Terralaboris asbl

Cotisations au statut social des travailleurs indépendants et prestations à l’étranger

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 1er février 2022, R.G. 2021/AL/81

Mis en ligne le lundi 27 juin 2022


Cour du travail de Liège (division Liège), 1er février 2022, R.G. 2021/AL/81

Terra Laboris

Dans un arrêt du 1er février 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) renvoie au Règlement n° 883/2004 pour la détermination de la loi applicable en matière de sécurité sociale, s’agissant d’une demande de l’INASTI de cotisation au statut social, vu la perception de jetons de présence en qualité d’administrateur d’une mutualité, l’intéressé étant parallèlement affecté à l‘étranger par son employeur (public).

Les faits

Un membre du personnel de la Police fédérale belge a été affecté depuis novembre 2013dans un autre Etat membre de l’Union européenne en tant que représentant. Il a été mis un terme à sa mission en 2020 et l’intéressé a regagné la Belgique à ce moment. Depuis 2010, il était également administrateur d’un organisme assureur AMI, dont depuis 2016 il a fait partie du Comité de gestion et, depuis 2018, du Comité de direction.

Des jetons de présence ont été perçus, montants déclarés en tant que profits de profession libérale (fiche fiscale 281.30).

En 2017, l’INASTI a interrogé l’organisme assureur, qui a répondu que l’intéressé était « administrateur ». Celui-ci a été invité à ce moment à s’affilier volontairement à une caisse d’assurances sociales.

Parallèlement, l’INASTI a transmis à la mutuelle une note du 28 avril 2017 à destination des caisses d’assurances sociales concernant l’assujettissement des mandataires d’A.S.B.L.

L’intéressé reçut quelques jours plus tard une mise en demeure d’affiliation. Son conseil répondit en posant diverses questions à l’INASTI. Il faisait notamment valoir une violation de la Charte de l’assuré social, une absence d’activité professionnelle et, subsidiairement, le droit à une absence d’effet rétroactif et de sanction.

L’INASTI maintint sa position et un recours fut introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers), recours contre la mise en demeure d’affiliation. Le demandeur en sollicitait la mise à néant. L’INASTI pour sa part demandait de confirmer l’assujettissement.

Une décision est intervenue en date du 21 février 2020, le tribunal du travail ordonnant une réouverture des débats tant sur la recevabilité du recours que sur la question de la motivation des actes administratifs et, notamment, du courrier de l’INASTI.

Un second jugement a été rendu le 18 décembre 2020, accueillant le recours, considérant que l’intéressé ne devait pas être assujetti au statut social et condamnant l’INASTI aux dépens.

Celui-ci interjette appel de ce jugement.

Position des parties devant la cour

L’INASTI demande la réformation du jugement, sollicitant de la cour qu’elle dise pour droit que les activités exercées sont des activités indépendantes et que l’intéressé doit dès lors être assujetti au statut social et qu’il est tenu aux obligations qui lui incombent en vertu de celui-ci.

Il fait notamment valoir la question du caractère habituel et du but de lucre de l’activité, le mandat ayant été exercé pendant plusieurs années en-dehors de tout lien de subordination, les revenus ayant été taxés de profits d’indépendant (ce qui n’a fait l’objet d’aucune contestation). L’INASTI précise que le statut social ne prévoit aucune dérogation à l’assujettissement pour les activités rémunérées exercées dans une structure sans but lucratif.

Quant à l’intimé, il fait valoir l’absence de but de lucre des mutualités. Il expose avoir eu le statut de diplomate pendant la période de son détachement à l’étranger et qu’il n’était de ce fait plus soumis à l’assurance obligatoire soins de santé, étant bénéficiaire de l’assurance continuée (article 240, 20°, b), de l’arrêté royal du 3 juillet 1996). Il précise qu’il n’avait plus de résidence administrative en Belgique et considère que la position de l’INASTI selon laquelle il est seulement requis que l’activité soit exercée en Belgique ne peut être suivie. Il fait encore valoir que la loi organisant un service de police intégrée prévoit une incompatibilité avec l’exercice d’une autre profession (ses mandats mutualistes n’ayant pas été remis en cause par la Police fédérale). Les réunions exigées par la fonction étaient peu nombreuses et il expose avoir chaque fois fait le déplacement depuis l’étranger et avoir perçu des jetons conformément à la loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions nationales de mutualités, montants qui ont été déclarés. Enfin, il considère qu’une activité n’est une activité professionnelle que lorsqu’elle est déployée dans un but de lucre et de manière habituelle et que la perception de sommes n’établit pas automatiquement un tel but.

La décision de la cour

La cour rappelle en premier lieu la définition du travailleur indépendant, reprenant les principes à cet égard et soulignant la jurisprudence de la Cour de cassation sur la notion d’activité professionnelle : celle-ci doit, pour avoir ce caractère, être exercée dans un but de lucre, même si, en fait, elle ne produit pas de revenus. Si l’activité est exercée pour une association qui ne poursuit pas elle-même de but de lucre, ceci n’exclut cependant pas ce but dans le chef du travailleur, ce qui a été examiné dans le chef des asbl (la cour renvoyant aux questions parlementaires : Q. R., Ch. rep. Sess. ord. 1999-2000, Question n° 4 du 17 novembre 1999, p. 1109 – J. VANDEURZEN – et Q. R., Ch. rep. Sess. ord. 2019-2020, Question n° 324 du 20 avril 2020, p. 159 – K. DEPOORTER).

En l’espèce, elle considère que la présomption fiscale est applicable (article 3, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal n° 38), mais qu’elle est réfragable. Pour ce qui est de la circonstance que les mandats ont été exercés auprès d’une mutualité, elle estime que ceci ne suffit pas à conclure à l’absence d’activité professionnelle (cf. ci-dessus). Des jetons de présence ont été perçus, étant des revenus et non des remboursements de frais (ceux-ci oscillant entre 4.670 euros environ et 8.600 euros environ par an).

La cour retient également le caractère régulier de l’activité, celle-ci coïncidant avec un ensemble d’opérations liées entre elles, répétées et accompagnées de démarches en vue de cette répétition. D’autres prestations sont supposées, au titre de préparation et de secrétariat de l’organe. La cour constate encore que l’activité a été exercée en personne physique, en Belgique et en-dehors de tout lien de subordination ou de statut. Elle est donc en principe soumise au statut social, la cour soumettant toutefois sa conclusion à une réserve, étant l’application du droit belge. Elle souligne encore le caractère d’ordre public de la législation relative au statut social. Enfin, sur la question de la rétroactivité, ni le principe de bonne administration ni la Charte de l’assuré social ne peuvent être invoqués pour contrer l’absence de rétroactivité de la mesure qui serait prise en ce qui concerne l’assujettissement.

Il y aurait, dès lors, lieu de conclure que toutes les conditions pour celui-ci sont remplies, mais se pose la question de la vérification de la législation nationale de sécurité sociale applicable à l’époque. En effet, le Règlement n° 883/2004 prévoit en son article 11 l’unicité de la législation applicable ainsi que les règles de détermination de celle-ci. La cour renvoie à la doctrine de M. MORSA (M. MORSA, Sécurité sociale, libre circulation et citoyenneté européenne, 2012, Limal, Anthémis, p. 138), qui confirme un des effets de cette règle, étant que le paiement de cotisations ne se fait qu’à un seul régime de sécurité sociale.

La cour déplore n’avoir aucune pièce permettant de vérifier le régime à appliquer et sollicite dès lors que l’intimé procède au dépôt de toute pièce à ce sujet, l’INASTI devant également formuler ses observations sur la question.

Intérêt de la décision

Les conditions d’application de l’article 3, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal n° 38 sont manifestement remplies, suite à la vérification faite par la cour des divers éléments du dossier, s’agissant d’une activité régulière, exercée par une personne physique en Belgique et en-dehors de tout lien de subordination ou de statut.

La cour ne vide cependant pas sa saisine, un élément spécifique étant à examiner, à savoir la loi applicable en vertu du Règlement n° 883/2004. Celui-ci pose le principe d’unicité de la législation nationale applicable en matière de sécurité sociale.

La cour renvoie à cet égard à l’arrêt V. c/ INASTI et SECUREX INTEGRITY de la C.J.U.E. du 6 juin 2019 (C.J.U.E., 6 juin 2019, n° C-33/18 – précédemment commenté). Des questions préjudicielles avaient été posées par la Cour du travail de Liège à la Cour de Justice, sur un point spécifique (l’article 87, § 8, contenant certaines règles permettant de vérifier l’assujettissement, en début de période d’application du Règlement). Dans cet arrêt, la Cour de Justice a précisé que le Règlement a procédé à la modernisation et à la simplification des règles du Règlement n° 1408/71 tout en en conservant le même objectif. Les personnes auxquelles il est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre. Dès lors, une personne qui exerce normalement une activité (en l’espèce salariée) dans un Etat membre et une activité (en l’espèce non salariée) dans un autre Etat reste soumise à la législation de l’Etat où elle exerce son activité salariée.

Dans l’arrêt commenté, la cour du travail devra vérifier si la sécurité sociale belge est restée applicable à l’intéressé pendant son long séjour à l’étranger, ce qui n’est pas exclu, l’arrêt précisant déjà dans son relevé des moyens des parties que le demandeur exposait bénéficier de l’assurance continuée en application de l’article 247, 20°, b), de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 pris en exécution de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.

Affaire à suivre donc…


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