bergers malinois, Tiga et Freddy. L’employée dut suivre des formations organisées par une société en France, société qui appartient au même groupe que l’employeur.

Au fil du temps, c’est un autre duo de chiens qui a été affecté en permanence à l’intéressée, étant Bob et Freddy. Après la formation, les deux chiens ont été achetés par l’employeur à sa société-sœur. Leurs passeports originaux ont été transmis à l’employée en vue d’assurer des questions quotidiennes (vétérinaire, pension, etc.). La société fit également construire un chenil et un « local croquettes » au domicile de l’employée.

A la suite de la fin d’un accord commercial liant la société et l’aéroport de Charleroi, ce contrat fut perdu, étant attribué à une société concurrente. Les maîtres-chiens précédemment employés par la société ont été transférés dans le cadre d’un transfert d’entreprise. Cette société demanda alors à reprendre les chiens, ce à quoi le cédant s’opposa, ne voulant pas vendre ceux-ci. Les maîtres-chiens furent informés de la décision prise et se virent obligés de remettre les chiens dans un refuge. Un rendez-vous fut fixé, auquel se rendirent les autres collègues, mais pas la demanderesse. Celle-ci refusa de rendre les chiens, le signifiant au cédant.

Une plainte fut alors déposée auprès de la police pour abus de confiance. La société cédante refusa que l’employée continue à utiliser les deux chiens lors de ses prestations de travail au service de la société cessionnaire. Celle-ci fut informée de la plainte déposée par la société cédante et lui transmit des justificatifs dont il ressortirait que l’employée était propriétaire des chiens.

L’année précédente, en effet, un des deux chiens s’était évadé et, lorsqu’il fut retrouvé, il fut procédé à son enregistrement (ainsi qu’à celui de l’autre chien) sur DogID, l’escapade du premier ayant montré qu’il ne l’était pas. Tous deux reçurent alors un nouveau numéro de passeport.

La société cédante contesta, signalant que l’enregistrement des chiens et la détention des passeports ne constituent pas une preuve de propriété.

Des mises en demeure furent adressées et, vu la persistance de l’employée dans son refus de restituer les chiens, une procédure en référé fut introduite devant la Présidente du Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi).

La décision

La présidente du tribunal examine en premier lieu sa compétence matérielle, et ce au regard de l’article 17, 5°, de la loi du 3 juillet 1978, qui dispose que le travailleur a l’obligation de restituer en bon état à l’employeur les instruments de travail qui lui ont été confiés. Les deux chiens sont des outils de travail qui ont été remis à l’intéressée pour l’exécution de son travail. La compétence matérielle du tribunal est dès lors établie.

Sur la question de l’urgence, les principes sont repris, dont celui selon lequel la condition doit exister non seulement lors de l’introduction de l’instance, mais également jusqu’à la clôture des débats (étant notamment rappelé l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 1976, Pas., 1977, I, p. 260). De même, pour la condition qu’il y ait crainte d’un préjudice d’une certaine gravité, voire d’inconvénients sérieux, celle-ci rendant une décision immédiate souhaitable (avec renvoi à Cass., 23 septembre 2011, n° C.10.0279.F).

En l’espèce, il est constaté que les deux chiens ont environ cinq ans chacun, qu’ils ont été formés pour la détection des explosifs et que leur certification n’est valable que durant un certain nombre de mois. Retenant une durée de vie pour cette race de chien d’environ douze ans, la présidente du tribunal considère légitime de penser qu’ils peuvent encore travailler quelques années, même s’ils ne vont pas le faire jusqu’à la fin de leur vie. Eu égard à la nécessité de renouvellement des certificats – ce qui exige en outre que les chiens ne soient pas utilisés par un concurrent –, l’urgence est reconnue. Le préjudice avancé par la société est de devoir recommencer leur entraînement et leur formation au cas où ils ne seraient pas stimulés et formés.

Pour ce qui est de la condition du provisoire, se pose la question de savoir s’il y a apparence du droit de propriété, qui permettrait d’accueillir la demande. La présidente du tribunal examine le statut juridique de l’animal en Belgique. Celui-ci est régi par la législation fédérale, l’article 3.39 du Code civil (qui dispose que les animaux sont doués de sensibilité ayant des besoins biologiques et que les dispositions relatives aux choses corporelles s’appliquent aux animaux dans le respect des dispositions légales et réglementaires qui les protègent) est d’ordre public. D’autres modifications sont intervenues dans la foulée, dont, pour la Wallonie, l’ajout d’un article D.1er au Code wallon du bien-être animal depuis le 1er janvier 2019.

A titre subsidiaire, et sans préjudice des dispositions relatives à la protection des animaux, celles concernant le régime des choses leur sont toujours applicables. L’animal est donc toujours soumis aux règles relatives au droit de propriété, ce qui, pour la présidente du tribunal, peut poser problème, car le propriétaire de l’animal n’en est pas nécessairement le détenteur (qui est le responsable de celui-ci).

Si les chiens doivent être pucés et avoir un passeport dans lequel sont consignées différentes mentions, ainsi qu’un carnet vaccinal, le nom du détenteur qui figure sur le passeport ne lui en confère pas la propriété, de même que la puce électronique ou encore l’enregistrement dans DogID.

L’ordonnance poursuit en renvoyant au site web du Gouvernement flamand, dans lequel apparaît la réponse du Ministre flamand du bien-être animal à une question écrite, qui confirme que l’enregistrement dans la banque de données n’a aucune influence sur les discussions concernant la propriété d’un chien.

En l’espèce, il s’agit donc de déterminer qui est propriétaire. La société demanderesse produisant des factures d’achat et, pour sa part, l’employée soutenant – sans vraiment l’établir – qu’ils lui ont été donnés au centre de formation, l’ordonnance conclut que la société établit son droit apparent de propriété.

Celle-ci demandant qu’il soit fait interdiction à la société cessionnaire d’utiliser les chiens à des activités de surveillance, au motif que seuls les travailleurs ont été transférés mais non les chiens, se pose la question de la recevabilité de celle-ci, vu l’exigence d’un intérêt né et actuel.

La présidente du tribunal reprend un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles (Bruxelles, 1er octobre 1996, Pas., 1996, II, p. 105), selon lequel il suffit qu’un tiers prétende être propriétaire d’un véhicule faisant l’objet d’une saisie-revendication pour qu’il dispose d’un intérêt suffisant pour former tierce opposition à une ordonnance qui en aurait autorisé la saisie, même si son droit de propriété est contesté et ne peut être établi le cas échéant qu’après examen de la cause au fond.

Elle conclut que la société demanderesse a un intérêt concret actuel d’ordre matériel, vu la crainte d’un préjudice commercial si son concurrent direct utilise ses chiens. Sont donc admis non seulement la recevabilité de la demande, mais également son fondement sur la base du droit apparent.

En conclusion, les chiens étant des outils de travail, ils doivent être restitués à leur propriétaire. Mettant encore en balance le droit de propriété (s’il est confirmé par le juge du fond) et le bien-être animal ainsi que l’attachement du détenteur des animaux envers ces derniers, l’ordonnance poursuit que cette question est à débattre devant le juge du fond au cas où les deux chiens ne seraient plus capables de travailler. A ce moment, le droit de propriété en l’absence de préjudice commercial « devrait, peut-être, céder la place à un droit (d’ordre moral) du détenteur/possesseur de l’animal », l’animal étant un être doué de sensibilité et qui mérite à ce titre aussi une protection.

En ce qui concerne la durée de l’ordonnance, celle-ci vaut jusqu’au 15 avril 2022, date à laquelle une procédure au fond doit avoir été introduite.

Intérêt de la décision

Cette décision nuancée examine la situation juridique des animaux amenés à être utilisés dans le cadre d’une relation de travail. Si des dispositions spécifiques ont été ajoutées dans le Code civil ainsi que dans des législations régionales quant à l’exigence d’assurer à ces animaux une protection particulière, ils sont cependant soumis aux dispositions relatives aux choses corporelles, dont au droit de propriété.

A juste titre, dans un tel contexte, l’ordonnance a conclu qu’il s’agit d’instruments de travail au sens de l’article 17, 5°, de la loi du 3 juillet 1978 et qu’ils doivent, comme toute chose, être restitués à l’employeur.

S’agissant en l’espèce en outre d’un transfert d’entreprise, l’on notera que le personnel a été transféré mais non ses instruments de travail, le transfert supposant que soit cédé un ensemble d’éléments d’actifs, mais non la totalité.

Enfin, même si ce point n’est pas spécifique au contrat de travail, l’on retiendra les enseignements de cette ordonnance sur les questions d’enregistrement, de puces électroniques et de passeports canins…


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be