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Indemnité compensatoire de préavis : notion de « rémunération en cours »

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 décembre 2021, R.G. 2018/AB/938

Mis en ligne le lundi 22 août 2022


Cour du travail de Bruxelles, 15 décembre 2021, R.G. 2018/AB/938

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 décembre 2021, la Cour du travail de Bruxelles reprend la notion de « rémunération en cours » au sens de l’article 39, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et examine le caractère rémunératoire ou non de certains avantages contractuels (avantages récurrents liés aux résultats, bonus à l’emploi, etc.).

Les faits

Une société spécialisée dans le domaine des technologies de l’information a engagé un consultant en qualité d’employé en 2011. Celui-ci a le statut de « cadre » dans l’entreprise et son contrat de travail initial contient des dispositions spécifiques eu égard à cette situation d’une part et à son statut de cadre étranger de l’autre, qui entraîne un régime spécial d’imposition fiscale.

Au fil du temps, le contrat fera l’objet d’avenants. Ceux-ci porteront essentiellement sur l’augmentation de la rémunération.

Pendant la durée de son contrat, l’employé a effectué les mêmes tâches, s’agissant d’implémenter des logiciels informatiques auprès de clients de la société.

Les relations se dégradent à partir de 2015.

La société lui adresse un avertissement et celui-ci, pour sa part, manifeste la volonté de quitter l’entreprise, ayant une perspective plus intéressante à l’étranger.

Les parties tentent de négocier une proposition de rupture d’un commun accord mais ce projet échoue et l’intéressé est en fin de compte licencié pour motif grave.

Il introduit très rapidement une procédure devant le tribunal du travail, dans laquelle il postule le paiement de divers montants, étant notamment une indemnité compensatoire de préavis et le paiement d’heures supplémentaires.

Les jugements du tribunal

Un premier jugement, rendu le 5 décembre 2017, déboute l’intéressé de la demande d’heures supplémentaires et ordonne sa comparution personnelle ainsi que l’audition de deux autres personnes.

Un second jugement, rendu le 18 septembre 2018, le déboute des autres chefs de demande.

Appel est dès lors interjeté.

La décision de la cour

Sur le fond du litige, après avoir fait un imposant rappel des principes en matière de motif grave, dans lequel elle insiste sur le rôle du juge et son pouvoir d’appréciation souveraine, la cour examine longuement les éléments reprochés. Elle constate que les mesures d’instruction décidées par le premier juge ne permettent pas de départager les parties sur des points importants et que persistent des discordances dans la position des représentants de l’entreprise. Elle en conclut que la société n’apporte pas à suffisance de droit la preuve de la réalité du motif grave et reconnaît le droit à l’indemnité compensatoire de préavis.

Se pose, cependant, la question de déterminer l’assiette de cette indemnité, eu égard à divers avantages perçus par le travailleur.

La cour reprend ici la notion de « rémunération en cours » au sens de l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978, renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 24 février 2014 (Cass., 24 février 2014, n° S.11.0078.N) sur la notion d’« avantages acquis en vertu du contrat », dont elle rappelle qu’il s’agit des avantages spéciaux auxquels le travailleur a droit en plus de la rémunération en cours, en contrepartie des prestations de travail fournies en exécution de ce contrat. Quant aux termes « en cours », il s’agit de la rémunération à laquelle le travailleur peut prétendre, à laquelle il a droit, au moment de la notification du congé (reprenant ici divers arrêts de la Cour de cassation, dont Cass., 24 octobre 2005, n° S.04.0191.N).

L’exigence posée par la loi de déterminer la rémunération à laquelle le travailleur a droit au moment de la notification du congé implique que, si celui-ci a bénéficié d’une libéralité révocable, celle-ci doit être exclue du calcul de l’indemnité compensatoire de préavis (la cour citant ici Cass., 14 novembre 1994, n° S.94.0030.F).

La cour entreprend dès lors de déterminer l’assiette de l’indemnité de préavis en examinant successivement le sort d’avantages non récurrents liés aux résultats, d’un bonus à l’emploi, d’« allowances », de frais de représentation et d’une assurance hospitalisation.

La question des avantages non récurrents est examinée d’abord à partir du texte qui les a créés, étant l’article 3 de la loi du 21 décembre 2007 relative à l’exécution de l’accord interprofessionnel 2007-2008, la cour rappelant ici qu’ils doivent être instaurés conformément aux procédures, aux modalités et aux conditions établies par le texte de la loi ainsi que par une convention collective de travail conclue au sein du Conseil National du Travail et que ceci est intervenu par la C.C.T. n° 90 du 20 décembre 2007. Les travaux préparatoires de la loi (Doc. parl., Ch., sess. 2007-2008, n° 52-594/001, pp. 7-8) précisent que l’avantage est une rémunération au sens strict du terme, ce qui signifie qu’il s’agit d’une somme à payer au travailleur du fait de son travail lorsque les conditions requises sont réunies, mais qu’il ne s’agit pas d’une rémunération au sens large, étant qu’il n’ouvre aucun autre droit que ce paiement. Il n’a dès lors ni d’effet direct (à savoir aucune conséquence sur les droits à une rémunération dérivée, notamment en matière de jours fériés, de salaire garanti et de calcul de l’indemnité compensatoire de préavis) ni d’effet indirect sur d’autres législations prévoyant des plafonds ou des seuils de rémunération. Ainsi, les tiers (étant renvoyé au titre d’exemple aux créanciers du travailleur) n’ont de droits sur le paiement de l’avantage effectivement réalisé.

Cependant, les travailleurs auxquels ces avantages sont destinés ont un droit objectif à les percevoir. Chaque travailleur a en outre un droit au paiement effectif de ceux-ci et la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération leur est applicable. En conséquence, ceux-ci ne font pas partie de l’assiette de l’indemnité compensatoire de préavis.

Pour ce qui est du bonus à l’emploi, il en va de même, celui-ci consistant simplement en une réduction de cotisations personnelles de sécurité sociale. Ce système permet, comme la cour le rappelle, de garantir au travailleur un salaire net plus élevé, sans augmentation du salaire brut. Lors du paiement, l’employeur déduit le montant du « bonus à l’emploi » des cotisations personnelles normalement dues. L’objectif du système est de rendre la transition du chômage au travail plus attrayante d’un point de vue financier, les travailleurs ayant un salaire brut relativement bas conservant un salaire net attractif. Il a ainsi un double impact, étant que le salarié touche plus d’argent net sur son salaire brut et que l’employeur n’a pas à augmenter le salaire mensuel brut.

Ce mécanisme n’apporte, ainsi, aucune variation à la rémunération brute et l’employeur ne doit rien de plus au travailleur mais est tout au plus dispensé de retenir tout ou partie des cotisations sociales personnelles. N’ayant aucune incidence sur le montant de la rémunération en cours, ce bonus n’entre pas en ligne de compte.

La question des « allowances » vient ensuite, s’agissant de montants alloués au travailleur en vue de le couvrir des frais supplémentaires réels liés à l’exécution du contrat. Ainsi, des frais d’expatriation. Ceux-ci n’entrent pas dans l’assiette de l’indemnité compensatoire de préavis, la cour précisant cependant que la vérification de la compensation effective de frais supplémentaires doit être faite concrètement (étant ici renvoyé à Cass., 15 janvier 2001, n° S.99.0101.F). Ce poste ne doit pas être intégré dans les montants à prendre en compte.

Il en va encore de même pour des frais de représentation, dès lors qu’ils correspondent à des frais réellement supportés par l’employé et qui étaient inhérents à sa fonction de consultant (pressing, parking, frais de repas à l’extérieur, etc.).

Enfin, pour l’assurance hospitalisation, celle-ci doit être prise en compte, la question ne soulevant pas de réel débat.

La cour réajuste, dès lors, le montant revenant au travailleur sur ces bases.

Elle passe ensuite à la demande de paiement d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, question sur laquelle elle confirme le jugement a quo, le travailleur n’ayant pas introduit de demande en vue de connaître les motifs de son licenciement et ne satisfaisant pas aux obligations de preuve mises à sa charge, étant que, faute de pouvoir établir le motif réel à la base du licenciement, il n’a pas non plus démontré l’absence de correspondance avec un motif autorisé, non plus que le caractère manifestement déraisonnable de la rupture.

Enfin, sur la question des heures supplémentaires, le rappel des principes est également fait, étant que la charge de la preuve repose entièrement sur celui qui réclame l’exécution d’une obligation et qu’en cas de doute, il supporte le risque de la preuve. En outre, le travailleur doit démontrer que les heures supplémentaires ont été prestées à la demande ou avec l’approbation de l’employeur. Rien n’est produit, permettant de faire droit à la demande sur la base des principes ci-dessus et l’appel est, sur ce point, considéré non fondé.

Intérêt de la décision

La notion de rémunération en cours visée à l’article 39 L.C.T. comprend les avantages acquis en vertu du contrat auxquels le travailleur a droit au moment de la notification du congé. La cour a rappelé – même si ce point n’est pas l’essentiel du litige – que cette notion ne couvre pas les libéralités révocables, ainsi que l’a énoncé la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 14 novembre 1994 (Cass., 14 novembre 1994, n° S.94.0030.F). Elle a, dans cet arrêt, confirmé qu’une gratification constituant une libéralité révocable suivant convention, qui avait été révoquée avant la rupture par une note de service, n’était ainsi plus comprise dans le montant de la rémunération à prendre en compte et que, dès lors, la cour du travail, qui avait constaté cette révocation et avait conclu que les avantages n’étaient plus compris dans la rémunération de référence au moment de la notification du congé, avait légalement décidé qu’ils devaient être exclus de l’indemnité compensatoire de préavis.

La cour du travail a également examiné deux points spécifiques à l’espèce soumise, étant la question des avantages non récurrents liés aux résultats et le bonus à l’emploi. Sur le premier point, elle a distingué la portée de cet avantage contractuel, rappelant qu’il s’agit d’une rémunération au sens strict du terme, mais que cet avantage ne crée ni d’effet direct ni indirect sur l’assiette de la rémunération à prendre en compte lors de la détermination de certains droits du travailleur.

Enfin, la question du bonus à l’emploi est également abordée clairement, la cour rappelant que ce système n’apporte aucune variation à la rémunération brute que verse l’employeur et qu’il n’a dès lors aucune incidence sur le montant de la rémunération en cours au sens de l’article 39, § 1er, L.C.T.


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