Terralaboris asbl

Taux des allocations de chômage : conditions d’une révision

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 septembre 2021, R.G. 2020/AL/536

Mis en ligne le mardi 23 août 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 septembre 2021, R.G. 2020/AL/536

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 septembre 2021, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les conditions de l’article 149 de l’arrêté royal organique, qui autorise l’ONEm à procéder à une révision des prestations octroyées.

Les faits

Un bénéficiaire d’allocations de chômage se voit accorder le statut de cohabitant avec charge de famille, et ce eu égard aux déclarations faites sur ses formulaires C1 successifs. Il y mentionne que son épouse ne perçoit ni revenus professionnels ni revenus de remplacement. Ils vivent avec leurs enfants.

Ultérieurement, il déclarera vivre seul avec ses enfants et, ensuite encore, avoir repris la vie conjugale avec son épouse.

Il s’avère cependant, suite à une enquête de l’ONEm, que l’épouse a été occupée à diverses reprises dans le cadre de contrats d’intérim.

L’intéressé est convoqué pour une audition, mais ne s’y présente pas.

La décision de l’ONEm, prise le 16 mai 2019, l’exclut du droit aux allocations comme travailleur avec charge de famille, le ramenant au taux cohabitant, sur pied des articles 110 et 114 de l’arrêté royal organique.

Une récupération est décidée à partir du 10 octobre 2014, ainsi qu’une exclusion pour une période de 13 semaines.

La décision est longuement motivée, les déclarations faites sur les divers documents C1 successifs étant considérées comme inexactes et l’intention frauduleuse étant retenue.

L’indu est de l’ordre de 11.000 euros.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège).

Le tribunal a statué par jugement du 10 novembre 2020, considérant le recours très partiellement fondé. La décision de l’ONEm a en effet été confirmée, à l’exception de la sanction, qui a été réduite à 6 semaines.

L’intéressé interjette appel, au motif qu’il n’a pas été tenu compte des faibles revenus de son épouse, perçus dans le cadre de ses contrats d’intérim. Il considère que ceux-ci étaient « en-dessous » du plafond autorisé. Il estime avoir toujours tenu l’organisme de paiement informé de sa situation et avoir reçu pour réponse que, tant que les revenus de l’épouse ne dépassaient pas un certain montant, ceci n’avait pas d’influence sur le montant de son allocation de chômage.

L’ONEm plaide pour sa part que la décision est conforme à la réglementation et demande le maintien de la décision d’exclusion à 13 semaines, vu la longueur de la période infractionnelle et la persistance de l’intéressé à déclarer une situation inexacte.

La décision de la cour

La cour reprend, avec la doctrine de H. MORMONT (H. MORMONT, « La charge de la preuve dans le contentieux judiciaire de la sécurité sociale », R.D.S., 2013/2, pp. 381 et s.), les règles mises en place dans le cadre de l’article 110 de l’arrêté royal organique. Elle précise qu’en cas de décision de révision ou de retrait, il n’appartient pas à l’ONEm de prouver l’absence des conditions d’octroi de la prestation retirée mais l’existence d’un motif légal de révision. L’article 149 de l’arrêté royal permet ainsi notamment à l’ONEm de revoir une décision en cas de constat d’une déclaration inexacte ou d’une absence de déclaration ayant une incidence sur les droits du chômeur.

L’article 149 énumère les cas de révision, dont, en son 3°, l’hypothèse de la révision avec effet rétroactif à la date de l’octroi erroné ou irrégulier des allocations, ou à la date à laquelle le chômeur ne satisfait pas ou ne satisfait plus à toutes les conditions requises pour pouvoir bénéficier des allocations, s’il s’avère qu’il a fait des déclarations inexactes ou incomplètes, s’il a omis de faire une déclaration requise, s’il l’a faite tardivement, s’il a produit des documents inexacts ou falsifiés ou encore s’il a commis des irrégularités.

La cour rappelle qu’il faut combiner cette rétroactivité avec les règles de prescription, celle-ci étant de trois ans ou de cinq ans en cas de fraude ou de dol.

Un renvoi à la Cour du travail de Bruxelles est fait (C. trav. Bruxelles, 13 septembre 2000, Chron. D. S., 2002, p. 207) pour la définition de la fraude ou du dol : c’est la volonté malicieuse de tromper l’administration en vue de son propre profit ainsi que tout agissement volontairement illicite pour obtenir indûment l’octroi de prestations sociales. Celle-ci doit être prouvée par l’ONEm.

Enfin, la cour reprend les règles de preuve telles que fixées à l’article 8.4 du Titre VIII du nouveau Code civil, en vigueur depuis le 1er novembre 2020, dont elle reproduit le texte. S’appuyant toujours sur la doctrine de H. MORMONT, elle précise encore que chaque partie a la charge de la preuve des faits qu’elle allègue, pour autant que ces faits soient contestés, règle également rappelée dans le nouveau Code civil en son article 8.3, qui dispose que, hormis les cas où la loi en dispose autrement, les faits ou actes juridiques doivent être prouvés lorsqu’ils sont allégués et contestés.

Ceci, en l’espèce, implique que la charge de la preuve est répartie entre l’ONEm et le chômeur. Ce dernier a en effet fait la déclaration de sa situation personnelle et il en découle que, si l’ONEm dispose d’indices sérieux selon lesquels elle ne serait pas conforme à la réalité, il peut prendre une décision de révision. C’est alors au chômeur, sur la base de ces indices, de démontrer l’absence de cohabitation.

En l’espèce, il y a un motif de révision, l’existence de déclarations inexactes sur les divers formulaires C1 quant à la situation de chef de ménage sur la base de l’absence d’activité professionnelle de l’épouse cohabitante étant avérée.

La cour ne retient cependant pas l’intention frauduleuse, ce qui l’amène à retenir la prescription de trois ans.

Les conditions de l’article 149 en sont par ailleurs remplies, étant que la prescription ne doit pas être acquise. Celle-ci débute le premier jour du trimestre civil suivant celui au cours duquel le paiement indu a été effectué, en vertu de l’article 7, § 13, alinéas 2 et 3, de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944.

Vu l’existence d’un motif de révision, la récupération est justifiée depuis une date arrêtée par la cour au 10 septembre 2016. Enfin, elle considère en outre devoir accorder crédit aux explications fournies par l’intéressé aux fins de limiter la récupération aux 150 dernières allocations perçues, en application de l’article 169, alinéa 2, de l’arrêté royal. Elle ordonne la réouverture des débats sur les montants.

Enfin, elle confirme la réduction de la sanction à 6 semaines, pour plusieurs motifs, étant (i) l’admission au chômage sur la base du travail, (ii) l’absence d’antécédents, (iii) les explications fournies et (iv) les périodes limitées de travail en intérim de l’épouse ainsi que les revenus perçus.

Intérêt de la décision

Cet arrêt permet de revenir sur la notion de revenus professionnels à prendre en compte dans le cadre de l’article 110 de l’arrêté royal organique. Les revenus professionnels eux-mêmes ont été définis à l’article 60 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. Il s’agit de tous les revenus provenant de l’exercice d’une activité professionnelle ainsi que des revenus visés à l’article 46, §§ 1er et 2, de l’arrêté royal (salaire garanti, jours fériés, pécule de vacances, etc.).

Les revenus du conjoint ne sont cependant pas pris en compte au titre de revenus professionnels s’il est satisfait simultanément à trois conditions, étant que (i) le travailleur doit avoir déclaré les revenus du conjoint lors de sa demande d’allocations ou au début de l’exercice de cette activité professionnelle, (ii) les revenus doivent provenir d’un travail salarié et (iii) le montant brut de ceux-ci ne doit pas excéder un montant déterminé par mois, et ce à la condition que le conjoint ne bénéficie d’aucun revenu de remplacement pour le mois considéré (sauf cas d’exception).

Des conditions particulières sont mises en ce qui concerne les revenus professionnels d’un enfant.

Pour ce qui est de la notion de revenu de remplacement, il peut être renvoyé à un jugement du Tribunal du travail de Liège du 19 novembre 2018 (Tribunal du travail de Liège, division Liège, 19 novembre 2018, R.G. 14/398.176/A), qui a examiné l’hypothèse de la perception d’une prestation étrangère (prestation d’invalidité).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be