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Accident du travail : valeur d’un accord-indemnité non entériné par FEDRIS

Commentaire de Cass., 20 décembre 2021, n° S.21.0041.N

Mis en ligne le mardi 23 août 2022


Cour de cassation, 20 décembre 2021, n° S.21.0041.N

Terra Laboris

La Cour de cassation a rendu un arrêt important le 20 décembre 2021, dans lequel elle confirme la règle selon laquelle un projet d’accord-indemnité non entériné par FEDRIS ne peut sortir aucun effet et que le juge n’est pas lié par les éléments repris dans celui-ci.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Gand (division Gand) le 3 septembre 2020 (R.G. 2019/AG/188).

Rétroactes

Une victime d’un accident du travail survenu le 6 juin 2016 se vit proposer par l’assureur de son employeur un projet d’accord-indemnité, qui fut signé le 8 juin 2017 pour accord. Celui-ci fixait le taux d’incapacité permanente à 8%.

En décembre 2017, l’assureur prit contact avec la victime, faisant valoir une erreur matérielle à propos du taux d’incapacité permanente, celui-ci devant, selon lui, être de 5% et non de 8%. Une nouvelle proposition d’accord-indemnité fut transmise sur cette base.

Par courrier recommandé du 25 janvier 2018, FEDRIS refusa l’entérinement de cet accord-indemnité, au motif de l’absence d’accord concernant le taux de l’incapacité permanente.

L’assureur tâcha d’obtenir la signature de la victime sur l’accord modifié, ce que celle-ci refusa.

Une procédure fut dès lors initiée le 2 octobre 2018 par l’assureur devant le Tribunal du travail de Gand (division Saint-Nicolas). L’objet en était de dire pour droit que les séquelles de l’accident devaient être réglées sur la base de 5% d’I.P.P. (outre d’autres éléments non contestés). Le tribunal du travail déclara la demande recevable mais non fondée et l’assureur interjeta appel devant la Cour du travail de Gand (division Gand).

Le jugement fut réformé, mais uniquement en ce qu’il ne fixait pas les séquelles de l’accident. La cour les reprit dans son arrêt du 3 septembre 2020, l’incapacité permanente étant de 8%.

Un pourvoi fut introduit contre cette décision.

Le pourvoi

Le pourvoi contient un seul moyen, fondé sur les articles 6, particulièrement §§ 2 et 3, 24, 2e alinéa, et 65, 1er, 2e et 8e alinéas, de la loi du 10 avril 1971 (notamment), diverses dispositions du Code civil étant également invoquées, ainsi que, sur le plan des principes généraux de droit, l’autonomie de la volonté et le consensualisme.

Sur l’article 65, 2e alinéa, le pourvoi rappelle que, si FEDRIS estime qu’un des éléments repris dans l’accord soumis n’a pas été fixé conformément à la loi, l’Agence refuse d’entériner l’accord et communique son point de vue motivé aux parties. Dans ce cas, le litige est porté devant le tribunal du travail par la partie la plus diligente, qui informe le tribunal du point de vue de l’Agence. Le juge saisi d’une demande de fixation des séquelles de l’accident en cas de refus d’entérinement par FEDRIS ne peut tenir compte en aucune manière, pour la fixation des indemnités ainsi que du taux d’incapacité permanente, de la convention qui n’a pas été entérinée par FEDRIS, celle-ci n’ayant aucun effet. Il doit fixer les séquelles, dont le taux d’incapacité permanente – qui sont d’ordre public –, sans tenir compte en aucune manière de l’accord non entériné et sans pouvoir en déduire une reconnaissance préjudiciable dans le chef de l’assureur. Il en déduit une violation des dispositions ci-dessus.

Dans une deuxième branche, le pourvoi s’appuie sur l’article 1101 de l’ancien Code civil, selon lequel le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque-chose.

L’article 1108 fixe quatre conditions essentielles pour la validité d’une convention, étant (i) le consentement de la partie qui s’oblige, (ii) sa capacité de contracter, (iii) un objet certain qui forme la matière de l’engagement et (iv) une cause licite dans l’obligation. Les contrats solennels (formels) constituent une exception à ce corps de règles, étant qu’ils ne sont valables que si un formalisme ou des conditions de forme sont respectés. Tant qu’ils ne le sont pas, la convention n’est ni valable ni définitive. L’accomplissement des formalités légales conditionne la validité de la convention. Enfin, est repris le principe de la convention-loi de l’article 1134 du Code civil.

L’accord-indemnité non entériné par FEDRIS ne peut dès lors constituer une convention valable et définitive et ne peut sortir aucun effet, non plus qu’avoir une force obligatoire. Il ne peut en être déduit une reconnaissance préjudiciable dans le chef de l’assureur.

Le moyen du pourvoi développe encore trois autres branches, auxquelles la cour ne répondra pas eu égard à sa conclusion relative à la deuxième branche.

La décision de la Cour

La Cour reprend l’article 65 de la loi, en ses alinéas premier, deux, six et huit. Lorsque FEDRIS refuse l’entérinement d’un accord entre l’assureur-loi et la victime de l’accident du travail, la convention en cause ne peut sortir d’effet et la partie la plus diligente doit porter le litige devant le tribunal du travail. Celui-ci n’est pas lié par les termes de l’accord entre parties, tel qu’exprimé dans la convention.

Jusqu’à l’entérinement de la convention, celle-ci ne peut être considérée que comme un projet d’accord. Il en résulte qu’en cas de refus d’entérinement par FEDRIS, cet accord ne peut être considéré comme la loi des parties, qu’il n’a pas de force obligatoire et que tous les engagements unilatéraux ou tous accords qui précèdent la ratification peuvent toujours faire l’objet d’une contestation.

L’arrêt est dès lors cassé.

Intérêt de la décision

En cette affaire, la Cour de cassation a accueilli à juste titre le pourvoi de l’assureur.

L’article 65 de la loi prévoit en effet que les parties sont tenues de soumettre pour entérinement à FEDRIS les accords concernant les indemnités dues en raison de l’accident. La rédaction de l’article 65 exclut la renonciation de la victime au droit d’examen de l’accord-indemnité par l’Agence. Il serait dès lors contraire au vœu du législateur de tenter d’éviter le contrôle de celle-ci en court-circuitant la procédure d’entérinement.

Si une des parties reste sans réaction, dans le cadre de cette procédure de règlement administratif, une procédure judiciaire peut être introduite, dans laquelle le juge saisi conserve un total pouvoir d’investigation. Il ne peut cependant se borner à constater un accord entre parties mais doit vérifier si le règlement du dommage est conforme à la loi et, notamment, vérifier le calcul de la rémunération de base.

Il est de jurisprudence constante sur la question du pouvoir du juge que, même si la victime a signé un accord-indemnité sans réserve, celui-ci ne peut la lier dès lors que cet accord n’a pas été entériné (voir notamment C. trav. Mons, 7 juin 2002, Bull. Ass., 2003, p. 342 et obs. J.-P. NIJS).

La Cour de cassation réaffirme ainsi, dans cet arrêt du 20 décembre 2021, l’obligation pour le juge de procéder à la vérification de tous les éléments de la réparation du dommage. Relevons que l’arrêt se fonde uniquement sur l’article 65 L.A.T. Le pourvoi visait également l’article 6 de la loi concernant les pouvoirs du juge.


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