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Cumul d’indemnités d’incapacité de travail et des allocations d’interruption de carrière (interruption complète)

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 mars 2022, R.G. 2019/AB/1

Mis en ligne le lundi 29 août 2022


Cour du travail de Bruxelles, 11 mars 2022, R.G. 2019/AB/1

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 mars 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle d’une part qu’en cas d’interruption de carrière complète, le travailleur ne peut prétendre aux indemnités pour la période pendant laquelle il peut faire appel à une allocation d’interruption de carrière et, d’autre part, que la balance doit être faite entre les obligations de proactivité de l’organisme assureur AMI pour détecter l’existence d’autres ressources et celles de l’assuré social, tenu de faire des déclarations exactes sur les formulaires idoines.

Les faits

Une enseignante a bénéficié d’une interruption de carrière d’un an, suivie de cinq années de mise en disponibilité (convenances personnelles). Au début de l’interruption de carrière, elle a entamé une activité d’infirmière indépendante, à titre complémentaire d’abord et à titre principal un an plus tard.

Elle a ultérieurement été en incapacité de travail et indemnisée par son organisme assureur. Lorsqu’elle a complété le formulaire ad hoc, elle a répondu négativement à toutes les questions relatives à la perception d’autres revenus, ainsi qu’à la celle de savoir si elle bénéficiait d’autres avantages (ou indemnités, rentes ou capital). Le formulaire contient en outre un engagement quant à l’information spontanée à donner à sa mutuelle de toute modification susceptible d’intervenir, étant également stipulé qu’elle a connaissance de la possibilité de sanction et de poursuites judiciaires en cas de déclaration fausse ou incomplète.

Pendant son incapacité de travail, elle a obtenu une nouvelle interruption de carrière, qui a donné lieu à l’octroi de l’allocation correspondante versée par l’ONEm. Elle a encore répondu négativement aux questions posées relatives à la perception d’autres sommes.

L’organisme assureur AMI a pris connaissance, trois ans plus tard, de l’existence de l’interruption de carrière.

Il notifie dès lors une décision, l’informant de la réduction des indemnités d’incapacité eu égard aux règles de cumul. Il signale dans un courrier ultérieur que l’Union nationale a précisé qu’en cas d’interruption de carrière complète, cette règle n’était cependant pas applicable, les indemnités devant être complétement supprimées. Il donne les bases légales, étant l’article 28 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 instituant une assurance-indemnités en faveur des travailleurs indépendants et des conjoints aidants, en vertu duquel les prestations sont refusées pour les périodes visées à l’article 103 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, ainsi que l’article 103, 7°, du même texte, qui dispose que le travailleur ne peut prétendre aux indemnités pour la période pendant laquelle il peut faire appel à une allocation d’interruption de carrière en cas d’interruption complète.

La décision de suppression est rétroactive et remonte au début de cette deuxième période d’interruption de carrière, l’indu réclamé étant de l’ordre de 22.000 euros.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles), qui, par jugement du 3 décembre 2018, déboute la demanderesse. Celle-ci interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend les règles, étant essentiellement celles-ci-dessus, posant en premier lieu le principe selon lequel un travailleur ne peut prétendre aux indemnités d’incapacité de travail pour la période pendant laquelle il peut solliciter une allocation d’interruption en cas d’interruption de carrière complète. Il y a dès lors lieu à remboursement.

La cour constate que le tribunal avait exclu l’application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social au motif qu’il ne peut être exigé que l’organisme de sécurité sociale recherche « tous azimuts » l’éventuelle perception d’autres ressources dès lors que l’assuré social a répondu aux questions de l’organisme à cet égard. Pour le tribunal, il n’y avait dès lors aucune faute dans le chef de l’institution de sécurité sociale, la cour constatant également que l’appel de l’intéressée revient sur l’application de cet article, dès lors que celle-ci maintient qu’il y a une faute (le formulaire prêtant à confusion et l’ayant induite en erreur et la gestion de son dossier ayant été déficiente).

Pour la cour, l’intéressée a rempli le questionnaire, répondant négativement à la question de savoir si elle bénéficiait d’une pension, d’une rente ou allocation autre que des indemnités AMI et, même si les allocations d’interruption perçues n’étaient pas versées pour un motif médical alors que ceci figurait dans une sous-question, elle n’a pu être induite en erreur, la question posée l’étant en des termes clairs.

La cour examine encore les divers courriers qui ont été envoyés par l’ONEm et la mutuelle, qui ne peuvent davantage conduire à l’application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte, d’autant que l’intéressée a manqué à son obligation de signaler tout changement dans la situation de ses ressources et a en outre fait une déclaration inexacte.

La circonstance que l’Union nationale reçoit chaque année les bons de cotisations de l’ONEm reprenant les données d’identification des travailleurs ainsi que la période où ceux-ci ont bénéficié d’une allocation d’interruption ne peut faire qu’il y aurait une faute à la base d’un paiement indu dès lors que la mutuelle n’aurait pas détecté d’office les situations de cumul parmi l’ensemble des documents de cotisations qu’elle reçoit de ses affiliés, la cour rappelant que ceux-ci ont pour but d’établir la qualité de titulaire et qu’il en va d’autant plus ainsi lorsque l’affilié a fait la déclaration requise et que celle-ci est inexacte.

L’appelante faisant, enfin, valoir l’existence d’une discrimination dans l’article 103, § 1er, 7°, de la loi coordonnée de 1994, dès lors que les personnes qui ont des revenus professionnels peuvent les cumuler avec les allocations d’interruption, ce qui n’est pas le cas pour les revenus de remplacement, la cour reprend l’avis du Ministère public selon lequel le litige concerne le cumul d’indemnités d’incapacité de travail avec des allocations d’interruption, ce qui entraîne l’application de l’article 103 de la loi coordonnée auquel renvoie l’article 28 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971, qui prohibe également le cumul de revenus professionnels avec des indemnités d’incapacité de travail. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une hypothèse de cumul de revenus professionnels avec des allocations d’interruption, de telle sorte que l’article 103 est étranger à l’hypothèse en cause.

La cour souligne encore qu’il n’y a pas lieu, dans les différentes législations de sécurité sociale, d’assimiler, pour ce qui est des règles anti-cumul, les travailleurs qui ont un revenu professionnel et ceux qui ont un revenu de remplacement.

Une demande de questions à la Cour constitutionnelle étant formulée, celle-ci est rejetée, le litige ne soulevant pas de question relative aux principes d’égalité et de non-discrimination.

L’appel est dès lors non fondé.

Intérêt de la décision

La cour reprend, à l’occasion de cet arrêt, la distinction à faire entre le cumul de revenus professionnels avec des allocations d’interruption et celui de revenus de remplacement avec ces mêmes allocations.

Les allocations d’interruption peuvent être cumulées avec les revenus provenant de l’exercice d’une activité indépendante, mais pour une période maximale d’un an seulement, et ceci n’est possible que dans le cas de la suspension complète du travail. L’on peut renvoyer, pour des développements sur cette question, à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 21 décembre 2017 (C. trav. Bruxelles, 21 décembre 2017, R.G. 2016/AB/702) ainsi qu’à un autre de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 9 août 2016 (C. trav. Liège, div. Liège, 9 août 2016, R.G. 2015/AL/419 – précédemment commenté).

Dès lors, cependant, qu’il s’agit de revenus de remplacement, la règle est différente et la cour rappelle dans cet arrêt à juste titre que l’on ne peut assimiler, pour l’application des règles anti-cumul contenues dans les diverses législations de sécurité sociale, le travailleur qui perçoit un revenu de remplacement et celui qui bénéficie d’un revenu professionnel.

Relevons enfin que la cour a fait la balance, dans cet arrêt, entre les obligations de l’organisme assureur en tant qu’institution de sécurité sociale et celles de l’assuré social, considérant que l’institution n’est pas tenue de rechercher « tous azimuts » l’éventuelle perception d’autres ressources (termes du jugement), et ce dès lors que l’assuré social a donné à l’institution sociale les renseignements sollicités dans les formulaires idoines.


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